Fyctia
Questions - Partie 2
Elle s’était d’abord sentie mal à l’aise, ne sachant pas trop comment réagir face au guerrier qu’elle n’avait pas vu depuis plusieurs jours. Mais Ulrik ne dit rien et se contenta de manger en regardant le lac, alors elle en fit autant.
Bien vite, sa gêne s’estompa, observant le paysage. Bien que la vue depuis sa chambre soit très similaire, elle ne se lassait pas de l’admirer et ne pensait pas qu’elle s’en lasserait un jour. À droite, le lac, qui en vérité n’en était pas un, s’étendait à perte de vue avant de se jeter dans la mer, entre les montagnes. À gauche, la plaine et les falaises qui l’avaient conduite jusqu’ici encadraient l’eau et offraient à Pahala un piédestal. Les levés et couchers de soleil étaient les plus beaux qu’elle ait jamais vus. Le désert de l’Empire n’offrait pas toute la splendeur et la diversité du paysage de la Terre de Rois.
Elle en avait presque oublié la présence d’Ulrik quand celui-ci prit la parole. Comme il l’avait fait sur le dos d’Hakon, il désigna un des bateaux voguant sur le lac.
« Byrding »
Ishta sourit et désigna un autre bateau, attaché au ponton du port cette fois.
« Byrding ? Bateau ? »
Mais Ulrik lui fit signe de la main que non.
« Karve », dit-il.
Ishta avait un doute, était-ce un autre type de bateau ou bien est-ce que le nom changeait en fonction qu’il vogue ou soit à quai ? Il fallut encore quelques essais, mais elle finit par comprendre que les byrding étaient de plus petits bateaux, là où les karves, plus imposants, servaient à quitter le fjord. Pour aller où ? Il lui manquait encore du vocabulaire pour le savoir.
À partir de ce jour, Ulrik l’attendait chaque midi pour partager son repas. Si la conversation n’était pas des plus développée au début, ils finirent petit à petit par se comprendre de mieux en mieux. Chacun apprenant la langue de l’autre. Elle en profitait pour poser les questions qu’elle avait sur les us et coutumes des Íbúa et il se faisait un plaisir d’y répondre. Bientôt, elle se surprit à attendre toute la matinée avec impatience de pouvoir rejoindre Ulrik.
Au bout d’une quinzaine de jours, elle était capable de participer à une conversation de manière active. Sans tout comprendre, elle saisissait le sens des principaux sujets et donnait son avis en des termes simple.
Aussi entreprit-elle une tâche difficile, mais qui pesait sur sa conscience depuis le jour de son arrivée.
Les guerriers qui l’avaient amenée jusqu’ici acceptaient sa présence à leur table principalement parce qu’Einar l’y avait invitée. Mais aucun n’avait vraiment interagi avec elle. Et elle en comprenait bien la raison.
Un soir vers la fin de la deuxième semaine, elle s’installa comme à son habitude et attendit que les six hommes viennent s’asseoir. Ils prirent place à l’autre bout de la petite table et, après un vague signe de tête, ils discutèrent entre eux et l’ignorèrent tout bonnement.
Elle prit une grande inspiration et attira leur attention. Six paires d’yeux se tournèrent vers elle et sa gorge s’assécha sous leurs regards sévères. Ils avaient tous le visage dur et fermé. Elle en surprit même un à sourire d’un air narquois. Elle ne pouvait pas les blâmer. Durant les trois jours en leur compagnie, elle n’avait fait que pleurer et les insulter, ne prenant jamais part aux tâches communes. Les quelques heures à rire sur son apprentissage n’étaient pas grand-chose alors qu’ils s’étaient occupés d’elle sans aucun remerciement de sa part. Les malentendus causés par la différence de culture l’avaient fait passer pour une princesse hautaine, ingrate et capricieuse. Elle voulait rétablir la situation. Elle se concentra sur son Íbúan et prit la parole.
« Je pas été correct avec vous. Vous hommes biens, prit soin de moi. Moi pas dire vous merci. Alors merci. Je beaucoup avoir chance. »
Elle se força à bien les regarder dans les yeux, chacun d’eux. Mais elle aurait voulu disparaître, se faire aussi petite qu’une souris pour que personne ne voie ses joues rougir d’embarrassement. Elle avait dit ce qu’elle avait à dire, n’attendant pas vraiment une réaction de leur part, elle retourna à son assiette tandis qu’ils reprenaient leurs discussions.
Mais le lendemain soir, au lieu de s’asseoir en bout de table, ils vinrent s’installer autour d’elle, la saluant chaleureusement. Ils l’inclurent dans leurs conversations et répondirent à ses questions comme le faisait Einar, l’aidant quand elle ne trouvait plus ses mots. Au fil des jours, elle apprit à les connaître. Elle découvrit que l’homme l’ayant conduit et soutenue devant son père s’appelait Olvir et qu’il était chasseur. Finn, plus âgé, avait deux petites filles de deux et quatre ans qu’il lui présenta un jour où ils se croisèrent au village. Elles avaient toutes les deux hérité des taches de rousseur de leur père. Askel et Asvard étaient deux frères aux yeux gris tellement clair qu’ils en étaient presque blancs, tous les deux travaillaient au port. Sigvald détestait le poisson et labourait un coin de ferme. Et enfin, Knut était forestier, surveillant les déplacements du gibier et autres créatures plus dangereuses.
Elle était surprise de voir qu’une si forte amitié avait pu s’opérer alors que chacun d’entre eux venait d’origines très différentes. Elle se demanda si leur voyage jusque chez elle n’y était pas pour quelque chose, mais elle rejeta bien vite cette hypothèse. Ces hommes se connaissaient depuis longtemps et leurs liens étaient profonds. Cette réalisation la fit se sentir privilégiée. Bien sûr, ils parlaient avec toutes sortes de gens, mais qu’ils aient finalement accepté sa présence à leur table ne semblait pas anodin.
Si sa relation avec les six guerriers s’était améliorée, ce n’est pas pour autant que tous les Íbúa l’accueillaient à bras ouverts.
Un matin, alors qu’elle accompagnait Astrid à la bergerie pour une affaire de mouton malade, elle se fit bousculer violemment par un homme presque aussi grand qu’Olvir. Avant de comprendre ce qui lui arrivait, elle se retrouva étalée de tout son long sur le bord du chemin. Il ne fit même pas mine de la voir et continua sa route.
Mais c’était sans compter sur Astrid qui l’interpella vivement.
« EH ! Tas d’neige ! Ça t’écorcherait le groin de dire pardon ? »
L’homme se figea, il était aussi large que haut et sentait la bière rance. Ishta, s’étant relevée tant bien que mal, tira sur la manche de la jeune fille en l’implorant de se taire. Elle n’osait pas imaginer ce que ce point gigantesque pourrait faire sur le visage fin d’Astrid et redoutait d’autant plus ce que Toumet lui ferait à elle s’il arrivait quoique ce soit à sa fille. Mais Astrid ignora tout bonnement ses supplications et reprit.
« Ta mère t’a pas appris la politesse ? Ou tu nous crois trop stupides pour voir que tu l’as fait exprès ? C’est quoi ton problème ? »
Le silence se fit autour d’eux alors que tous les passants observaient la scène.
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