Fyctia
Amourette - Partie 2
Le jeune homme prit quelques instants pour se calmer, tournant en rond et soupirant beaucoup. Puis il s’arrêta net, regarda autour de lui comme cherchant quelque chose et s’adressa à Nishka, qui tentait de devenir invisible dans les ombres d’un coin de la pièce.
« Vieille mère, pourquoi les bagages du Pétale du Sha ne sont pas encore prêts ? »
Il y avait une touche d’espoir dans sa voix qui exaspéra visiblement la vielle femme, aussi celle-ci répondit d’un air moqueur.
« Parce que je n’ai rien à emballer. »
La réponse laissa Ning perplexe. Devant son évidente confusion, Nishka reprit.
« Une femme ne possède rien, Fils de Sichuna. Tout ce qu’elle utilise appartient à son père. Puis, quand elle se marie, son époux lui fournit ce dont elle aura besoin pour le reste de sa vie, mais chaque objet reste sa propriété à lui et à lui seul. Tout comme il est le propriétaire de sa femme.
— Pays de sauvages ! »
Et il donna un nouveau coup de pied dans une chaise qui alla se fracasser contre le montant du lit à baldaquin. Ishta se crispa et faillit se recroqueviller sur elle-même avant de se reprendre, elle avait peur d’exacerber sa colère par son geste de recul. Mais Ning s’en aperçut, laissa échapper un long soupir et vint s’agenouiller devant la jeune fille, serrant les mains d’Ishta dans les siennes.
« Amour, s’il te plaît, regarde-moi. »
Elle leva volontairement les yeux vers lui pour la première fois. Un sourire s’épanouit sur le visage du jeune homme, creusant deux fossettes sur ses joues et elle se sentit comme touchée par la grâce d’Aamalh lui-même. Ses traits semblaient sculptés par les dieux et son expression rêveuse lui donnait l’air du Bien-Aimé en personne. Aussi vite qu’il était venu, elle disparut et Ning prit un ton grave.
« J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais je dois me rendre à l’évidence maintenant. Pour ton bien, Amour, je dois te laisser partir… »
Comment ça, la laisser partir ?
« M’attacher tant et plus ne t’apporterait que plus d’ennuis. Je suis sûr que tu trouveras le bonheur. »
Il était sérieux ? Le bonheur où ? L’Empire d’Or, la nation la plus civilisée du monde connu la traitait comme un produit remplaçable à vendre. Quel genre de vie pourrait-elle avoir chez ceux que le Saam’Raji prenait pour des sauvages ? Si son peuple considérait les barbares sanguinaires, elle ne souhaitait pas découvrir ce que cela signifiait.
Ning reprit la parole.
« Quant à moi, mon grand-père m’a déjà trouvé une autre épouse. »
Déjà ? Leurs fiançailles n’étaient pas rompues depuis moins d’une semaine que le Chef de famille des Sichuna l’avait remplacée. Dire qu’il y a quelques instants à peine, Ning pestait contre le manque de respect de l’Empereur. Ishta en aurait presque pleuré d’incrédulité.
Ning avait dû voir l’horreur dans ses yeux, mais il interpréta ça comme de la crainte à son égard, aussi il reprit :
« Ne t’inquiète pas, Amour. Mon cœur n’appartient qu’à toi. Jamais elle n’aura de moi la moindre affection. »
Ça lui ferait une belle jambe quand elle se trouverait à terre, sous la botte d’un homme gigantesque qu’elle aura été forcée d’épouser. Allait-il réellement la laisser partir comme ça pour en marier une autre ? C’était donc là l’étendue de son amour pour elle ? Les choses ne pouvaient pas se terminer ainsi. Elle avait rêvé de sortir de cet enfer avec lui. Elle n’avait pas réalisé l’ampleur de son attachement à ce futur qu’il avait fait miroiter. Il aurait dû être celui qui la sauverait de la peur constante et de l’indifférence du monde. Allait-il vraiment l’abandonner si facilement en prétextant que c’était pour son bien à elle ?
Elle n’avait pas encore eu le temps de digérer l’information qu’il se leva soudainement et se dirigea vers le balcon. Dans un dernier élan de désespoir, elle se jeta sur lui.
« Ning ! »
Elle s’accrocha désespérément à son bras. Il resta un instant là, interdit par la surprise, elle-même resta figée par sa propre audace. Quand elle se reprit enfin, des larmes ruisselaient sur ses joues. Elle le supplia.
« Prends-moi avec toi… Ne me laisse pas partir dans le nord, j’en mourrai certainement.
— Ishta ! »
Nishka s’était précipitée vers elle, la tirant par la manche de sa robe. La colère qu’Ishta avait accumulée ses derniers mois explosa et elle repoussa violemment la Mère des Futures Femmes qui tomba au sol, le visage déformé par la peur et l’incrédulité.
« Comment oses-tu vieille femme ? Ne t’approche plus de moi ! Ne prononce plus mon nom ! »
Elle se retourna vers Ning, les sanglots s’échappaient de sa gorge sans qu’elle puisse les retenir, des larmes baignaient ses joues et coulaient jusque dans son cou. Elle ne contrôlait ni le volume ni le ton de sa voix quand elle reprit la parole.
« Ne me laisse pas ici, si tu tiens à moi comme tu le dis, emmène-moi avec toi ! »
Ning lui caressa la joue d’un geste tendre et prit la parole d’une voix douce, comme s’il s’adressait à une enfant capricieuse.
« Je sais que tu es encore jeune et innocente, que la manière de fonctionner du monde t’est inconnue et que tu me demandes ça par ignorance. Amour, je ne peux pas déclencher une guerre contre la plus grande force du continent pour une amourette, quand bien même tu es la femme la plus désirable qu’il m’ait été donné de rencontrer. »
Le discours du jeune homme laissa Ishta muette de stupéfaction. Elle ne savait pas ce qui était le plus humiliant entre le fait qu’il la voit comme une adolescente en pâmoison, ou bien qu’il ose l’appeler « Amour » pour ensuite la traiter sans plus d’égard qu’un attachement d’enfance sans importance. Non, ce qui la blessait le plus était la condescendance de son ton alors qu’il ne comprenait clairement pas, lui-même, dans quelle situation se trouvait l’Empire d’Or. Pris à la gorge par une nation qu’il avait largement sous-estimée, il pouvait tomber d’un jour à l’autre après plusieurs millénaires de règne incontestable. Si le conglomérat des îles Australes voulait une chance d’inverser la balance, c’était le moment. Elle lui offrait un chemin vers le sommet, ne le voyait-il pas ?
16 commentaires
Ordalie
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an
ALaPointeDeLaPlume
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Il y a un an
Anna Cesari
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an