Fyctia
Prière - Partie 1
La végétation dense du jardin retenait l’humidité au niveau du sol et les protégeait de la lumière des soleils. L’atmosphère, déjà étouffante, était saturée par l’odeur du jasmin et autres fleurs aux couleurs vives. Le bruit oppressant des insectes et oiseaux environnants couvrait celui de leurs pas, déjà assourdis par le chemin de terre battue. Nishka avait parlé d’une balade rafraîchissante et apaisante dans le jardin des Orties, Ishta laissa échapper un petit rire incrédule.
« Quelque chose vous amuse, Pétale du Sha ? »
La mère des Futures Femmes avait les traits tirés par la fatigue et le stress. Son chignon, autrefois impeccable et décoré de fleurs et grelots, faisait maintenant triste mine. Sans aucun ornement, il laissait quelques mèches folles s’échapper et donnait à la vieille femme un air légèrement perdue.
« Non, vieille Mère. Je profite simplement de l’air frais. »
Ishta ne cacha pas l’ironie de son ton. Elle lui adressait toujours la parole en employant son titre, plus par sympathie pour sa compagne d’infortune, que par respect. Le mur de bienséance qui existait autrefois entre elles avait été abattu vérité après vérité. Il ne restait guère de faux semblants et Ishta ne maintenait l’illusion que pour les protéger vis-à-vis de ceux qui pourraient les observer. Depuis la visite de Ning dans ses appartements, elles vivaient dans la peur constante d’être emmenées à l’échafaud à tout instant. Nishka ne faisait même plus mine de vouloir enseigner quoique ce soit à la princesse. Évitant soigneusement le sujet, elles ne s’adressaient presque plus la parole. Que dire dans de pareilles circonstances ? Elles étaient toutes deux prises au piège d’un système millénaire. Nishka n’obéissait que pour sauver sa peau d’esclave et Ishta souhaitait seulement survivre à son Vasheekaran. Point.
Les dernières semaines avaient été longues. Son père avait momentanément interrompu leurs leçons. La raison officielle était son état de santé. La sachant fragile, Ishvar avait longuement exprimé son inquiétude et souhaitait la voir se remettre pleinement avant de reprendre son Vasheekaran. Mais l’air de plus en plus échevelé de son état-major racontait une tout autre histoire. Chaque passage effectué dans la salle d’attente des bureaux du Roi des rois était plus chaotique que le précédant. La guerre se passait mal et son père avait d’autres chats à fouetter que sa fille. Littéralement.
Si la pause était appréciable, cela ne faisait que retarder son mariage et le reste de sa vie. Ishta passait ses journées à ruminer dans l’angoisse. Ning n’était pas revenu la voir. Elle avait d’abord été prise de désespoir, s’imaginant le sujet de son indifférence, mais très vite elle avait repris contenance. Se faufiler une fois, de nuit, dans un palais hautement gardé était déjà un exploit en soi. S’attendre qu’il soit réitéré était déraisonnable de sa part. Elle n’était plus une enfant et se devait d’arrêter de penser comme telle. Le Prince Magicien des comtes n’existait pas. Ning n’était qu’un humain, et ce qu’il avait risqué pour elle dépassait déjà l’entendement.
Un petit rongeur passa à toute vitesse devant elle, descendant d’un arbre à gauche du chemin, pour s’enfoncer dans les fourrés à leur droite. Les sentiers étaient étonnamment déserts, même pour un milieu d’après midi. Elle ne comprenait pas le but de cette balade. Les jardins du palais des femmes étaient superbes en cette saison, c’est vrai. Mais la température de l’après-midi combinée avec l’humidité du printemps rendait l’air presque irrespirable, loin d’une balade de santé. Pourquoi ne pas avoir attendu le soir ? Une fois Pahala couché derrière l’horizon et la lumière douce de Doosara sur le point de disparaitre, l’atmosphère deviendrait paisible et la brise, rafraîchissante. Les odeurs d’humus transportées par l’humidité sortant du sol seraient envoûtantes. Voilà l’ambiance qu’Ishta aurait voulue pour sa promenade. Une aura de paix et de calme dont elle avait besoin pour se remettre les idées en place, réfléchir à sa situation et décider d’une ligne de conduite regardant Ning.
Ses paroles s’étaient imprimées dans l’esprit de la jeune fille. Certes elle ne pouvait encore départager le mensonge de la vérité, mais elle comptait bien vivre assez longtemps pour être en mesure de le faire. Son cœur s’emballait à chaque fois qu’elle revivait le souvenir de la visite du jeune homme. Elle se haïssait pour ça. Mais elle n’était pas assez naïve pour se contenter de sa parole. Tout du moins, elle ne l’était plus. Cela ne l’empêchait pas pour autant de voir la sagesse dans ses mots. Il vivait dans un autre pays, avec d’autres coutumes et d’autres pensées. Un pays où personne ne la connaissait encore. Elle sortirait de son Vasheekaran avec toute la dignité qu’il lui serait possible d’avoir, elle la porterait comme une armure et elle se couvrirait d’autorité. Elle amasserait autant de pouvoir qu’il lui serait humainement possible et se rendrait indispensable auprès de Ning. D’une manière ou d’une autre, elle ferait tout pour qu’il ne puisse se débarrasser d’elle sur un coup de tête. Elle survivrait par sa propre force.
La vue d’un buisson de Madhya N’Gulaa en fleur la tira de ses réflexions. Surprise, elle s’arrêta si brusquement que Nishka la bouscula. Les branches de l’arbuste croulaient sous le poids des grosses fleurs à larges pétales rouge carmin. Réputée pour être la plus belle et la plus odorante fleur de l’Empire, elle ne fleurissait qu’une semaine par an, à la nouvelle année. Interdite, Ishta tenta de calculer mentalement la date du jour. Son Vasheekaran avait commencé peu avant l’hiver, durant le mois d’Agrhaya. Elle compta les leçons effectuées et le temps approximatif entre chacune d’elles mais ses semaines de convalescence se mélangeaient toutes les unes aux autres. Avaient-elles eu six ou sept leçons en tout ?
« Que se passe-t-il, Pétale du Sha ? »
Nishka cherchait dans le parterre de fleur ce qui avait bien pu bouleverser la jeune fille.
« Vieille mère, quel jour sommes-nous ? »
Silence. Nishka eut au moins la décence de prendre un air contrit. Sous le regard dur d’Ishta, elle finit par parler, dans un murmure, du bout des lèvres.
« Nous sommes le premier du mois d’Echeitra, Pétale du Sha. »
La nouvelle année… Déjà. Ça expliquait les jardins déserts, tout le monde participait aux banquets de célébration. Tout le monde, ou presque.
« Pourquoi ne sommes-nous pas dans la salle de banquet avec les autres, Vieille mère ? »
La question irrita Nishka qui, l’espace d’un instant, retrouva toute sa superbe.
« Questionneriez-vous l’autorité du Roi de rois ? Votre père a estimé que votre état ne vous permettrait pas de...
- Nishka, c’est assez ! »
Sans même s’en apercevoir, la jeune fille avait crié. L’irritation qu’elle ressentait face à l’obstination de la vieille femme l’avait submergée. Elle se radoucit devant son air choqué.
5 commentaires
Anna Cesari
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Ordalie
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an