Hiurda La Bête de la Terre des Rois Promesse - Partie 2

Promesse - Partie 2

Toumet resta muette, une expression peinée sur le visage. Ishta la haïssait dans l’instant. Autant qu’elle s’était attachée à elle au cours des dernières semaines. Elle n’avait même pas la décence de montrer toute la pitié qu’elle avait pour Ishta.

« Je être quoi d’autre que sacrifice pour vous ? Comment toi tu souris à moi, tu ris avec moi ? Mais tu sais et tu rien dire ! »

Toumet se leva et fit quelques pas vers elle, mais Ishta recula d’autant.

« Non ! hurla-t-elle alors que les larmes coulaient enfin sur ses joues. Tu pas venir ! Tu vas loin !

- Ishta,  dit doucement Toumet. Tout va bien se passer, crois-moi… 

- Croire toi ? Tu cacher la vérité à moi ! Tout va pas bien ! Que tu faire si Fryktebjorn me bat ? Si lui me tue ? Si lui veut manger moi pour la noce ? Toi tu vas sauver moi ? »

Est-ce que Toumet venait de retenir un rire ? Une terrible douleur lui déchirait le cœur et Toumet lui riait au visage. Ishta pensait avoir fait le tour de la trahison avec Ning et son père, mais les Íbúa venaient d’atteindre de nouveaux sommets. Sa rage avait pris une telle ampleur qu’elle n’arrivait plus à s’exprimer dans cette langue qu’elle ne maîtrisait pas. Un cri sauvage naquit de sa frustration et brûla sa gorge. Elle agrippa la première chose que sa main put trouver et la jeta à travers la pièce. La chaise rata de justesse la soupière remplie au-dessus du feu et deux hommes durent se lever de leur place en catastrophe. Elle n’en avait que faire. Elle voulait qu’ils souffrent, tous, autant qu’elle souffrait, elle. 

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Finn venait d’entrer, il avait visiblement couru et paraissait inquiet. 

« Ulrik le lui a dit », répondit simplement Toumet. 

Le guerrier avait déjà traversé la pièce, attirant Ishta entre ses bras et la serrant fort, comme elle l’avait vu faire pour réconforter ses filles. Elle se débattit d’abord, mais elle en avait assez de batailler contre le monde entier et finit par s’effondrer dans son étreinte. La force du guerrier lui apportait un soulagement étrange, comme s’il était capable par ce simple geste de ressouder tous les petits bouts d’elle qui s’étaient brisés. Il commença à lui murmurer quelque chose à l’oreille, mais elle ne comprit pas. Il parlait trop vite, trop bas et elle se fichait bien de ce qu’il disait. Sa voix, sa respiration, son calme. Petit à petit, elle sentit sa rage s’apaiser et il ne resta plus que la douleur et la tristesse. 

Finn s’adressait toujours à elle, doucement, alors qu’elle pleurait une nouvelle fois toutes les larmes de son corps. Les Íbúa lui avaient montré ce que c’était d’exister, de vivre sans crainte. De vivre, tout simplement. Ils lui avaient appris le vrai sens du mot « respect » et lui avaient montré qu’elle était digne d’en recevoir. Elle pensait avoir leur acceptation et leur affection. Mais ce n’était qu’une illusion. En un instant, ils lui avaient tout retiré. 

Comment avait-elle pu se faire avoir une seconde fois ? Visiblement, l’histoire avec Ning ne lui avait pas suffi. Elle n’avait rien appris. Elle voyait l’amour partout autour d’elle, mais elle-même n’y aurait jamais droit. Les enfants íbúan étaient adorés et chéris, les femmes íbúan étaient respectées et aimées de leurs maris, les mères Íbúa étaient soutenues et aidée. De son côté, elle avait souffert toute sa vie, elle avait été abusée toute sa vie. Et maintenant qu’elle croyait s’en sortir, ce n’était qu’une illusion de plus. Elle était fatiguée de se battre. Que Fryktebjorn la tue et qu’elle en finisse. 

« Maintenant, tu n’y crois pas, mais les choses iront mieux, Sjel. »

Les paroles de Finn rallumèrent instantanément la rage d’Ishta. Comment osait-il ? Elle le repoussa violemment.

« Toi m’appelle pas Sjel ! Jamais ! Ni toi, ni Ulrik ! Si je famille de vous, pourquoi vous offrir moi à un monstre ? »

La fin de la phrase n’était qu’un murmure empli de douleur. Elle n’avait plus la force de crier. Elle ne voulait plus voir Toumet et son visage plein de peine. Elle ne voulait plus voir Finn et sa colère. Comment osait-il être en colère contre elle ? Alors elle sortit de la salle et retourna dans le seul endroit où elle ne voyait personne, sa chambre. 

Elle passa les jours suivants enfermée dans sa petite pièce.

On la laissa d’abord tranquille. Elle allait de la colère au découragement, du désespoir à la rage. Suppliant puis maudissant qui voulait bien l’entendre, mais surtout Ulrik et Toumet. Puis, au milieu de la nuit, elle finit par se coucher, vidée d’avoir trop crié.

Le lendemain matin, Toumet vint frapper doucement à sa porte, mais elle ne répondit pas. 

« Tu dois manger et boire Ishta, je comprends que tu sois en colère et tu n’es pas obligée de parler avec moi si tu ne veux pas… Mais… »

Visiblement, elle était à court de mots. Sa supplique ne rencontrant que le silence, elle partit. Plusieurs personnes vinrent taper à sa porte à tour de rôle. S’assurant qu’elle n’avait pas faim ou besoin de quelque chose, recevant la même absence de réponse. Cependant, personne n’entrait sans son autorisation. 

Si seulement ils pouvaient la laisser tranquille, qu’elle puisse arrêter de réfléchir l’espace d’un instant. Inutile de s’acharner à lui apporter des repas, elle n’avait pas besoin de nourriture pour pleurer. 

Mais même ses yeux s’étaient vidés, comme son âme. Elle n’était plus qu’une coquille déserte de toute envie. C’était encore la meilleure manière de vivre. On ne peut rien retirer à celui qui ne désire rien.

La pénombre était tombée dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà quand des coups à la porte se firent entendre à nouveau. 

« C’est Finn, j’ai besoin de savoir que tu vas bien. J’entre. »

Et la porte s’ouvrit lentement. Prise de panique, Ishta se recroquevilla en boule contre la tête de lit. Ils en avaient enfin eu assez de ses caprices et Finn était là pour le lui expliquer. 

Mais l’homme venait avec un plateau contenant une chope, une assiette pleine de ragoût et un morceau de pain. L’odeur qui envahit la chambre fit grogner l’estomac d’Ishta. Sans rien dire, il déposa le tout au pied du lit, ouvrit une fenêtre et tira une chaise à côté. 

« Je partirai quand tu auras mangé. Si ça doit prendre la nuit, je serai là demain matin. Mais les petites m’attendent à la maison donc j’aimerais mieux que ça ne dure pas autant. »

Il s’installa confortablement et patienta. 

Autrement dit, elle n’aurait pas la paix tant que l’assiette n’était pas vide. Elle entreprit d’engouffrer son contenu le plus vite possible, répondant à la fois aux cris de son estomac et à son besoin de tranquillité. Elle avala l’eau de la chope d’un traite et se recoucha dans son lit, la couverture au-dessus de la tête pour couper court à toute tentative de discussion. Mais Finn ne dit rien, il ferma la fenêtre, ramassa le plateau et sortit.


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