Fyctia
Amourette - Partie 1
Cinq jours étaient passés depuis sa convocation dans la salle du trône et elle n’avait eu aucune nouvelle de son père. Devait-elle réellement partir le surlendemain ? Qu’en était-il de son blason ? De ses leçons ?
Elle avait passé les premiers temps à tourner en rond dans sa chambre, comme un tigre en cage. Incapable de se tenir assise plus de quelques instants, encore moins de se coucher, elle ne cessait de rouvrir ses plaies. Le troisième jour, Nishka dut la menacer d’aller chercher un garde pour la forcer à rester allongée. Elle obtempéra enfin, mais un flot de pensées agitées la submergea. Elle se mit à poser sempiternellement les mêmes questions à la vieille femme qui, de toute évidence, n’avait pas plus de réponses qu’elle.
Dans un tout petit recoin de sa tête, Ishta s’inquiétait pour la Vieille Mère. Elle avait, dans ses souvenirs, l’image d’une grande femme pleine de grâce et de dignité, toujours informée sur la marche à suivre et avec une sagesse infinie de toute chose liée au monde social. Mais depuis la cérémonie du Thé, Nishka était de plus en plus tenue à l’écart des décisions prises au sujet de la princesse. Cette perte de contrôle se reflétait nettement sur son état physique et mental. Les cheveux arrangés en un vague chignon, des jupes dépareillées et le châle de sa fonction noué négligemment, sa démarche élégante et assurée avaient laissé place à des épaules affaissées, des regards en coin frénétiques et des mains tremblantes. Après le départ d’Ishta, Nishka réussirait-elle à se montrer toujours utile ? Pourrait-elle garder son titre en offrant un si piètre exemple ?
Mais Ishta avait assez à se préoccuper avec son propre cas, aussi repoussait-elle inlassablement ces pensées-là quand elles survenaient. Pour sauver les autres, il fallait déjà savoir se sauver soi-même. Dans les moments les plus difficiles où, seule avec elle-même, elle se voyait vivre parmi des barbares sanguinaires, manger comme une bête et se faire battre par des points géants couverts de tatouages, son esprit se mettait à rêver… Elle s’imaginait sauter par-dessus le balcon de sa chambre avec Ning pour s’échapper à bord d’un bateau en direction des îles Australes, vers un pays où les femmes étaient aimées de leur père et de leur mari.
Mais ce fantasme ne durait jamais bien longtemps et le retour à la réalité n’en était que plus douloureux. Déclencher une guerre avec le Saam’Raji n’était sûrement pas dans les plans de la famille Sichuna. Et quelle utilité aurait-elle pour son époux ? Un blason inachevé, en fuite et sans dot à lui offrir ? C’est exactement ce à quoi elle pensait, seule dans son lit, ce soir-là.
Doosara venait de disparaître à l’horizon, mais ses lueurs rose orangé éclairaient encore le ciel. Les yeux perdus dans la cime des palmiers montant des jardins en contrebas, Ishta ne remarqua pas de suite la silhouette en mouvement qui grimpait sur la rambarde de son balcon. C’est l’exclamation de surprise de Nishka qui attira son attention.
« Ah non ! Pas encore !
— Si ça ne te plaît pas Vieille Mère, appelle donc la garde ! »
Lui répondit Ning d’un ton sec en atterrissant d’un geste souple sur le sol en marbre de la chambre. Ishta se redressa sur son lit, les croûtes neuves sur ses plaies la rappelèrent à l’ordre et elle s’assit de manière plus précautionneuse.
« Veux-tu que je te soulage, Amour ? lui demanda Ning, se précipitant pour l’aider à s’installer plus confortablement. Sa voix était douce et sa préoccupation paraissait réelle. La jeune fille n’y croyait toujours qu’à moitié, s’attendant à tout instant qu’il retourne sa veste et la corrige violemment.
— Merci de votre inquiétude, Futur-époux, ce ne sera pas nécessaire, la douleur n’est déjà presque plus là. »
Ning se figea légèrement et Ishta se rendit compte de son erreur. Ne sachant pas comment se rattraper, elle se tut. Il laissa échapper un soupir de dépit et répondit.
« Je suppose que ce titre n’est plus très approprié désormais. Pourquoi ne pas m’appeler Ning tout simplement ? Et puis, par la même occasion, tu n’auras qu’à me tutoyer… »
Le cœur de la jeune fille se serra, mais elle essaya de ne pas y penser.
« Comme tu le souhaites, Ning, Fils de Sichuna. »
Il se laissa tomber sur le lit à côté d’elle, la tête entre les mains. Un silence pesant s’installa dans la pièce. Elle ne pouvait parler tant qu’il ne lui en donnait pas l’autorisation et, quand bien même l’aurait-il fait, que dire à cet homme qui aurait pu devenir son mari ? Débattre de l’espoir qu’il lui avait offert d’une vie meilleure ne ferait qu’enfoncer l’épine dans son propre cœur. Lui exprimer la tristesse qu’elle ressentait à l’idée de ne jamais le revoir ou l’angoisse qui la prenait en imaginant son futur époux ne servirait à rien. Encore une fois, la pensée du bateau qui les emmènerait tous les deux au loin fit surface, mais elle la repoussa au fin fond de sa tête. Elle n’avait plus l’âge de rêver. Mais, alors qu’elle se sentait sur le point d’éclater en sanglot, Ning se leva rageusement et renversa d’un coup de pied la chaise présente sur son chemin. L’agitation soudaine du jeune homme crispa Ishta qui tenta de se faire toute petite.
« J’ai tout essayé, Amour. Auprès de mon père et du tien ! »
Sa voix pleine de colère risquait à tout moment d’attirer l’attention, la jeune fille pria pour qu’il se calme.
« Comment ose-t-il nous humilier ainsi ? S’il espère s’en tirer sans répercussions, il se trompe lourdement ! »
Soufflée par la haine que dégageait le garçon, Ishta ne comprit pas de suite qu’il parlait de son père. Ne voyait-il pas que tous leurs avantages commerciaux disparaîtraient à l’instant où l’Empire tomberait ? Aucun échange n’est possible avec un pays rasé. Évidemment que le Roi des rois allait préférer apaiser les barbares plutôt que la famille marchande. Et cette dernière avait tout intérêt à ce que le Saam’Raji survive pour le moment. Objectivement, Ishta ne comprenait pas en quoi leur ego rentrait dans la balance.
7 commentaires
ALaPointeDeLaPlume
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Anna Cesari
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an