Fyctia
Fables - Partie 3
« Je rêve du jour où tu me parleras à nouveau avec passion, de ton propre chef, reprit-il. Où tu me regarderas dans les yeux et tu me souriras à nouveau. »
Un rire dédaigneux et incrédule s’échappa de Nishka, le bruit était des plus discrets mais dans le calme de la nuit il sonna comme un coup de tonnerre. L’irrespect du comportement suffoqua Ishta, Ning y répondit d’un ton calme :
« Si vous avez quelque chose à dire, dites-le. C’est bien la première et dernière fois de toute votre vie que vous pourrez parler librement. »
L’avait-il vouvoyé ?
« Comme si ça pouvait arriver un jour… Quand bien même vous lui donneriez l’autorisation, n’importe quel homme qui l’entendrait serait en droit de la battre pour manque de respect. »
La vieille femme avait craché sa phrase le plus vite possible, dans un murmure à peine audible. Comment osait-elle être en colère alors qu’elle-même la menait pour chaque leçon à l’abattoir ? Pire, Nishka faisait tout ce qu’elle pouvait pour la rendre la plus docile possible.
Visiblement, Ning, lui non plus, ne pouvait accepter ce ton plein de hargne, d’un geste sec il donna ce qui semblait être un coup de pied dans la bassine qui faillit renverser son contenu sur le sol. Ishta sentit le matelas bouger alors que Ning, désormais à genoux par terre, s’accoudait sur le lit pour être à sa hauteur.
« Amour, regarde-moi s’il te plait... »
Son ton était suppliant. À quoi jouait-il ? Voulait-il la prendre en faute pour mieux la punir ensuite ? Était-ce un nouveau jeu malsain du Vasheekaran ? Nishka faisait-elle partie du complot ? Le silence devint oppressant. Même la vieille femme retenait sa respiration. En alerte, Ishta réfléchissait à toute allure. Le sang lui battait les oreilles, gênant sa concentration. Elle avait déjà bravé son regard à plusieurs reprises sans qu’il ne s’emporte une seule fois. Par contre elle ne l’avait jamais fait patienter aussi longtemps. Elle désobéissait également à un ordre direct. Choisissant l’option la moins risquée, elle tourna la tête et se retrouva nez a nez avec le jeune homme. Il était si près qu’elle en eut le souffle coupé. Les lèvres fines de Ning s’étirèrent en un sourire de soulagement si fugace qu’elle douta même de l’avoir vraiment vu, il posa sa main sur celle de la jeune fille et son air devint des plus sérieux.
« Dans mon pays, les femmes ont le droit de parler, de rire et de chanter en présence de leur mari. Elles n’ont pas besoin de leur autorisation pour des choses aussi vitales. Chez moi, tu ne pourras pas être battue parce que tu aurais déplu à un autre homme. Le seul autorisé à te battre sera ton mari et jamais je ne lèverai la main sur toi, j’en fais le serment. »
Il fit une pause, laissant à Ishta le temps d’absorber ces informations. Incrédule, elle ne comprenait pas pourquoi Ning prenait la peine de lui raconter de telles fables. Trouvait-il amusant de lui donner de l’espoir, de la faire rêver, pour mieux la briser plus tard ? Voulait-il tellement l’anéantir qu’il en viendrait à de tels stratagèmes ?
« Amour, je sais que tu ne me crois pas encore, mais... Chez moi, les femmes houspillent leur mari dans le secret de leur maison et rares sont ceux qui corrigent leur épouse au point de les alités. Et ceux-là ne sont pas très bien vus de la société. »
Il avait pourtant l’air si sincère...
« Chez moi, les hommes respectent les femmes des autres et les vouvoient. Le tutoiement est réservé aux personnes que l’on aime. Il n’est pas utilisé pour rabaisser et insulter. Chez moi, les hommes n’ont qu’une seule femme et ils la chérissent, tout comme ils chérissent leurs filles.
- Cessez vos balivernes ! la vieille femme avait presque crié. Ne lui faites pas miroiter des rêveries inatteignables ! Comment pourrait-elle encore supporter le fouet si...
- Silence ! »
Ning n’avait même pas levé la voix mais la rage qu’il dégageait la fit taire. Même Ishta se recroquevilla sur elle-même, bien trop consciente de sa proximité avec le jeune homme. Il s’en aperçut et s’adoucit aussitôt.
« Dans mon pays, les choses se passent telles que je les ai décrites. Alors tiens bon, Amour. Pour notre avenir, tiens bon. Je ne peux rien faire de plus pour toi maintenant, mais c’est bientôt fini. Et, bientôt, mon pays sera aussi le tien. »
La ferveur de son regard transperça Ishta. Se pouvait-il qu’il dise la vérité ? Elle ne voulait pas y croire. Le Vasheekaran n’aurait alors plus aucune valeur. Son calvaire n’aurait aucune valeur, aucune utilité. Mais la perspective de vivre dans un monde où elle n’aurait plus à craindre pour sa vie était grisante. Les coups de fouet seraient-ils plus faciles à supporter si elle était certaine d’en voir la fin un jour ? Et, sans même s’en apercevoir, Ishta reprit espoir. Oui, elle voulait vivre pour avoir une chance de voir ce monde, si infime soit-elle. Et s’il s’avérait que c’était un mensonge ? Eh bien ça ne changerait pas beaucoup de sa vie actuelle.
« Amour je dois y aller, ou ils vont bientôt s’apercevoir de mon absence. Je reviendrai demain, si je le peux... »
Il allait se lever mais hésita, prenant finalement une décision, il déposa un baiser sur la joue d’Ishta. Cette fois, elle était certaine de ne pas l’avoir rêvé. Elle emplit ses poumons de son parfum et savoura la douceur du moment. Puis, trop vite à son goût, il disparut par la fenêtre.
3 commentaires
Anna Cesari
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an
Ordalie
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Il y a un an