Fyctia
Cercle de pierre - Partie 3
Quand tous furent installés et grimés de noir, les chevaux se dirigèrent vers le centre du cercle. Alors qu’ils se rapprochaient, elle comprit son erreur. Toutes n’étaient pas des pierres informes. L’une d’entre elles, la plus imposante, était en réalité une statue représentant une femme habillée d’une armure étrange. La roche était vieille et abîmée, il lui manquait un bras et celui qui restait tenait une lance aussi haute qu’elle. Quelque chose qu’Ishta ne put définir dépassait de son dos et une couronne simple était posée sur son front.
Hakon avait depuis longtemps pénétré le cercle quand Ishta réussit enfin à décoller ses yeux de la statue colossale.
Et elle comprit alors comment ils avaient pu traverser le Saam’Raji en une journée.
Les guerriers s’écartaient respectueusement alors qu’Ulrik dirigeait Hakon autour du cercle. S’arrêtant quelques instants devant chaque espace entre les pierres. Et chaque fois que le cheval se plaçait, le paysage autour d’eux changeait du tout au tout. Un coup ils se retrouvèrent au milieu d’une forêt dense et humide, l’odeur d’humus assaillit ses narines tandis qu’elle entendait au loin le cri d’un aigle. Hakon fit quelques pas, et la forêt se dissipa pour laisser place à un désert ardent. Une chaleur intense s’abattit sur elle alors que les rayons brûlants des deux soleils lui cuisaient les joues. Mais déjà, Ulrik conduisait le cheval vers l’espace suivant et la nuit tomba d’un coup. Perchée en haut d’une falaise face à la mer, le vent salé s’engouffrant dans sa capuche, elle pouvait voir les reflets de la lune sur l’eau agitée.
Elle ne comprenait pas par quel prodige le monde changeait autour d’elle, la seule constante étant le cercle de pierre et les guerriers qui patientaient à l’intérieur. Visiblement, ils attendaient qu’Ulrik leur ouvre le chemin. Celui-ci fit avancer Hakon vers une nouvelle route et Ishta sut que c’était la bonne.
Le cercle de pierre se trouvait désormais sur un petit plateau à flanc de falaise, offrant une vue dégagée sur le paysage en contrebas. Le bras d’un lac s’enfonçait profondément entre les sommets enneigés. De l’autre côté de la rive, une plaine s’étendait au pied des montagnes, partiellement recouverte par une forêt dense qui s’engouffrait dans la vallée, s’éloignant à perte de vue.
Il lui fallut quelques instants pour que ses yeux s’habituent à la lumière éblouissante, les rayons de Pahala se reflétant sur l’eau et la neige omniprésente tout autour. Enfin, elle aperçut ce que la luminosité lui avait caché. Sur la plaine, au bord du lac, se dressait un village. Elle pouvait distinguer de la fumée s’échappant des constructions en bois, observer l’activité animée sur les pontons du port, tandis que plusieurs voiles carrées et colorées flottaient au loin.
« Jorundarholt » murmura Ulrik avant de s’engager sur le chemin.
Des rires et des cris d’allégresse s’élevèrent tout autour d’elle. Les Íbúa étaient heureux de rentrer et ils le faisaient savoir. Elle aurait aimé se réjouir avec eux, contente d’enfin revenir dans un lieu où elle se sentirait bienvenue et chez elle. Mais à la vue du village, son cœur se serra. Elle contempla les quelques kilomètres de neige qui la séparait encore de son futur mari. Tous les questionnements qu’elle avait réussi tant bien que mal à mettre de côté se bousculaient désormais dans sa tête. Comment les femmes allaient-elles l’accueillir ? Le chef qu’elle devait épouser était-il déjà marié ? Ne serait-elle qu’une concubine ? L’épouse essayerait-elle de la tuer comme l’avait fait l’Impératrice avec sa propre mère ?
Quant à son époux, capable de faire trembler les huit guerriers les plus terrifiants qu’elle ait jamais vus ? Eh bien, elle préférait tout simplement ne pas y penser. Elle devait se concentrer sur le contrôle de sa panique et garder la tête froide. Sa priorité était de se présenter d’abord aux femmes. Elle aurait tout le temps de s’occuper du reste plus tard.
Ils avaient entamé la descente de la montagne et le chemin étroit était balayé par les vents. Ishta avait l’habitude de la lumière intense des deux soleils, mais la luminosité froide et blanche renvoyée par la neige était d’un tout autre niveau. Bientôt, ses yeux ne purent en supporter davantage et elle se retrancha à l’intérieur de la cape d’Ulrik. Confortablement installée, elle posa sa tête contre la poitrine du guerrier. Sa respiration calme apaisa la jeune fille, à l’abri de l’air glacial et de la lumière, elle se laissa bercer et sombra dans un sommeil léger et agité, se réveillant à moitié à chaque éclat de voix.
Après un trajet qui lui parut interminable, elle entendit au loin le son de conversations animées alors que tout autour d’eux s’élevait des bêlements et des rires d’enfants. La curiosité prit le dessus et elle sortit la tête de la cape. Ils traversaient un troupeau de moutons d’un pas lent et une dizaine de gamins de tout âge vêtus de laine couraient en tout sens sur le chemin autour des chevaux, interpellant les guerriers. Ishta dut y regarder à deux fois pour s’assurer de ce qu’elle avait vu, mais oui, filles et garçons jouaient et riaient de concert. Celle-ci portait-elle réellement un pantalon ? Non, ce ne pouvait pas être une fille…
« Sioù a cui, Sjel. »
Ishta pouvait entendre le grand sourire d’Ulrik sans même le voir. Pas besoin de traduction pour comprendre qu’ils étaient arrivés.
Au bout du chemin, Ishta vit les premières maisons en bois et, rassemblés à l’entrée, un petit groupe d’hommes et de femmes attendaient avec impatience leur arrivée.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent sur la place du village donnant sur le port, au milieu d’une petite foule formant un cercle respectueux autour d’eux, attendant qu’ils descendent de cheval. L’humeur était à la joie et les rires se mêlaient au son des discussions.
Les voix de femmes se mélangeaient à celles des hommes et elles ne se gênaient pas pour plaisanter avec tout le monde. Ishta en était encore à digérer ce simple fait quand Ulrik la souleva pour la poser à terre. Elle ne s’était même pas aperçue que le guerrier n’était plus derrière elle. Aussitôt les enfants vinrent s’agglutiner autour de ses jambes en lui posant mille questions qu’elle ne comprenait pas. L’un lui caressa les cheveux tandis qu’un autre lui prenait la main en riant, tous parlaient en même temps et leur bonne humeur contagieuse prit le pas sur ses inquiétudes, elle se mit à rire avec eux alors qu’une petite fille entreprit de la faire danser. Petite n’était peut-être pas le terme approprié. Par les traits de son visage, l’enfant ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans, mais il ne lui fallait pas beaucoup lever les yeux pour être à la hauteur d’Ishta. Perchée sur le dos d’Hakon, il était facile de ne pas le voir, mais les pieds bien sur terre, l’évidence s’imposait. Les Íbúa étaient grands, femmes et enfants compris.
Soudain la foule se tut et Ishta prit conscience de son comportement.
2 commentaires
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an