Hiurda La Bête de la Terre des Rois Cercle de Pierre - Partie 1

Cercle de Pierre - Partie 1

L’après-midi continua comme il avait commencé. Ishta désignait avec entrain telle fleur ou tel objet ou tel animal et Ulrik lui en donnait la traduction. Parfois, il essayait de lui expliquer des concepts plus complexes, mais ne connaissant que peu de mots dans la langue de l’Empire, l’exercice se terminait bien souvent en fou rire. Jamais encore elle n’avait ri ouvertement devant un homme. Encore moins avec un homme. De par leur position sur le cheval, elle ne le voyait pas et, bien vite, elle en oublia même à qui elle parlait.

Ulrik paraissait apprécier le jeu et s’amusait de temps en temps à l’interroger sans prévenir sur des termes déjà vus, plaisantant gentiment si elle venait à se tromper. Mais ça arrivait rarement et son vocabulaire sur la faune et flore de montagne grandissait de manière incroyable. Elle avait également appris à compter et à nommer les jours de la semaine grâce à l’aide momentané d’Einar lorsque celui-ci remontait la colonne jusqu’en position de tête. Sa bonne humeur se propagea bientôt au reste du groupe et d’autres guerriers se mirent à proposer tel ou tel mot. Elle finit par devoir deviner à quel objet pouvait bien correspondre le terme qu’un des hommes venait de suggérer.

Ce n’est que quand Ulrik désigna Pahala, solle en Íbúan, que l’évidence lui sauta enfin au visage. Elle commença à scruter le ciel, mais aucune trace de l’astre manquant. Doosara n’était nulle part. Quelques rires s’élevèrent autour d’elle alors qu’ils comprirent ce qui la dérangeait.

« Cì a oun suolla solle, dit-il. Doosara nüo. Derrière dol montagnes. »

Comme ça, Doosara ne sortait pas de derrière les montagnes. Étrange. Prise par la curiosité, elle comptait bien questionner Einar dès que possible lors du repas du soir.



La falaise avait laissé place au flan de la montagne, le chemin étroit s’était transformé en un sentier plus large. Et, bien que la pente soit raide, la route était quand même bien plus praticable pour les chevaux. Elle leur offrait également bien plus d’endroits confortables où s’arrêter. Il leur fallut un moment pour installer le campement. Un jeune arbre fut abattu afin de servir d’alimentation et de base pour le feu, car la couche de neige était bien trop épaisse. Celle-ci fut tassée sur un vaste cercle autour et ils firent des amas de branches d’épicéas pour les isoler du froid au moment de dormir.

Prise dans l’euphorie de sa folle journée, Ishta se mit à tasser la neige avec tout le monde. Mais ces petites chaussures du palais n’accrochaient pas comme il le fallait et elle s’enfonçait bien trop facilement. Sans parler de la cape gigantesque qu’elle ne parvenait pas à maintenir en place. Elle avait l’impression d’être une enfant déguisée avec les vêtements de sa maman. Sa frustration se transformait doucement en colère simple, alimentée par les rires des hommes autour d’elle. Ne voyaient-ils pas qu’elle y mettait du cœur ?

Un des guerriers finit par l’attraper à bout de bras, la poser sur le tronc d’arbre.

« Siedù ! »

Elle ne connaissait pas le mot, mais le geste de la main et le ton autoritaire suffirent à lui faire comprendre qu’on lui demandait de rester assise. Elle se sentait mise à l’écart comme une enfant capricieuse. L’humiliation lui fit chauffer les joues une nouvelle fois. Emportée par le sentiment de liberté ressenti dans l’après-midi, elle s’était laissée aller et avait dépassé les limites du raisonnable. Comment avait-elle pu être aussi écervelée ?

La honte laissa doucement place à la panique. Lui retireront-ils les privilèges octroyés durant la journée ? Lui sera-t-il permis de poser des questions comme avant ? De parler comme avant ? De rire ? Elle avait été trop avide. Ils s’étaient bien amusés de ses balbutiements et de ses erreurs, mais désormais ils avaient vu jusqu’où allait son inconvenance et ils s’étaient lassés. Elle maudit les quelques larmes qui coulèrent le long de ses joues et les essuya d’un geste rageur. Elle ne s’aperçut de la proximité d’Einar que lorsqu’il prit la parole.

« Dame, vous bien ? »

Allait-elle bien ? Non. Pouvait-elle se permettre de se plaindre ? Non.

« Oui Messire, tout va bien. Merci de vous préoccuper d’une petite chose comme moi. »

Ishta se recroquevilla sur elle-même alors qu’Einar serrait les poings de colère, le geste était à peine perceptible, mais elle avait l’habitude de chercher les premiers signes d’exaspération. L’homme soupira avant de reprendre.

« Dame, tes jambes, mal ? »

Pourquoi aurait-elle mal aux jambes ? C’est le cheval qui avait marché, pas elle. Devant son manque de réponse, Einar précisa.

« Froid et cheval ça faire mal au dos et aux jambes. Toi tu te lèves, va au feu et si tu mal, tu dis. »

Elle comprit son erreur quand elle se redressa. Engourdie par le froid, elle ne sentait presque plus ses pieds, les muscles de ses cuisses étaient durs comme du bois et lui tirèrent des douleurs terribles jusque dans le bas du dos. Impossible dans ces conditions de trouver son équilibre, elle dut s’appuyer sur le bras que lui présentait Einar. Une fois debout, la seule idée de marcher les quelques mètres la séparant du feu lui fit monter les larmes aux yeux.

« Dame, je sais ça être très difficile, mais muscles doit pas être froid. Déjà trop longtemps on a attendu. Tu marches, je suis là, je te tiens. Après tu mets pommade et avec chaleur c’est mieux. »

Les paroles étaient douces. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu’on lui ait parlé avec tant de bienveillance. Même Ning, alors qu’il disait la soigner, ne montrait pas autant de compassion. La réalisation de ce simple fait lui fit couler des larmes plus amères que la douleur.

Le chemin jusqu’au feu lui parut incroyablement long. Là, sur un tapis de feuilles de pin embaumant l’air et étourdie par la chaleur soudaine, le poids de sa fatigue et de sa tristesse la rattrapa de nouveau. Incapable de s’arrêter de pleurer, elle ne comprit pas ce qu’Ulrik tentait de lui dire. À peine pouvait-elle l’entendre à travers ses sanglots. Mais alors le géant glissa une main sous sa cape, saisit sa cheville et la ramena vers lui.

Il n’avait pas été brusque, mais elle reconnut le geste pour l’avoir vu mille fois dans la salle d’attente des bureaux de son père. Avant d’avoir pu réfléchir à ce qu’elle faisait, son corps se rappela sa dernière visite chez l’Empereur et elle donna des coups de pied répétés et paniqués sur le bras du guerrier. La réalité de son comportement la frappa, mais elle était incapable de se raisonner. Plutôt mourir que de sentir à nouveau ce sentiment de faiblesse et d’impuissance. N’importe quel homme avait le droit de la battre à mort pour s’être débattue, qu’importe à qui elle appartenait. Et bien qu’elle meurt.


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5 commentaires

Ordalie

-

Il y a un an

J'ai beaucoup de retard mais j'ai enfin lu ton chapitre, toujours aussi fantastique comme d'habitude <3 J'ai beaucoup aimé au début le fait qu'Ishta sorte autant de sa coquille pour apprendre la langue avec tout le monde. Mais par contre la fin T.T

Hiurda

-

Il y a un an

Merci 😁 Oui... Le découpage du chapitre tombe pile au bon moment n'est-ce pas ? 😂
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