Hiurda La Bête de la Terre des Rois Fiançaille - Partie 2

Fiançaille - Partie 2

La voix de Lakshan, chambellan du Roi des rois, tonna alors dans la salle et fit taire la foule.

« À genoux devant le Roi des rois, Grand Sage devant les Éternels, Sauveur du peuple ! »

Elle comprit qu’aucun des guerriers ne s’était prosterné. Personne n’avait pris la peine de leur donner le protocole ? Ou bien l’avaient-ils ignoré ?

L’un des barbares répondit d’une voix calme et posée. La réponse fut traduite tant bien que mal par un interprète visiblement très inquiet de transmettre le message.

« Nous venons d’un pays où chaque homme est roi sur son domaine, aussi petit soit-il. Un roi ne se prosterne pas devant un autre roi. »

Les derniers mots du traducteur furent accueillis par un silence pesant. Ishta ne put qu’admirer le courage de l’homme. Il n’avait pas seulement refusé de se prosterner, il avait ramené le grand empereur du Saam’Raji au niveau du commun des mortels. Le Roi des rois prit la parole, calme.

« Lakshan, cette affaire est des plus pressantes, aux Enfers d’Ashun le protocole ! »

Accuser son chambellan de faire un excès de zèle lui permettait de sauver la face, mais qui, ici, était vraiment dupe quant à la position de force des barbares ? Ishta ne put s’empêcher d’y trouver une certaine satisfaction.

L’un d’entre eux fit quelques pas en avant et s’adressa à l’empereur, aussitôt traduit par l’interprète, de plus en plus nerveux.

« Nous avons trouvé ce petit oiseau devant la porte de la salle du trône. Est-ce votre fille adorée dont vous nous avez tant chanté les louanges ?

- C’est elle, répondit le Roi des rois. N’est-elle pas aussi délicieuse que je vous l’avais décrite ? »

Une sensation de déjà vu s’empara d’Ishta. Le guerrier barbare eut un léger rire et s’approcha d’elle. Du bout des doigts, il fit tinter les grelots qui lestaient le bord de son voile. Une nouvelle fois la jeune fille reçut une bouffée de cette odeur si particulière, toujours incapable de savoir ce qui la dérangeait. Via le traducteur, le barbare répondit à l’empereur d’un ton moqueur.

« Pour vous répondre, encore faudrait-il pouvoir l’admirer.

- Les femmes du Saam’Raji sont bien élevées, elles ne se dévoilent pas aux yeux de tous avant leur mariage. Et après, elles ne le font qu’avec l’autorisation de leur mari.

- Insinuez-vous que nos femmes sont mal élevées ? »

C’est un autre barbare qui avait pris la parole et l’interprète dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à finir la phrase, la peur le faisant bredouiller et parler trop bas. Personne, de mémoire d’homme, n’avait autant manqué de respect au Roi des rois.

« J’énonce simplement que nos coutumes diffèrent sûrement des... »

Mais d’un soupir bruyant, l’homme ayant joué avec ses grelots interrompit l’empereur et prit la parole d’un air ennuyé. La cour retint sa respiration comme une seule et même entité. L’interprète ne traduisait rien et Ishta maudit une nouvelle fois son voile. Elle aurait tout donné pour voir aujourd’hui l’expression de son père. Est-ce que quiconque avait déjà osé l’interrompre au milieu d’une phrase ? Elle entendit le pauvre traducteur s’entretenir à voix basse avec le chambellan. Enfin, celui-ci s’adressa au Roi des rois.

« Votre Grandeur, l’homme demande pourquoi la princesse attendait-elle seule dans le couloir, sans escorte, si elle est votre trésor le plus précieux. Il s’inquiète que vous ne tentiez de le duper. »

Le Roi des rois poussa un soupir agacé qui surprit la jeune fille. Son père était l’exemple même du contrôle. Jamais il ne laissait transparaître une émotion si ce n’était pas pour l’avantager. Ce soupir en disait long sur son énervement interne. Les barbares le poussaient à bout volontairement, son père ne le voyait-il pas ? Pourquoi se laissait-il avoir ?

