Fyctia
Défi - Partie 3
Le malaise dura encore quelques instants avant que Toumet ne s’approche d’Ishta dans l’intention évidente de l’aider à se déshabiller. La jeune fille prit peur, recula et s’agrippa au manteau de fourrure, lâchant la jupe qui tomba sur le sol au pied de Toumet. Tout son corps se figea, les yeux fermés, la tête baissée se préparant aux cris et coups inévitables. Mais rien ne se passa.
Toumet prit la parole, doucement.
« Toh Vei bièn. Sè te guard atraouré da te, tuo va gellaci. Nüo fa quèst nüo vuö. »
Ishta rouvrit les yeux alors que Toumet s’approchait à nouveau. Ishta recula d’autant. Toumet prit un air consterné et se tourna vers la plus jeune de ses filles.
« Fietch Einar, oun necess dielect buon. »
Einar ? La jeune fille partit précipitamment vers l’escalier. Allait-elle chercher Einar ? La panique s’empara d’Ishta alors qu’elle réfléchissait à toute vitesse. Elle devait trouver un moyen de se sortir de là au plus vite, si Einar lui ordonnait de se changer, elle ne pourrait échapper à ce cauchemar. Certes, faire de Toumet une alliée aurait été l’idéal, mais la jupe de laine blanche par terre venait de mettre un terme à tout espoir de ce côté-là. N’importe quelle femme un peu à cheval sur son statut serait fâchée de voir son premier présent au sol. Et quelle femme n’était pas à cheval sur son statut ?
Ce chemin vers la sécurité étant largement compromis, Ishta se devait de gagner du pouvoir par la force. Et cela commençait par imposer sa volonté ici et maintenant, avant qu’un homme ne s’en mêle. Alors que Toumet faisait un nouveau pas vers elle, Ishta se redressa et la regarda droit dans les yeux, comme elle avait vu tant de concubines le faire. Le message ne pouvait être plus clair. Mais elle fut prise de court, au lieu d’être en colère d’avoir été défiée, Toumet s’adoucit tout à fait et lui sourit. Était-ce de la tendresse dans son regard ? Ishta ne comprenait pas. Non, ce devait être de la pitié.
Des bruits de pas lourds se firent entendre dans l’escalier. Voilà pourquoi Toumet souriait, elle savait qu’elle avait gagné. Ishta n’avait même pas eu le temps de se battre que le combat était déjà fini. Remonter dans les bonnes grâces de Toumet était impensable après avoir rejeté son présent, même involontairement, et son premier défi était perdu avant d’avoir commencé. Elle ne pouvait escompter imposer sa volonté en présence d’Einar. Toumet avait eu un coup d’avance. La panique comprima sa poitrine et elle se força à respirer lentement. Elle ne pouvait, en plus du reste, subir l’humiliation de s’évanouir devant ces femmes.
Einar entra dans la pièce, anéantissant tout espoir pour Ishta de gagner du pouvoir avant de dévoiler son blason. Elle ne vaudrait désormais guère mieux qu’une esclave, fille de l’Empereur ou pas.
Des larmes ruisselaient sur ses joues et elle tenait sa cape fermement contre elle, dernier rempart la séparant d’une nouvelle humiliation. Elle ne comprenait pas les paroles de Toumet, mais sa voix pleine de douceur la mettait hors d’elle. Pourquoi feignait-elle de s’inquiéter quand intérieurement elle devait jubiler de sa victoire ? Certes, la femme de Leif ne savait pas ce qu’Ishta cachait, mais ce ne pouvait que l’aider à asseoir son pouvoir. Par sa réaction de recul instinctive, Ishta avait dévoilé l’importance de ce qu’elle tentait de dissimuler.
Einar finit par se tourner vers elle. Les yeux rivés sur le jupon blanc toujours au sol, elle se crispa inconsciemment, son corps se préparant à recevoir des coups. L’homme ne fit que prendre la parole.
« Dame, tu besoin être habillé plus chaud. Toumet donne vêtement à toi. Pas avoir peur, tu prends. »
Ishta ramassa le jupon et le serra contre sa poitrine tout en maintenant fermement sa cape de l’autre main. Elle n’avait jamais eu l’intention de refuser le cadeau, mais elle ne savait pas comment l’expliquer à Einar quand celui-ci ne l’avait autorisée à parler.
C’est là que la stupidité de la situation la frappa. Einar avait passé trois jours à encourager Ishta à poser des questions pour mieux comprendre sa nouvelle patrie. Maintenant qu’elle y était, allait-elle retomber dans ses anciennes habitudes et rejeter toute avancée qu’elle avait faite jusqu’à présent ?
Aux enfers d’Ashung si elle allait laisser faire ça ! Elle se revit sur Hakon, riant avec Ulrik. Après une grande inspiration, elle prit la parole.
« Il ne m’est pas venu l’audace de refuser Messire, je n’oserais pas froisser ma Dame. Je… »
Elle ne sut comment continuer. Les mots lui manquaient pour expliquer son comportement. Comment expliquer que son corps agissait seul, par habitude ? Comment expliquer la honte d’avoir été ignorée, battue, souillée puis rejetée sans égard pour ce que serait le reste de sa vie ? Comment expliquer qu’elle ne souhaitait pas être l’ennemie de Toumet, mais que les circonstances l’y forçaient pour survivre ? Comment expliquer qu’elle ne pouvait retirer sa cape sous peine d’être la risée de tous, sans expliquer pourquoi elle deviendrait la risée de tous ?
Elle reprit de l’air à plusieurs reprises, chaque fois sur le point de s’exprimer, mais ne trouvant jamais les mots. Une des filles de Toumet la prit dans ses bras. Il n’était pas possible de se méprendre, son geste était tendre et affectueux. La jeune fille lui caressa la tête tout en la serrant plus fort et murmurant des paroles apaisantes. Ishta était confuse, elle ne savait pas comment réagir face à cette situation inattendue. Elle se concentra sur les longs cheveux blonds de la jeune fille qui sentaient bon l’air frais et le foin, plutôt que sur ce qui se passait autour d’elle. Son corps se détendit petit à petit alors Einar et Toumet échangeait quelques mots à voix basse.
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