Fyctia
Questions - Partie 3
Ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait bousculer, voire même insulter, depuis son arrivée et elle ne comprenait vraiment pas pourquoi Astrid prenait tout ça tellement à cœur.
L’homme se retourna, le visage tordu par la colère, les poings serrés.
« Mon problème, gamine, c’est ton père qui ramène une chienne de l’Empire en s’imaginant qu’elle va pas aller cracher tout ce qu’elle apprend à son petit papa chéri. »
Il avait lâché ses mots comme du venin et, pour faire bonne mesure, il cracha par terre en direction d’Ishta avant de reprendre son chemin. Mais, au grand dam d’Ishta, Astrid ajouta :
« Attends-toi à une convocation pour un forsvar crétin ! »
Il lui répondit sans même prendre la peine de se retourner.
« Mon problème aura disparu avant ça. »
Ishta ne savait plus où se mettre pour échapper à tous les regards tournés vers elles. Astrid s’assura qu’elle allait bien et s’excusa à plusieurs reprises avant de lui répéter plusieurs fois qu’elle ne devait pas se laisser faire. Ishta la remercia, mais ne fit aucun commentaire. Son expérience lui avait montré que les corrections se finissaient plus vite si elle ne se défendait pas. Cependant, elle ne pouvait s’empêcher d’admirer la force de caractère d’Astrid. Au fond, elle espérait qu’un jour, elle aussi, serait capable de tenir tête à quelqu’un de cette façon.
La réaction des six guerriers lorsqu’ils apprirent l’incident la laissa perplexe. La colère était généralisée, mais, si Olvir et les deux frères se levèrent et partirent sans prononcer un mot, Knut ne comprenait pas qu’Astrid ne soit pas directement aller chercher sa mère tandis que Finn et Sigvald lui firent promettre de venir leur en parler si un problème de la sorte devait arriver à nouveau.
Bien qu’Ishta fut reconnaissante de la bienveillance dont faisait preuve le petit groupe envers elle, cela venait aussi avec certains inconvénients. Elle faisait désormais partie intégrante de toutes leurs conversations, même les plus crues. Et la voir devenir écarlate à chaque mention d’un sujet plus intime les faisait beaucoup rire. Il lui fallut un certain temps pour comprendre que ce n’était rien de plus que de la taquinerie. Ils ne souhaitaient pas réellement lui rappeler de mauvais souvenirs, mais parfois le sujet allait trop loin et elle ne le vivait pas bien, incapable de le leur expliquer.
Elle avait bien vite découvert que les Íbúa étaient beaucoup moins pudiques que les habitants du Saam’Raji. La nudité n’était pas choquante ou dérangeante, même si elle n’était pas affichée. Les couples s’embrassaient en public et ne cachaient pas leur affection.
Ainsi, une autre facette des rapports intimes troublait davantage Ishta. Elle entendait les hommes en parler volontiers et cela ne changeait pas beaucoup de l’Empire. Elle avait assez observé les soldats dans la salle d’attente des Bureaux de son père. Mais elle n’était pas préparée à entendre de tels sujets abordés ouvertement par des femmes.
Alors qu’elle nettoyait le linge avec un petit groupe d’Íbúa, l’une d’entre elles, Eldrid, expliqua que son mari rentrait enfin d’une mission longue dans un autre clan et qu’elle avait hâte qu’il partage à nouveau son lit. Le rire grivois et les joues rougies des autres filles ne laissaient aucun doute sur le sous-entendu. La conversation continua sur le sujet quelque temps, chacune blaguant un peu et taquinant Eldrid. Mais Ishta ne comprit pas pourquoi leur ton était si enjoué. Que le sujet soit pris à la rigolade la révoltait. Pire encore, pourquoi attendait-elle ce moment avec impatience ?
Aucune femme ne pouvait apprécier être traitée comme un objet, comme un sac de soulagement. De sa propre expérience, l’humiliation se mêlait à la douleur et, aujourd’hui encore, y penser faisait ressurgir dans son cerveau les bruits abjects que produisait le Roi des rois alors qu’il se vidait. Elle se ferma à la conversation et se concentra sur le drap qu’elle nettoyait, essayant de faire sortir de son esprit l’image des servantes humiliées, le visage ruisselant de larmes.
Elle avait peur de ne jamais s’habituer à cette partie de la culture íbúa et elle faisait tout pour ne pas penser au jour où elle devrait se donner à son mari.
Mais le sujet ramena la question de l’identité de l’homme au premier plan de son esprit.
La situation tournait au ridicule. Elle avait questionné Einar à plusieurs reprises après sa première tentative et il avait fini par tout bonnement l’ignorer dès qu’elle abordait le problème de près ou de loin. Et elle n’avait pas eu plus de chance avec les autres. Toumet se contentait de lui dire qu’elle aurait la réponse à ses questions en temps voulu d’un air mystérieux. Olvir et les deux frères lui expliquaient avec un sourire nerveux qu’ils n’étaient pas en position de lui répondre. Finn ne lui accordait même pas un regard, et partait en grommelant dans sa barbe tressée. Et les deux derniers l’évitaient tout bonnement depuis que le sujet revenait régulièrement sur le tapis.
Et pour ne rien améliorer, tout le monde devenait de plus en plus occupé avec l’arrivée prochaine du Storkan. Les jours se raccourcissaient toujours un peu plus. Pahala ne sortait que très peu de derrière les montagnes, laissant les Íbúa dans une pénombre étrange la plus grande partie de la journée. Les activités nécessitant le plus de lumière devaient être faites le plus vite possible dans la courte fenêtre de temps disponible.
Avec le froid toujours plus intense, les attaques d’animaux avaient commencé. À entendre Knut et Olvir en parler, les Íbúa y étaient habitués. Ishta avait découvert toutes sortes de créatures qu’elle ne connaissait pas. Les worgs, des chiens monstrueux et sauvages chassant en meute. Le renard, petit, mais féroce s’attaquant au bétail. Les basilics, des lézards faisant deux à trois fois la taille d’un homme et qui vous pétrifiaient sur place au moindre croisement des yeux ou encore les ettins. Des géants à deux têtes dont la seule qualité, d’après Knut, était d’être à peine plus intelligents que leurs pieds. Mais entendre les Íbúa les appeler « géants » n’avait rien de rassurant à ses yeux.
Jusqu’ici, il n’y avait eu aucun incident grave, mais Ishta les entendit réclamer à Toumet de commencer les offrandes plus tôt cette année. La jeune femme était trop occupée sur l’instant pour demander de quoi il s’agissait. Elle se promit de s’enquérir sur la situation, mais sa rencontre suivante avec Ulrik fit disparaître tout autre sujet de son esprit.
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