Hiurda La Bête de la Terre des Rois Tradition - Partie 1

Tradition - Partie 1

Elle ne chercha pas à atteindre le lit, quitte à tomber, autant que ce soit contrôlé. Elle s’allongea par terre sur le dos et sa vision s’éclaircit aussitôt. Elle prit quelques grandes inspirations, les yeux rivés sur le plafond. Des arches savamment décorées se croisaient en pointe d’où pendaient les trois immenses lustres de la chambre. Les espaces ainsi créés étaient illustrés de scènes de la vie de tous les jours pour une enfant de l’Empire d’Or. On l’y voyait suivre des leçons de broderie, servir les hommes durant le repas avec grâce et délicatesse ou encore se faire corriger par un valet. Au vu des vêtements portés par les personnages, les fresques qui ornaient son plafond devaient dater d’au moins deux centaines d’années. Mais elle aurait pu être la petite fille peinte ici, sa vie n’était guère différente et elle se voyait dans chacune de ces activités du quotidien. Depuis quand l’Empire avait-il cessé d’évoluer ?

Un gémissement de Nishka la ramena à la réalité, elle ne s’était finalement pas évanouie. Son regard se tourna vers la silhouette de la vieille femme prostrée au sol, secouée de sanglots, pathétique. Avait-elle, elle-même, l’air si détestable quand elle pleurait sur son propre sort ? Dès lors, pas étonnant que Ning l’ait rejeté. Qui voudrait d’un être si faible et sans caractère ? La vue de Nishka ne lui inspirait que du dégoût. Comment pouvait-elle se lamenter alors qu’elle était responsable de tant de souffrances ? Si elle s’était battue pour sa liberté et celle des autres femmes… Non, si toutes les femmes se battaient pour être maîtresses de leurs propres vies au lieu de se laisser diriger et maltraiter au quotidien…

Mais elle pouvait en dire autant d’elle-même. Qu’avait-elle fait d’autre que pleurer ? Pleurer sur son sort, pleurer sur sa douleur, pleurer accroché à la manche de Ning pour qu’il la sauve. La faute était autant la sienne que celle de Nishka. Comment pouvait-elle reprocher à la vieille femme de ne pas réagir quand, elle-même, ne faisait que subir sans rien dire ? Tourner de l’œil à chaque émotion forte n’était plus une option. Hors de question qu’elle ne finisse comme cette femme qu’elle haïssait de tout son être. L’esclave, abattue et pleurant au sol, était l’avatar du mal qui rongeait l’Empire. De la main qui battait toutes les filles, mères, épouses ou sœurs. Du fouet qui lui entaillait la chair à chaque leçon. Il n’y avait pas de bourreaux sans victimes.

Il lui fallait reprendre le contrôle. Elle se releva et commença par essuyer ses joues trempées et se moucher le nez. Elle n’avait pas envie d’attendre sa punition les bras ballants, surtout si ce sont ses dernières heures avant une exécution probable. Les passer évanouie sur le marbre de sa chambre n’était pas une perspective envisageable. Il lui fallait remettre de l’ordre dans ses idées. En se dirigeant vers la bassine pour se laver le visage, elle ignora Nishka au sol. Elle avait beaucoup de choses à gérer en l’instant, s’occuper de la vieille femme ne faisait pas partie de ses priorités. Elle devrait se débrouiller seule.

L’eau fraîche sur ses joues rougies lui fit du bien et son esprit se tourna vers Ning, aussitôt une boule se forma dans sa gorge. Comment avait-elle pu penser qu’il serait la solution à ses problèmes ? Il fallait voir la situation en face, sa survie ne dépendrait jamais que d’elle. C’est une réalisation qu’elle avait déjà eue, mais qu’elle refusait d’admettre comme une vérité. Elle n’était qu’une petite chose dans un univers créé et dirigé par les hommes, que pouvait-elle faire de plus que survivre ? Compter sur Ning avait été une bêtise et le rouge lui monta au joues alors que l’humiliation l’envahissait. L’espace d’un instant, elle avait cru que sa vie pouvait avoir de l’importance pour quelqu’un d’autre. Elle s’était présumée assez intéressante pour signifier quelque chose pour le Fils de Sichuna.

