Hiurda La Bête de la Terre des Rois Promesse - Partie 1

Promesse - Partie 1

« De tous les hommes ici, c’est à Leif que tu pensais en imaginant ton mari ? »

La voix d’Ulrik était sèche et le ton cassant. Ishta s’était attendue à bien des réactions, mais la colère n’en faisait sûrement pas partie. Elle avait fait énormément de progrès dans la gestion des émotions, les siennes et celles des autres. Mais faire face à toute sorte d’animosité la mettait toujours dans un état proche de la panique. Elle souffla deux ou trois fois, se rappela qu’Ulrik ne lui avait jamais donné aucune raison de s’inquiéter, bien au contraire. 

« Oui. » Elle répondit d’une petite voix. « En venant, je croire que Leif être chef de tous. »

Le guerrier prit une grande inspiration, comme pour se calmer, et continua d’un ton vide.

« Et tu as été dièlust que ce soit pas lui ? »

« Je pas comprendre dièlust. »

Elle ne comprenait pas la réaction d’Ulrik. Il ne pouvait être en colère simplement parce qu’elle s’était trompée, ça ne lui ressemblait pas.

Il semblait chercher ses mots, ne sachant comment lui reposer sa question différemment. Ishta pouvait sentir la frustration que le guerrier dégageait. Il prit la parole lentement, mais elle pouvait entendre le tremblement de sa voix qu’il essayait vainement de lui cacher.

« Si tu pouvais décider, tu aurais choisi d’épouser Leif ? »

La question laissa Ishta perplexe. Ça n’avait jamais été un problème de choix. Si elle avait pu décider, elle n’aurait choisi personne. Si elle avait pu passer sa vie sans devoir partager son lit, voilà le choix qu’elle aurait fait. Mais elle doutait qu’il le comprenne, alors elle répondit ce qu’elle put.

« Ce pas être un choix pour moi. » 

La réponse ne plut pas à Ulrik qui serra les poings de rage. Encore une fois, le geste était imperceptible et Ishta ne s’en aperçut que parce qu’elle avait passé sa vie à en avoir peur. Pourquoi avait-elle été assez bête pour poser la question ? Si personne ne voulait lui répondre, il devait bien y avoir une raison. Elle aurait dû s’en tenir à ça. 

À deux doigts de voir Ulrik se lever et partir, elle commença à paniquer. Qu’allait-elle faire si le guerrier se mettait lui aussi à l’éviter ? Elle comprit qu’elle s’était habituée à leurs rencontres journalières et à quel point elle y était attachée. Elle voulut lui dire d’oublier le sujet, que ce n’était rien et qu’elle souhaitait juste finir son repas avec lui et parler d’autre chose. Mais il fut plus rapide à prendre la parole. 

« Leif est déjà marié à Toumet, tu le sais ça. Pour les Íbúa, le lien matrimonial est sacré. Leif ne peut pas être marié à une autre femme tant qu’il est l’époux de Toumet. Et, surtout, Leif aime Toumet plus que tout. »

Ishta se retrouva encore plus confuse. Elle savait déjà tout ça, ce n’était pas le sujet de son problème. Il se leva et hésita à dire quelque chose. L’expression de peine sur son visage attrista Ishta, mais elle ne savait que dire pour la faire disparaître, ne comprenant pas pourquoi elle était apparue en premier lieu. Cependant, il lui fallait une explication. 

« Alors, qui épouser moi ? » demanda-t-elle, désespérée. 
Quitte à le voir partir, autant qu’elle ait sa réponse. Quitte à ce qu’il ne lui parle plus, autant que ce ne soit pas pour rien. 

Il lui tourna le dos et fit quelques pas, avant de s’arrêter. Sans lui lancer un regard, il dit à voix basse.
« Tu as été promise à Fryktebjorn. »

L’Empire avait un autre nom pour Fryktebjorn, la Bête.

Puis il partit, laissant Ishta seule face à sa révélation. 

