Hiurda La Bête de la Terre des Rois Manteau Blanc - Partie 1

Manteau Blanc - Partie 1

Prologue - Trêve Hivernale

Ulrik relisait la lettre, perplexe. Il pensait avoir l’habitude des décisions stupides prises par la Dod Varmt depuis le début de la guerre, mais celle-là dépassait toutes les autres. La nouvelle avait plongé la moitié des Ansatte dans la plus grande confusion.

Leif se frottait l’arcade sourcilière à l’endroit ou une ride avait poussée au cours des derniers mois. Ulrik le connaissait depuis plus de quinze ans et il devait admettre que le titre d’Ansatt lui allait bien. Seulement, toutes ses nouvelles responsabilités l’avaient vieilli, l’homme paraissait dix années de plus que son âge. La guerre se passait bien, mais réunir et diriger des clans qui se tapaient dessus depuis mille ans n’était pas mince affaire. D’un ton las, il prit la parole.

« À ce stade, je n’arrive pas à savoir s’ils se fichent de nous ou bien s’ils vivent, réellement, autant en dehors des réalités… Ces salauds ne se sont même pas posé la question de si j’étais déjà marié ou non ! »

Quelques éclats de rire incrédules se firent entendre. Ulrik parcourut des yeux la lettre une dernière fois avant de la transmettre au guerrier sur sa droite. En prenant en compte les coutumes étranges de l’Empire, la proposition n’avait rien de déplacé. Seulement, c’était une preuve de plus que la Dod Varmt se fichait bien de la culture de ses ennemis. Au Konungalands, la paix n’était jamais obtenue par le mariage. Ce ne serait rien d’autre qu’une prise d’otage d’un des deux époux. Inacceptable, pour qui estime les vœux d’union comme sacrés.

« D’un autre côté, dit un Ansatt qu’Ulrik ne connaissait pas. Ça réglerait le problème de la trêve hivernale. »

Le silence s’installa dans la salle.

Dans un mois et demi seulement, le temps ne permettra plus aux hommes du Konungalands de se déplacer. Les cercles de pierres allaient givrer, interdisant les voyages longues distances, et de violentes tempêtes de neige allaient recouvrir la Terre des Rois, faisant tomber la température assez basse pour faire geler la peau à même les os. Tout ça sans parler des steinrisi. Les géants de pierre profitaient de la nuit sans fin pour migrer d’une montagne à l’autre, en recherche d’un nouveau territoire de chasse. Pouvant à peine sortir de chez eux, ils allaient se retrouver dans l’incapacité de défendre le terrain durement gagné durant la guerre, ne pouvant les atteindre en cas d’attaque. Les hommes restant sur place étaient suffisants en nombre pour garder un certain contrôle sur leurs nouvelles terres, mais pas pour les défendre.

Accepter le traité de paix par mariage était une solution, mais ça n’aiderait pas leur image auprès des autres nations lorsque qu’ils devraient reprendre les combats au printemps. Personne ne voyait d’un bon œil un peuple n’ayant aucune parole. Or, le but entier de cette guerre était bel et bien d’établir des relations commerciales avec le reste du monde. Visiblement, Leif en était venu aux mêmes conclusions quand il reprit la parole.

« Nous ne serons pas plus avancés si les Îles Australes refusent de faire affaire avec nous à cause d’un traité de paix brisé.

— Mais nous n’aurons jamais aucun marché tant que la Død Varmt se tiendra entre nous et eux, répondit un autre. Faisons ce qui doit être fait pour atteindre l’autre côté du continent et il sera toujours temps de réparer les dommages causés par après. Marions la fille et le reste se fera tout seul.

— Ça ne règle pas la question du consentement. Depuis quand vendons-nous l’amour pour gagner la paix ? Tomberons-nous aussi bas qu’eux ? »

La discorde se répandit dans la salle alors que chacun tentait de faire entendre son point de vue. Le sujet était délicat, comment tirer parti de la situation sans perdre la confiance des familles marchandes. Leur image d’envahisseurs barbares était déjà largement popularisée, et les émissaires qu’ils avaient réussi à envoyer, tant bien que mal, au Conglomérat peinaient à redorer leur blason. La lettre retomba entre les mains d’Ulrik qui l’examina à nouveau.

« À quel point la traduction est-elle exacte ? »

Immédiatement, le silence revint dans la salle. Il n’avait pas élevé la voix, mais sa présence avait cet effet-là. Il était l’Ansatt des chamans depuis sa dixième année et son lien avec les esprits gardiens ne faisait aucun doute. Il avait passé sa vie à commander aux vivants comme aux morts. À sa voix grave et profonde s’ajoutait l’autorité naturelle qui se dégageait de lui. Leif leva un sourcil, surpris, avant de répondre.

