Fyctia
Chapitre 1.1 : Détenue 42C09
— La cour.
À ces simples mots toute l’assistance se releva conjointement. Les personnes présentes dans l'assemblée n'étaient ni particulièrement bien élevées ni davantage respectueuses des règles que la plupart des autres citoyens. Si elles se montraient disciplinées c'était uniquement parce que le tribunal représentait un lieu angoissant d'où elles risquaient de ne jamais ressortir si elles n'en suivaient pas rigoureusement le protocole.
Néanmoins, je savais que la justice avait été créée pour trancher les litiges et protéger l'ensemble des membres d'une même société. C'était donc pour ces raisons que je lui avais accordé mon entière confiance.
Le jury n'allait pas tarder à annoncer son verdict à mon encontre. Je profitai donc de cet ultime instant de répit pour jeter un œil sur mes parents assis au premier rang. Ma mère portait son tailleur noir qu'elle ne sortait que pour les grandes occasions. Elle s'était également maquillée et coiffée. Son chignon haut la rendait plus sévère qu'elle ne l'était en réalité. Tous ces artifices ne parvenaient toutefois pas à cacher la terrible angoisse qu'elle éprouvât. Depuis le banc des accusés j'avais l'impression de pouvoir entendre les battements de son cœur. Mon père lui tenait la main ; retenant avec difficulté les larmes qui menaçaient d'envahir ses joues à chaque instant. Mes parents savaient que j'étais innocente. À vrai dire ils ne me l'avaient pas clairement dit, mais ils ne m'avaient pas non plus blâmée pour ce qui m'avait amenée ici.
Je déglutis avant de focaliser mon attention sur le juge et les jurés qui reprenaient leur place dans un silence de plomb. Ils ne s'étaient absentés que quelques minutes. Une dizaine tout au plus. Les délibérations avaient été expéditives ce qui signifiait qu'ils s'étaient rapidement mis d'accord sur ma sentence. Peut-être même un peu trop. La justice avait changé. Elle n'avait plus rien à voir avec celle du début du siècle. De lente et laborieuse, elle était devenue rapide et efficace. Les manques croissants de temps et de moyens avaient amené à des prises de décisions majeures. La plus importante fut de condenser toutes les enquêtes sur un maximum de deux mois dans l'unique but de rendre des jugements rapides pour désengorger les tribunaux. Des gouttes de sueur dégoulinèrent dans le creux de mon dos. Je n'avais pas eu le temps de présenter toutes les preuves dont j'avais besoin. Je serrai les poings en espérant que le jury en avait pris compte pour prendre sa décision.
Même si je faisais pleinement confiance à la justice de mon pays, j'avais tout de même pris le meilleur avocat de la ville et travaillé ma plaidoirie, jour et nuit, pour convaincre le tribunal que tout n'était qu'un malheureux accident. J'étais coupable des faits que l'on me reprochait, mais je ne l'étais pas devenue intentionnellement. C'était sur cette subtilité que toute ma défense reposait. Ma culpabilité n’était due qu’à des circonstances hors de mon contrôle. La justice allait forcément reconnaître le caractère accidentel de toute cette tragédie qui me hantait alors à chaque seconde de mon existence.
— Le tribunal a rendu son verdict.
Le juge fit cette annonce d'une voix particulièrement dure qui me fit perdre toute confiance en moi. Mon cœur se mit à battre à vive allure tandis qu'une boule prit place dans ma gorge. Je dus me faire violence pour ne pas m'effondrer en larmes. Mes jambes me semblèrent faibles, mais je redressai les épaules pour rester debout.
— Je me permets de vous préciser à nouveau que le verdict rendu par les jurés est définitif. Il ne pourra donc pas être contesté par les diverses parties prenant part à l'affaire.
Mon regard croisa celui du juge, mais je ne parvins pas à y déceler un quelconque indice sur l'issue qui m'attendait. Le temps s'emballait s'étirer. Pourquoi faisaient-ils durer le supplice aussi longtemps ?
Avant ce jour je n’avais jamais eu l'occasion d'assister à un procès. Pourquoi tout le fonctionnement me paraissait-il avoir été créé pour me torturer un maximum ? Je pris une profonde inspiration. Ils n'allaient pas me condamner. C’était impossible. Notre justice ne permettrait pas une telle erreur. J'essayai de me convaincre que notre système et notre société étaient suffisamment équitables pour reconnaître mon innocence. Les jurés l'avaient forcément vue. De plus, notre république n'acceptait pas l'injustice et en avait même fait son cheval de bataille.
La nervosité me poussa à lisser, d'une main tremblante et frénétique, ma jupe cintrée noire. Je tentais en vain d'en enlever les plis et poussières imaginaires dont elle était parsemée. Ma tenue se devait d'être impeccable pour le moment de ma remise en liberté. Maître Bouchard, mon avocat, m’avait conseillé de porter un ensemble élégant qui dirait à ma place mon sérieux. J'avais donc naturellement jeté mon dévolu sur mon ensemble favori. Je l'avais acheté sur un coup de tête dans une boutique de luxe et le portais pour chaque réunion annuelle du cabinet d'experts comptables pour lequel je travaillais depuis cinq ans. Ce n'était peut-être qu'un simple morceau de tissu, mais il m'avait jusqu'alors toujours porté chance. Le simple fait de penser à mon travail calma toutes mes angoisses. Il m'apportait une satisfaction et un épanouissement que je n’avais jamais pu trouver ailleurs. J'avais hâte de le retrouver. Une fois blanchie je retrouverai enfin mes tableaux Excel saturés de chiffres. Cette vision me fut si rassurante qu'un léger sourire se dessina sur mes lèvres sans que je ne le remarquasse.
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