Au début, elle s’imagina que la colère avait conduit Ulrik à lui mentir. Toutefois, elle n’avait jamais observé chez lui de telles manifestations de malveillance. Blesser quelqu’un par dépit n’était pas dans son caractère. Proférer des mensonges non plus. À bien y penser, elle n’avait jamais vu aucun Íbúa mentir. Face à une discussion compliquée, la plupart d’entre eux préféraient dire clairement qu’il ne répondrait pas. Comme Einar ou Toumet l’avait fait avec elle.

Lorsqu’elle remémora la réaction de son entourage face à ses questions, elle comprit que ce qu’Ulrik avait dit était vrai. L’ampleur de la vérité la frappa comme un coup de poing en plein ventre. Le souffle lui manqua et elle dut s’asseoir. 

Elle avait assez entendu parler de la Bête quand elle vivait encore au palais. Mais pas seulement. Fryktebjorn faisait partie intégrante du folklore íbúan. À la fois révéré et craint, il était le protecteur du peuple, mais il n’était pas un animal de compagnie pour autant.

Depuis des générations, les contes de la créature mi-homme, mi-bête étaient racontés autour du feu. Ils servaient de leçon aux adultes comme aux enfants. Fryktebjorn tuait le bétail du mari infidèle et enlevait les gamins assez idiots pour faire du mal volontairement. Mais la créature protégeait son peuple, massacrant les clans hostiles à lui tout seul ou ramenant les bambins égarés. Mais gare à qui osait s’approcher de son territoire, ennemi comme allié.

Ishta n’aurait pas cru à plus qu’un mythe si elle n’avait pas vu le regard terrorisé des soldats de l’Empire lorsqu’ils en parlaient. Les Íbúa eux-mêmes ne doutaient pas de son existence. Cruelle, sauvage et sanguinaire. Sur ces points-là, tout le monde s’entendait. Voilà à quoi elle allait être mariée.  

La douleur de la trahison se mêla à son angoisse. Elle croyait avoir enfin trouvé sa place. Enfin, trouver un endroit où elle pourrait vivre sans la crainte d’être battue et laissée pour morte. Elle pensait avoir été accueillie par ce nouveau peuple qu’elle admirait. Mais en vrai, ils ne voyaient rien de plus en elle qu’un sacrifice. Seule la pitié les poussait à être chaleureux et aimables.

La colère monta et elle ravala ses larmes. Elle ne leur donnerait certainement pas la satisfaction de pleurer. Elle se leva et traversa le village aussi vite qu’elle le put, persuadée que tout le monde savait, que tout le monde la regardait avec pitié après son passage. Une fois arrivée au Hovedhuren, sa colère s’était transformée en rage. La grande salle était presque vide, sans se préoccuper de qui était là, elle se dirigea d’un pas ferme et décidé vers Toumet, attablée devant son repas. 

« Fryktebjorn ? » cria-t-elle à travers la pièce. 

Aussitôt, le regard de Toumet devint grave. 

« Qui te l’a dit ? » demanda-t-elle calmement. 

Qu’est-ce que ça changeait ? Peu importe qui le lui avait annoncé. 

« Ulrik ! »

C’est sa rage qui avait crié, elle se rendait seulement compte à quel point elle en voulait au guerrier. Pourquoi ne lui en avait-il jamais parlé ? Pourquoi personne ne lui avait jamais rien dit ? 

Toumet ne pouvait être plus surprise. 

« U… Ulrik ? bredouilla-t-elle. Mais qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre ? »

Qu’est-ce qu’il y avait d’autre à dire ? Rien. Il était parti. Il l’avait abandonnée avec sa colère, comme Ning l’avait fait auparavant. 

« Tu savoir depuis toujours ! Pourquoi tu rien dire à moi ? » hurla-t-elle, sa voix échappant à tout contrôle, brûlant sa gorge. 


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2 commentaires

Marion_B

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Il y a un an

Ah mince je pensais qu'elle pourrait choisir et qu Ulrich était en train de tomber amoureu d'elle
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