Hiurda La Bête de la Terre des Rois Cicatrices - Partie 1

Cicatrices - Partie 1

« Ishta, Toumet pas être fâchée, lui dit Einar. Elle peur toi malade avec le froid. Moi aussi. »

Il avait utilisé son prénom pour la première fois. Sans son titre. Était-ce une bonne chose ? La fille de Toumet recula, laissant Ishta seule devant le guerrier et à la femme du chef. Elle regrettait presque le réconfort apporté par ses bras. Elle prit une dernière inspiration et trouva enfin ses mots.

« Messire, est-il possible pour moi de m’habiller seule ? »

Einar parut surpris par la question. Il se tourna vers Toumet pour lui traduire, après une courte discussion il répondit :

« Tu besoin soin pour muscle. Comme Ulrik fait, mais encore plus. Toumet sait faire. Tu aime mieux que ce soit une dame qui fait, non ? Laisse Toumet aider toi. Elle pas faire de mal à toi. Tu dois changer vêtement aussi, avoir chaud. »

La question était directe et le message clair. Elle pourrait protester autant qu’elle le voudrait, elle ne devrait pas moins obéir.

« Bien, Messire. » 

Einar semblait satisfait puisqu’il repartit vers l’escalier. La jeune fille blonde l’ayant réconforté plus tôt s’approcha d’elle. 

« Je Astrid. » 

Elle lui caressa gentiment la joue et attrapa le bord de la fourrure. Quand elle se plaça dans son dos, Ishta dut rassembler tout son courage en une grande inspiration pour l’autoriser à retirer la cape. Astrid ne put retenir une exclamation de stupeur qu’elle étouffa dans sa main. L’humiliation s’empara d’Ishta alors que chacune des femmes présentes se précipita derrière elle et poussa un cri à la vue de son blason non achevé. Elles se mirent toutes à parler en même temps et leur voix devint un bourdonnement sourd aux oreilles de la jeune fille. Elle se revit au Saam’Raji, habillée dans sa robe de fiançailles, piétinant d’impatience à l’idée de revoir le fils de Sichuna, insouciante et inconsciente de ce qui l’attendait dans les mois à venir. Ses joues brûlaient de honte et elle aurait tout donné pour sauver le peu de dignité qu’il lui restait. 

Mais elle n’avait plus rien à offrir à personne et les Dieux n’écoutèrent pas ses prières. Toumet commença à donner des ordres à ses filles et ce n’est que quand elle mentionna de nouveau Einar qu’Ishta reprit ses esprits. Elle devait tout faire pour empêcher Toumet de répandre la nouvelle. Aussi elle se jeta à ses pieds, en pleurs, s’accrochant à sa jupe, secouant la tête et priant pour que la femme comprenne quelques bribes de la langue de l’Empire.

« Non ! Ma Dame, pas Einar ! Pitié ma Dame, nüo Einar ! Nüo Einar ! Par pitié ! Je serai obéissante et docile ! Ayez pitié… »

Maudit soit son père ! Maudit soit son blason ! Maudit soit ce monde ! Maudites soient ses joues pleines de larmes et maudite soit-elle pour ramper et supplier de la sorte une nouvelle fois !

Toumet la remit sur pied et tenta de la calmer en lui parlant d’une voix douce.

« Nüo Einar, toh vei bièn. Nüo fa quèst nüo vuö. Nüo Einar. »

Elle prit le visage d’Ishta dans ses mains et déposa un baiser sur son front, puis passa ses bras autour de ses épaules pour l’emmener sur le lit. Pourquoi était-elle aussi affectueuse ? Pourquoi n’en profitait-elle pas pour rire de la nouvelle concubine et l’humilier ?

Au lieu de ça, elle coucha Ishta sur le côté et s’installa sur le bord du lit tout contre elle. Elle lui parla en continu d’un ton calme et réconfortant, lui caressant les cheveux ou la joue. Mais Ishta ne parvenait pas à s’apaiser, répétant en boucle la même supplique. Elle n’avait aucun moyen d’être sûre que Toumet la comprenait, mais elle s’accrochait à ces quelques phrases comme à une bouée. 

Elle sentit des mains fraîches retirer les bandages collés à son dos. Certaines plaies parmi les plus fraîches avaient saigné de nouveau durant le voyage et Ishta avait eu bien d’autres préoccupations que de changer les linges souillés. Malgré toute la délicatesse qu’Astrid y mettait, la douleur fit tressaillir Ishta. Ce n’était qu’un détail s’ajoutant à sa fatigue, son angoisse et ses muscles durcis par l’effort des derniers jours.


Tout en continuant de lui parler à voix douce, Toumet la déshabilla et l’accompagna jusqu’à une baignoire de bois remplie d’eau fumante et odorante. Tremblante de froid et d’épuisement, sans l’aide des femmes, elle se serait étalée par terre en voulant enjamber le bord du bac. Enfin, une fois immergée dans l’eau chaude, tout son corps se détendit en une fois et elle se mit à pleurer, encore.

Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était effondrée en larme ces derniers mois. Les cinq femmes assises à genoux autour du bac lui parlaient calmement à tour de rôle. La bienveillance et la douceur l’entouraient et ces femmes la laissaient perplexe. Non pas qu’elle aurait préféré les coups et les cris. Mais comprendre les intentions des gens avait toujours été un besoin vital pour elle. Dans un monde où la violence pouvait arriver de n’importe où, il fallait savoir anticiper les humeurs des autres. Or, elle n’avait pas les outils nécessaires pour déchiffrer l’attitude des Íbúa. Elle se sentait comme aveugle dans un endroit où elle n’avait aucun repère.

Cependant, elle devait se rendre à l’évidence, les choses ne fonctionnaient pas de la même façon que chez elle. Il était flagrant que les femmes possèdent ici bien plus de libertés. Mais jusqu’où allait la différence ? Comment connaître les limites de ce qui lui était autorisé de faire ? Vivrait-elle dans la peur constante d’un jour les dépasser sans le savoir ? Quelles en seront alors les conséquences ? Il lui faudra beaucoup d’observation de ce nouvel environnement pour en apprendre les règles. En aura-t-elle l’opportunité avant qu’on ne lui reproche ses erreurs ?


Ses larmes finirent par se tarir et elle entendit des voix venant de la grande salle en dessous. Une odeur de nourriture envahit ses narines et elle comprit qu’il était bientôt l’heure du repas. D’un geste peu assuré, elle entreprit de laver ses cheveux. Autour d’elle ne restaient que Toumet et Astrid qui s’émerveillèrent devant ses longues boucles noires. Chacune voulut les toucher et jouer avec quelques mèches. Le moment était agréable et Ishta se laissa faire volontiers, mettant de côté ses angoisses qui ne l’avaient menée nulle part jusqu’ici.

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1 commentaire

Mélanie Nadivanowar

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Il y a un an

J'aime bcp ce nouveau peuple vraiment bienvaillant☺️☺️. J'espère que Ishta va moins vivre dans la peur
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