Non. Penser comme ça ne ferait que l’emmener vers la dépression et l’apathie. Qu’importe que sa vie ait de l’importance pour les autres. Sa vie avait de l’importance pour elle, et elle était seule à la vivre. Il ne tenait qu’à elle de la rendre meilleure. Ning parlait beaucoup et pour la plupart, de choses qui le dépassaient. Comment pouvait-on être aussi aveugle face à ce qui se passe sous son propre nez ? L’Empire s’écroulait devant ses yeux, mais il ne regardait pas dans la bonne direction. Elle voyait enfin le jeune homme pour ce qu’il était, un enfant. Un enfant trop couvé et bien trop sûr de lui, il s’était entiché de l’idée qu’il se faisait d’elle et de leur relation. Tout comme elle s’était entichée de l’idée qu’elle avait de lui et du rêve qu’il lui avait présenté.

Restait le problème du barbare…

Qu’importent ses bonnes résolutions et son envie de vivre s’il allait parler au Roi des rois de la visite nocturne du Fils de Sichuna. Mais que manigançait-il dans les jardins en premier lieu ? Il y avait peu de chance que l’Empereur les eut autorisés à se promener seuls, armés, de nuit, autour du Palais des Femmes. Rapporter la scène dont il avait été témoin le placerait dans une position pour le moins délicate. Elle remit de l’ordre dans ses cheveux et alla s’asseoir sur un des larges fauteuils donnant sur l’extérieur. Elle ne pouvait s’empêcher de scruter les ombres entre les fougères en quête d’une silhouette qui ne devrait pas se trouver là. L’aurait-il salué de cette façon s’il comptait la vendre à la garde ?

Les guerriers n’avaient pas fait tout ce chemin dans le seul but de venir la chercher, elle en était convaincue. Quel qu’eût été leur véritable but, il devait être en lien avec la présence du barbare dans le jardin des pétales. Peu importe comment elle réfléchissait au problème, la même conclusion s’imposait toujours à elle, il n’avait aucun intérêt à parler de ce qu’il avait vu. Son secret était sauf, pour le moment. Ces barbares étaient peut-être sanguinaires, mais, jusqu’ici, ils avaient fait preuve d’ingéniosité et d’intelligence, autant dans leur manière de gérer la guerre que dans leur attitude face au Roi des rois. Elle n’avait plus qu’à trouver comment utiliser ça à son avantage, pour sa propre survie.

Rafraîchie, rassérénée, mais perdue dans ses spéculations, elle s’endormit sur le canapé.


Les premiers rayons de Pahala qui se posèrent sur sa peau la firent transpirer et elle ouvrit les yeux lentement, éblouie par le lever du jour au-dessus du désert au loin. Ses muscles raidis protestèrent alors qu’elle se redressa sur le fauteuil en velours rouge. Elle avait passé la nuit à l’endroit où ses paupières s’étaient fermées. D’ordinaire, une servante l’aurait ramenée à son lit, mais, cette semaine, trop peu d’entre elles avaient emprunté la porte de sa chambre. Ne sachant trop quel était le statut actuel de la princesse, les maigres ordres à son égard avaient été contradictoires.



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6 commentaires

Blackat

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Il y a un an

En attendant de pouvoir rattraper le retard…

Hiurda

-

Il y a un an

Merci 🧡 😊

Ordalie

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Il y a un an

C'est toujours un plaisir de lire les pensées toujours plus vives d'Ishta ^^ son esprit critique se développe, avec un peu de chance ça l'aidera. Mais elle pose en effet une bonne question, je me demande ce que faisait le barbare dans le jardin...
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