Fyctia
Cercle de Pierre - Partie 2
Ulrik lui lâcha la cheville et aussitôt elle recula le plus loin possible de lui. Sa cape resta sur place et elle se retrouva à ramper dans la neige, ses voiles de coton trempés et glacials sur sa peau. Elle reprit sa respiration et le calme revint soudain à ses oreilles. Elle ne se rappelait même pas avoir crié. Autour du feu, les guerriers s’étaient figés, mais elle n’osait toujours pas les regarder. Lequel d’entre eux viendrait pour appliquer la sentence ?
C’est Einar qui fit quelques pas vers elle. Mais au lieu de donner des coups, il prononça quelques mots.
« Dame, tout va bien. Nous fait rien à toi. Juste soin. »
Il retira sa cape et s’approcha de nouveau un peu, le vêtement de fourrure à la main. Le froid la transperça soudain jusqu’aux os et elle se mit à grelotter violemment. L’homme n’attendit plus pour parcourir les derniers mètres les séparant, il l’enroula dans le menteau de laine et la ramena près du feu tout en lui parlant calmement.
« Tu as pas danger ici. Nous on frappe pas toi. On prend pas toi. Ulrik rien faire à toi. Il juste soigner tes jambes pour que tu dors bien. Et si lui pas soigner, toi demain pas pouvoir marcher ou être à cheval. »
Petit à petit, la raison reprit le dessus. Les guerriers n’avaient été rien d’autre qu’avenants envers elle jusqu’ici. Pourquoi changer d’habitude soudainement ? Ils n’y gagnaient rien. Le froid s’était infiltré jusqu’à ses os et elle se mit à trembler de manière incontrôlable. Si Ulrik voulait réellement se soulager comme les soldats le faisaient avec les servantes, ce n’est certainement pas ses piètres coups de pied ou ses pleurs qui l’en auraient empêché. Pourquoi prendre la peine de la réchauffer et tenter de la calmer s’ils comptaient la battre à mort ensuite ?
Elle était de nouveau auprès du feu, Einar s’était assis, mais ne l’avait pas lâché pour autant. Posée comme une enfant sur les genoux en tailleur du guerrier, elle se sentit bête et ça la mit en colère. Sa peur avait été légitime. Pourquoi devrait-elle avoir honte ?
« Je être là, Ulrik va soigner jambes à toi, tu d’accord ? »
C’est alors qu’elle vit ce qu’elle n’avait pas remarqué la première fois, le pot d’onguent et les lanières de cuir que le géant tenait en main. Elle se laissa faire quand il vint lui prendre la cheville pour étendre sa jambe et avec une infinie douceur il déroula les lanières de fourrure et lui enleva ses chaussures. Aussitôt, la vie revint dans le camp. Les guerriers reprirent le cours de leurs tâches et une bonne odeur de nourriture se répandit dans les airs.
La soirée se termina dans un brouillard opaque pour Ishta. La chaleur, les soins, le ventre plein, elle s’endormit avant d’avoir compris ce qui se passait.
Le matin du lendemain commença comme celui de la veille, mais Ishta voyait l’agacement des guerriers dans chacun de leurs gestes. Les échanges étaient plus courts, plus secs, plus nerveux. Les rires avaient disparu et elle n’avait pas besoin de lever les yeux de ses pieds pour imaginer les regards en coin à son attention. La tranquillité qu’elle avait ressentie autour du feu était un lointain souvenir et elle ne comprenait pas ce qui les avait retenus hier de la punir s’ils étaient tellement en colère de son attitude. Pourquoi faire preuve de temps de prévenance la veille, si tous la méprisaient le lendemain ? Avait-elle confondu bonté et devoir ?
Mille raisons lui vinrent en tête, mais l’une d’entre elles était plus probable que les autres. Sans doute que son futur mari devait avoir un tel contrôle sur son peuple que personne n’eût osé aller contre ses souhaits. Le soulagement de se savoir en relative sécurité fut vite effacé quand elle comprit que la protection ne serait que de courte durée. Qui alors le préserverait de ce mari terrifiant ?
Le départ se fit dans le silence et il continua tandis que Pahala montait haut dans le ciel, ses rayons perçant à travers la cime des arbres de la forêt qu’ils traversaient. Le ventre d’Ishta commençait à protester alors que les hommes firent passer de la viande séchée. Ulrik lui donna sa ration, mais personne ne fit mine d’arrêter les chevaux et elle n’osa pas demander pourquoi.
Le chemin emprunté serpentait dans le bois à flanc de montagne depuis le matin. Ishta se demandait jusqu’où encore pouvaient-ils bien grimper, cette pente devait avoir une fin. Pahala resplendissait dans le ciel immaculé, mais l’air n’en était pas moins glacial. Et plus ils montaient, plus la cape avait du mal à la maintenir au chaud.
Au bout d’une heure ou deux, la forêt stoppa brusquement laissant place à un plateau large se terminant par une falaise donnant sur… Rien.
Avaient-ils atteint le bout du monde ?
« Nous être arrivés, lui murmura Ulrik. »
Arrivés ? Déjà ? Elle n’y connaissait pas grand-chose en géographie, mais elle savait que pour atteindre les territoires barbares, enfin, les territoires du Konungalands, se corrigea-t-elle, il fallait plusieurs semaines de voyages depuis la capitale. Or, ils ne chevauchaient que depuis deux jours.
Et puis, arriver où ? Elle ne voyait rien d’autre qu’un cercle de pierre sur ce plateau. Alors oui, elles étaient imposantes, certaines faisant jusqu’à trois fois la taille d’un homme, mais cela ne ressemblait pas à une ville. Même pas à un hameau.
Pourtant tous les guerriers mirent pied à terre. Ils se passèrent entre eux un pot en terre cuite contenant une pâte noire et graisseuse qu’ils appliquèrent d’un geste expert autour de leurs yeux. Quand vint le tour d’Ulrik, il en profita pour badigeonner généreusement Ishta. La mixture lui rappelait la poudre de khôl que les gens du désert étendaient en bande fine sur le bord des paupières à l’aide d’une petite baguette fourchue. Elle trouva la méthode íbúan bien plus pratique à utiliser, mais le résultat était nettement moins beau. Les femmes du désert se servaient du khôl comme maquillage, créant des arabesques descendant parfois sur les joues ou le nez.
Dans le désert, le khôl était vital, protégeant les yeux de la lumière rebondissant sur le sable. Et, avec ce qu’elle avait vu jusqu’ici, elle comprit vite que la neige devait en faire autant.
Enfin, ils remontèrent tous à cheval. Ulrik mit la capuche d’Ishta en place, la serra un bon coup et modifia sa position sur la selle. Elle se retrouva les genoux relevés contre sa poitrine, presque roulée en boule dans sa cape de fourrure, appuyée contre le torse du guerrier. Puis il prit les pans de la cape qu’il portait encore et les enroula autour de la jeune fille. Seul le haut de sa tête dépassait désormais, lui permettant ainsi de voir le paysage et la route devant eux.
« Nö, froid est døthich, dit Ulrik, l’air sévère. »
L’homme avait parlé en Íbúan et, même si elle ne comprit pas bien le dernier mot, elle s’apprêta à affronter un froid encore plus terrible. La tête posée contre la chemise en laine du guerrier, entourée de deux capes des plus épaisses, elle se sentait comme dans un petit cocon de sécurité.
6 commentaires
Ordalie
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an