« Comme vous avez pu le constater par vous-même, mon palais est l’endroit le plus sûr de l’Empire d’Or, chacun sait que toucher à un cheveu de la tête de ma fille adorée est une condamnation à mort. Elle ne pouvait être plus en sécurité. »

Ishta fut sidéré par la facilité avec laquelle son père avait pu sortir un tel mensonge. N’importe lequel des guerriers présents aurait pu faire ce qu’il voulait d’elle quelques minutes auparavant seulement. Un des barbares eut un rire incrédule qu’il fit passer pour une quinte de toux et la vérité s’étala devant les yeux d’Ishta.

Voilà ce que l’Empire d’Or était à leurs yeux, une maison de bouffons. Ce n’était rien d’autre qu’une blague qui les faisait bien rire, comme un termite se rit du charpentier. L’attitude désinvolte de ces hommes lui donna des sueurs froides. Ils étaient sûrs d’eux. Le ricanement à peine caché de ce barbare signifiait la fin de l’Empire. Était-elle la seule à le voir ? Ils gagnaient, et ils le savaient. Alors, pourquoi étaient-ils venus jusqu’ici ? Pas pour elle, c’était certain. Des femmes, ils devaient en avoir plein chez eux. Alors pourquoi ?

« Bien, bien, reprit le guerrier, aussitôt l’interprète s’était mis à bredouiller la réponse du barbare, mi-parlant mi-gémissant. Et bien voilà qui conclut notre visite. Nous partirons donc dans une semaine avec la future mariée. Veillez à préparer ses affaires, nous prendrons tout ce que vous pourrez mettre dans une calèche. »

Une semaine ? Comment ça une semaine ? L’homme qui l’avait soutenue à l’allée s’approcha d’elle et lui reprit le bras. Sans se poser plus de questions elle le suivit sur le chemin du retour. Autour d’elle, des murmures scandalisés s’élevaient alors que les guerriers barbares venaient de prendre congé de l’Empereur, sans lui demander son avis, et en lui donnant des instructions comme on le ferait à un laquais. Mais son esprit était préoccupé par d’autres problèmes. Comment pourrait-elle partir dans une semaine alors que son blason n’était pas terminé ? C’était la seule chose qui pût lui donner un minimum de statut. Si pas auprès de la société au sens large, au moins auprès des autres femmes. En tant que fille de l’Empereur, son blason lui donnerait du pouvoir au sein des cercles féminins de toutes les cours du monde civilisé. S’il n’était pas terminé, elle ne serait rien d’autre qu’un sujet de rigolade. La pauvre femme n’ayant pas fini son éducation. Le blason était le symbole d’une femme raffinée et bien éduquée. Bien qu’elle haïssait le Vasheekaran et tout ce qu’il impliquait, elle avait besoin de son blason pour survivre dans ce monde. Son père ne pouvait l’envoyer au loin sans le terminer… N’est-ce pas ?


Ils sortirent enfin de la salle du trône et elle entendit un des guerriers tirer un fauteuil lourd jusqu’à elle. L’homme à son bras l’aida à s’asseoir et elle se laissa faire. Prise par la panique, elle ne réalisait pas vraiment ce qu’il venait de se passer. Puis, sans dire un mot, ils quittèrent la pièce.

Alors que le dernier barbare fermait la porte, elle comprit enfin. Ils sentaient le cuir, l’herbe et le cheval. Rien de plus. Pas d’odeur de transpiration, d’urine ou de rance. Et encore moins celle d’un parfum entêtant, voire écœurant, pour camoufler le reste. Ils sentaient bon.


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9 commentaires

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Tu retranscris très bien l'évolution de sa conception du Vasheekaran et de la considération de la femme. Elle se rend compte de l'injustice mais se défait lentement des carcans qui vont avec. Ce qui rend ton personnage crédible. Et tu joues très bien avec le fait qu'elle ne puisse pas voir clairement ce qu'il se passe !

Hiurda

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Il y a un an

Merci 🥰 Je suis ravie de voir que l'histoire te plaise 😋

Anna Cesari

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Il y a un an

Même après tout ça, Ishta continue de croire en la valeur de son blason, c'est d'une tristesse absolue. Difficile de se défaire de la seule tradition qu'on n'a jamais connue. J'espère que seulement que le Roi des rois ne va pas faire une folie.

moiettoi833

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Il y a un an

Une vrais torture
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