Fyctia
Chapitre 2.1 : Détenu 69A36-89
J'avais eu le droit de sortir du tribunal pour aller fumer une clope pendant que les jurés étaient en train de se mettre d'accord sur leur punition. Deux gendarmes armés m’accompagnaient tout en serrant les dents comme si j’étais le plus grand criminel de toute l'histoire. Je ricanai face au ridicule de la situation que je semblais être le seul à avoir remarqué. Tous ceux qui m'entouraient se prétendaient plus intelligents que moi, alors pourquoi imaginaient-ils que je prendrai le risque inutile et stupide de m'enfuir ? Notre justice pourrie ne me faisait pas peur. Le verdict qui m'attendait serait aussi débiles que tous les précédents.
J’avais déjà reçu de multiples condamnations sans conséquences. Une simple amende m'attendait et comme toutes les autres je ne la payerai. En tant que lycéen je n'avais pas de revenu ce qui impliquait qu'on ne pouvait pas m'obliger à donner de l'argent que je n'avais pas. C’était l'exemple parfait pour démontrer la nullité de notre système judiciaire. La seule chose qui m'embêtait était de savoir que mes conneries retomberaient une nouvelle fois sur ma mère. Du point de vue de la loi elle était mon représentant légal et devait donc assumer à ma place. Son petit salaire l'obligerait à demander de l'argent à mon géniteur et cela n'était pas – totalement – pour me déplaire. Imaginer celui qui n'avait jamais été mon père en train de faire un chèque pour le fils qu’il avait toujours détesté avait quelque chose d’amusant. Il avait refusé de m'élever, ce n'était donc qu'un juste retour des choses.
Je tirai une longue taffe pour sentir la fumée brûlante envahir ma bouche puis ma gorge. Cette sensation aussi douce qu'intenable était la seule chose capable de calmer mes nerfs. Cela devait faire au moins cinq ans que je fumais tous les jours. J'avais commencé très jeune sans aucune raison. Ma mère avait essayé de me faire arrêter. J'aurais peut-être dû rien que pour lui faire plaisir, mais à l'époque je n'en avais pas envie. Je ne voyais pas les choses de la même façon. La cigarette était ma drogue, mon symbole de rébellion. Alors que la fumée enfumait mes poumons, je jetai un coup d’œil rapide à ma montre. Il ne restait plus que cinq minutes avant que l'audience reprenne. Je n'avais qu'une envie, rentrer chez moi pour me rouler un joint qui me détendrait bien plus.
Au fil des années ce tribunal était devenu ma deuxième maison. J'y passais presque plus d'heure qu'au lycée. En tant qu'habitué des lieux j'en connaissais par cœur toutes les habitudes. Cela me donnait beaucoup de confiance et d’assurance. Lors de mon dernier jugement j'avais eu le droit à des heures de travail d'intérêt général. Le jury espérait ainsi "me rendre actif de ma condamnation" ce qui n'avait jamais été le cas avec les amendes. On m’avait envoyé avec d'autres types au bord d'une autoroute pour ramasser toutes les merdes balancées par les gens depuis leur caisse. C'était dégueulasse, mais surtout inutile. Ramasser les déchets pour les balancer ailleurs ! Le gouvernement avait pris la décision de ne plus les traiter pour les entasser dans des endroits à l'écart des villes. Au bout d'une petite heure je m'étais discrètement barré. Les vieux vigiles à la retraite réquisitionnés par l’État qui nous surveillaient n'ont découvert mon départ que lorsqu'ils ont fait l'appel en fin de journée. Comme punition je n'eus qu'un stupide rappel à la loi que j'entassai avec les trois autres que l'on m'avait déjà envoyés pour d'autres petits délits. Si j'avais été plus malin j'aurais simplement pu revenir pour l'appel du soir, mais j'avais eu trop la flemme. De toute façon je n'en avais rien à foutre. La justice ne faisait que me menacer sans jamais passer à l'acte.
Alors que nous retournions dans le tribunal je vis des pompiers s’engouffrer en trottinant dans une des salles d’audience. Quelqu'un avait dû s'évanouir en entendant sa sentence. Ça arrivait presque à chaque fois. Les gens étaient bien trop sensibles. Ils jouaient les durs, mais dès qu'ils se retrouvaient dos au mur ils perdaient tous leurs moyens. Heureusement je n'étais pas comme eux. Je ne le serai jamais. Pour tout le monde je n'étais rien de plus qu’un ado en colère, mais en réalité j'étais déjà un homme fort et déterminé que rien ne pouvait arrêter. Après quelques secondes ils ressortirent avec une jeune femme aux cheveux châtain clair dans leur civière. Je n'oublierai jamais la tenue ridicule qu'elle portait. C'était une espèce de tailleur vieillot comme en porte toutes ces femmes coincées qui ne savent pas profiter de la vie. Je me demandai alors ce qu'on pouvait bien lui reprocher. Braquage d’un magasin de tricot ?
L'un des gendarmes m'ouvrit la porte de la salle d'audience. Je rentrai fier, la tête haute. Tandis que je rejoignais d'un pas nonchalant le banc des accusés, je sentis les regards critiques de certaines personnes présentes. Pourquoi tous ces inconnus étaient-ils venus à mon procès ? N'avaient-ils rien de mieux à faire ? Je me dis alors que c'était probablement plus excitant pour eux d'être dans une salle d'audience plutôt que derrière leur télé. Il existait tout un tas de chaînes inutiles qui passait toute sorte de procès en boucle tout au long de la journée.
Maître Laporte, mon avocate commise d’office, m’avait dit de porter une tenue simple et convenable pour venir à mon audience. Elle n'imaginait pas qu'en me disant cela elle m’inciterait à faire tout l'inverse. Dans un esprit de contradiction j'avais opté pour ma tenue préférée ; un vieux tee-shirt délavé avec la pochette d'un album du groupe Nirvana qui selon ma mère avait cartonné au siècle dernier, et un jean avec plus de trous que de tissu. La touche finale : mes rangers noirs donc je laissais les attaches défaites pour qu'elles fassent un bruit métallique à chacun de mes pas. Mon tee-shirt à manches courtes rendait visible les nombreux tatouages recouvrant mes bras. L'encre noire était devenue le moyen d'expression des gens qui s’opposaient au système et des rebelles dont je faisais partie. Critiquer le gouvernement avec des mots était dangereux, mais le faire avec des dessins l’était bien moins.
2 commentaires
Ama12
-
Il y a 2 mois
Hermine Ariane Tecg
-
Il y a 2 mois