Hermine Ariane Tecg La Chasse Chapitre 2.2 : Détenu 69A36-89

Chapitre 2.2 : Détenu 69A36-89

— La cour.


Tout le monde se leva. Je n'eus donc pas d'autre choix que de les imiter. Depuis mon premier procès ces règles m'énervaient. Pourquoi devait-on se lever pour ces hommes ? Après tout ils n'étaient que des êtres humains comme les autres, même s’ils se croyaient supérieurs. Ils semblaient ignorer qu'ils n'étaient que des citoyens déguisés en justiciers. Ils n'avaient pas conscience de rendre une justice sans aucun sens.


— Le tribunal a rendu son verdict.


La voix aiguë de la juge me transperça les oreilles avec violence. Je me demandai comment son mari pouvait la supporter tous les jours. Je me demandai surtout comment cette cruche avait fait pour trouver quelqu'un acceptant volontairement de se condamner à une vie à ses côtés. Un sourire m'échappa.


— Je me permets de vous préciser à nouveau que le verdict rendu par les jurés est définitif. Il ne pourra donc pas être contesté par les diverses parties prenant part à l'affaire.


J'avais tellement souvent entendu ces putain de phrases. Agaçantes et vides de sens voilà ce qu’elles étaient pour moi. Une justice formatée comme des bulletins d'adhésion pour une carte de fidélité. Rapidité, rentabilité : leurs seuls mots d'ordre.


— Le tribunal déclare le détenu 69A36-89 impliqué dans l'affaire 78-090 coupable de l’ensemble des chefs d’accusation qui lui ont été reprochés.


Comme pour amuser les touristes présents dans la salle, ils essayaient de créer un faux suspense. Je pris une seconde pour lancer un rapide coup d’œil à ma mère assise au premier rang dans la robe à imprimé fleuri que je lui avais achetée – volée – pour son anniversaire. Je n'étais pas un fils modèle, mais j'avais tout de même de petites attentions pour cette femme qui m'avait mis au monde et élevé. Même si je ne lui montrais jamais, j'avais conscience de tout ce qu'elle faisait pour moi au quotidien. J'eus un pincement au cœur en réalisant qu'elle essayait de retenir des larmes qui coulaient déjà sur ses joues roses. Elle réagissait toujours de cette façon lorsqu'elle me voyait au tribunal. Ma mère n'avait jamais réussi à s'habituer à ce spectacle et prenait toujours ces histoires beaucoup trop à cœur. Néanmoins, ce jour-là j'aurais préféré qu'elle ne vienne pas.


— Le détenu 69A36-89 reconnu coupable est donc condamné à une peine déterminée et votée à l’unanimité des membres du jury.


Le vieux bedonnant, faisant office de président des jurés, se leva avec difficulté. Son ventre gonflé semblait l'empêcher de trouver l'équilibre pour rester droit sur les deux poteaux lui servant de jambes. Avec sa chemise rouge à carreaux, il avait le parfait costume du vieux prof d'histoire-géo à la retraite. Il se racla la gorge comme s'il allait cracher un mollard devant la juge – ce qui aurait été particulièrement amusant – avant de remettre correctement ses lunettes. Il lut silencieusement la sentence comme s'il la découvrait avant d'attraper le micro qu'on lui tendit.


— Nous avons voté pour une condamnation à la hauteur du délit pour lequel le détenu est jugé aujourd’hui, mais également en prenant en compte l’ensemble de son casier judiciaire qui est extrêmement rempli pour son âge.


Je me mis à serrer les poings. Généralement la sentence était annoncée sans aucune explication. L'annonce du président du jury ressemblait à une justification ou était-ce juste une tentative d’intimidation ? Après tout je n'avais pris aucune condamnation au sérieux jusqu'ici. Le vieux bedonnant s'arrêta puis attendit que le juge prenne la parole à son tour. Cette action avait été préparée, mais elle n'avait rien d'habituelle. Je connaissais suffisamment les mécanismes de cet endroit pour voir que nous étions hors du protocole.


— Je tiens à préciser que l'instructeur en chef et moi-même avons approuvé en amont le choix du jury. Leur décision a été prise dans un cadre légal et est donc incontestable.


L’instructeur en chef ? Je me demandai ce que les paroles de la juge voulaient dire. Je l’ignorais alors, mais j’étais en train d'assister à une véritable mascarade. Le vieux reprit enfin la parole pour mettre fin à l’angoisse qui m’avait gagné.


— Nous avons voté à l'unanimité pour une condamnation à la chasse.


Le temps s’arrêta. J’étais abasourdi par la gifle – la plus puissante de toute ma vie – que je venais de prendre. Le choc ne dura que quelques secondes avant de laisser place à une colère sur laquelle je n’avais aucun contrôle. Je n’étais peut-être qu'un gamin pour eux, mais je connaissais mes droits. Leur verdict n'avait rien de légal. Je n’allais pas me laisser faire et encore moins fermer ma gueule.


— J'ai dix-sept ans, criai-je depuis mon box. Tout le monde sait que la chasse est réservée aux criminels majeurs.


Le silence habituel du tribunal ne fut brisé que par les réactions du public. Le verdict qui avait été prononcé les surprenait autant que moi. Je ne pus m'empêcher de regarder ma mère – pour ce qui serait la dernière fois – et le regrettai aussitôt. Je ne vis que de la panique dans ses yeux remplis de larmes. Elle savait aussi bien que moi que ce procès n'était pas vraiment légal, mais que nous ne pourrions rien faire contre. La justice de notre république s'accordait tous les droits et aucune de ses décisions ne pouvaient être contestées. Alors que je m'apprêtais à hurler un gendarme m'attrapa brusquement les mains pour me menotter avant qu'un autre me bâillonne comme si à leurs yeux je n'étais déjà plus un être humain.



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