« C’est Einar qui l’a reçu, la traduction est parfaite. »

Le silence se maintint alors qu’Ulrik réfléchissait à toute allure. Comme toujours avec la Dod Varmt, cette lettre contenait tant de métaphores et autres figures de style, que les termes de la demande en devenaient confus et imprécis. Cette trêve était invoquée de manière tellement subtile qu’il était facile de ne pas le voir. L’Empire les avait toujours jugés avec condescendance et cruauté, ne les considérant comme pas plus intelligents qu’une horde de bêtes. Autant leur donner exactement ce qu’ils attendaient.

« Il n’est question là que de mariage. À quel moment est-il mentionné un quelconque traité de paix ? »

Leif se pencha au-dessus de la table et attrapa la lettre d’un geste brusque. Le silence s’alourdit alors que l’Ansatt relisait les termes inscrits sur le parchemin. Un sourire narquois s’épanouit sur ses lèvres avant de disparaître et laisser place à son air soucieux habituel.

« Ça ne change rien, Sjel. Nous pouvons jouer aux idiots auprès de l’Empire, mais le Conglomérat nous verra alors comme tels.

— Sauf si, reprit Ulrik, notre réponse est si absurde que la Død Varmt passe pour des imbéciles de l’avoir seulement accepté. »

L’incompréhension se lisait sur les visages des guerriers rassemblés autour de lui. Aussi, il précisa.

« Pour le moment, restons aussi vagues qu’eux, acceptons leur généreuse proposition, mais ne précisons rien. »

Leif était visiblement confus et il perdait patience. Sa réponse fut sèche.

« On peut être aussi vague que l’on veut, ça ne change pas le fait que je suis marié. Et je ne vois pas en quoi ça les ferait passer pour des imbéciles. »

Ulrik sourit intérieurement, Leif n’avait pas pour habitude d’être impatient, mais la pression des derniers mois le rendait nerveux.

« Alors, laisse-moi finir, Sjel. » Reprit Ulrik d’une voix calme. « Avec l’hiver, les nouvelles du mariage n’arriveront à l’Empire qu’au printemps. Ishvar propose de marier sa fille à notre chef, il n’a jamais précisé lequel. »

Leif comprit enfin et éclata de rire. L’hilarité se répandit dans la salle et Ulrik dut attendre qu’elle se calme avant de continuer.

« Le Conglomérat ne croira jamais que l’Empereur eut pu accepter de marier sa fille sans savoir qui elle épouserait. Mais la Død Varmt n’apprendra l’identité du mari qu’au printemps. Avec un peu de chance, nous ne serons même pas ceux qui briseront la trêve. »

Avec un peu de chance, l’humiliation portée à l’Empereur le pousserait à agir de manière irréfléchie.



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8 commentaires

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

J'aime beaucoup ce nouveau point de vue, très bonne entrée en matière pour cette seconde partie.

ALaPointeDeLaPlume

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Il y a un an

Je ne m'attendais pas à un changement de point de vue et je suis ravie de ce changement! C'est très réussi et ça fait du bien d'avoir un aperçu du peuple du Nord. Attention, la Dod Varmt change de nom en cours de chapitre : parfois, c'est écrit avec le O barré à la danoise, parfois avec un O "classique". Ce n'est rien de bien méchant mais c'est le genre de détail que l'on ne voit plus à force de lire, relire, écrire et réécrire son texte :)

Hiurda

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Il y a un an

C'est exactement ça ! 😅 Merci, je l'ai modifié sur mon text d'origine 😁👍 Je suis contente que ce petit tour chez les barbares te plaise 😋

Mélanie Nadivanowar

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Il y a un an

C'est intéressant de connaître le peuple du Nord grâce à ce chapitre ☺️☺️. Je demande si ce Ulrick est un gentil ou un méchant et qui ISHTA va épouser 🤔🤔

Hiurda

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Il y a un an

Mystère… Mystère… 😇

Ordalie

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Il y a un an

Premier chapitre du point du vue du peuple du nord ! J'ai beaucoup aimé. Et puis ça fait tellement de bien d'avoir des personnages qui reconnaissent au moins les femmes comme personnes et pas comme objet... mais bon, on ne va pas se mentir, après tout ce qu'il s'est passé jusqu'à présent, j'attends d'en voir plus sur le mari avant de lui jeter des fleurs...

Hiurda

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Il y a un an

Je sens que tu ne vas pas être tendre avec lui ! Il a interêt à être irréprochable ! ahah
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