Fyctia
Première Leçon - Partie 2
Einar avait eu raison de la prévenir, le froid était mordant. Même la cape épaisse et grande peinait à la maintenir au chaud. D’autant plus qu’elle avait du mal à la garder fermée tout en restant assise à sa place. Sa position en selle était précaire. Incertaine de la conduite à suivre, elle n’osait se coller de trop au guerrier derrière elle pour se stabiliser. Chaque mouvement un peu franc du cheval risquait à tout moment de la mettre au sol. Après un cahot plus violent que les autres où elle ne s’accrocha que de justesse au bras de l’homme pour ne pas tomber, Ulrik lui montra comment caler correctement ses jambes. Après quoi, il passa son bras droit autour de la taille de la jeune fille, la maintenant fermement contre lui. Elle put alors utiliser ses mains pour s’enrouler dans la fourrure et la tenir fermée.
La proximité d’Ulrik la mettait mal à l’aise, mais la position était bien plus confortable et elle put se détendre un peu tout en regardant le panorama. Les chevaux allaient au pas et Ishta comprit pourquoi ils avaient abandonné la calèche. Le chemin qu’ils suivaient était devenu étroit et grimpait le long de la montagne, lui donnant une vue plongeante sur la vallée en contrebas. Une rivière y coulait, serpentant entre rocher et buissons, aussi scintillante sous Pahala que la neige qui l’entourait. Sans même s’en apercevoir, elle s’était redressée pour observer le reste de la combe au-dessus du bras du guerrier. Alors d’un geste il lui montra le paysage en contrebas.
« Sanken »
Désignait-il la vallée ? Ou la rivière ? Mais alors son doigt en l’air suivit le cours d’eau en contrebas.
« Riù.
— Ah ! Sanken, vallée ! Et riù, rivière ! »
Contente d’avoir compris, elle s’était exprimée sans réfléchir. Aussitôt, la panique la prit, elle se recroquevilla sur elle-même et s’empressa de présenter ses excuses. Ulrik ne réagit pas et la suite de la matinée se passa dans le silence.
Ils s’arrêtèrent peu après le milieu de journée. Un petit renfoncement dans la falaise leur offrait un abri relatif face au vent. Ils partagèrent des gourdes d’eau et de la viande séchée. Bien que difficile à mâcher, elle avait été préalablement marinée dans une sauce salée et goûtue qui plut beaucoup à Ishta. Aussi mangea-t-elle avec plaisir le maigre repas. Ses jambes étaient engourdies et elle serait sûrement tombée si elle avait essayé de descendre seule du cheval. Heureusement, Ulrik l’avait déposée à terre.
Elle était en train de savourer sa dernière lanière de viande séchée quand Einar vint lui parler, s’asseyant en tailleur à ses côtés.
« Dame, dans pays à nous, tu droit de parler à nous. Tu droit de demander choses à nous. Si tu parles pas, tu jamais apprends langue. »
Le guerrier se tut et Ishta se retrouva perplexe. Venait-il de l’autoriser à prendre la parole comme elle le souhaitait ou juste de s’adresser à eux pour des questions concernant son apprentissage de la langue ? Elle retraça son temps passé avec les barbares jusqu’ici et dut admettre qu’elle n’avait jamais côtoyé autant d’hommes aussi longtemps sans recevoir de coups ou de remontrances. Elle avait bien récolté quelques grognements de mécontentement face à son attitude, mais rien de plus.
Durant toute son enfance, elle se situait entre deux états, soit elle était de trop, soit elle était invisible. Soit elle était disciplinée, soit elle n’existait tout simplement pas. Elle connaissait ses deux situations et savait comment se comporter face à chacune d’elles. Mais ici, elle était perdue quant à comment réagir. Aucune de ses transgressions n’avait été punie jusqu’ici. Jamais elle n’avait encore été remise à sa place ou même disputée. Une partie d’elle aimait à croire qu’elle ne le serait peut-être pas, alors qu’une autre partie s’attendait à tout instant à recevoir la somme des réprimandes dues.
Mais, là qu’elle en avait le temps et l’opportunité, elle y réfléchit plus posément et elle devait bien admettre que, si personne ne lui parlait, on n’ignorait pas pour autant sa présence. Les hommes lui servaient ses repas ou lui passaient une gourde d’eau comme ils le faisaient entre eux, on lui gardait une place pour s’asseoir ou l’on s’inquiétait qu’elle n’ait froid. Même au sein des cercles féminins, elle n’avait pas connu ça.
Tout comme l’univers des hommes, celui des femmes était régi par une hiérarchie bien établie. Il était tellement simple de tomber du statut de femme mariée à celui d’esclave que la frontière entre les deux était vigoureusement gardée et appuyée par toutes. Et une femme mariée n’était pas l’égale d’une autre. L’épouse d’un commerçant n’avait pas le même statut que celle d’un soldat, et ce, qu’importe sa fortune. Pour peu que son père ait eu une tâche plus basse encore et son statut baissait d’un cran au sein même des femmes de soldats.
Pour le Saam’Raji, le manque de hiérarchie, leurs peaux de bêtes et les habitudes simples des habitants du nord était une preuve flagrante de leur absence de civilisation, méritant ainsi leur titre de barbares. Elle était bien placée pour savoir que les fourrures étaient un choix plus pratique qu’esthétique et elle n’avait jamais été témoin de rapports aussi paisible entre individus. Même d’homme à homme. Et elle avait beau chercher dans ses souvenirs, aucun des guerriers qui l’entouraient ne semblait désigné comme chef des opérations. Personne ne donnait d’ordre à qui que ce soit. Chacun connaissait, apparemment, les tâches qu’il se devait d’effectuer. Si son nouveau peuple était à l’aune de ce qu’elle avait pu observer jusqu’ici, qu’on l’appelle barbare et elle porterait le titre avec fierté.
Mais elle ne pouvait continuer à les nommer barbares si elle souhaitait un jour faire partie intégrante de cette nouvelle société. D’autant plus si elle voulait avoir de l’influence. Einar avait raison sur un point, il lui fallait connaître leur langue. Elle ne pouvait non plus vivre éternellement dans la peur d’une possible punition que ne viendrait peut-être même jamais. Et si elle se faisait corriger, elle saurait au moins à quoi s’en tenir quant à leur parole, mais elle ne serait plus dans l’incertitude.
9 commentaires
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Ordalie
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an
Marion_B
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an