Fyctia
L'heure du thé - Partie 2
D’un geste lent et posé, il s’empara de la théière et commença à se servir du thé. C’était le signal pour Ishta, d’un mouvement gracieux, elle porta le bansurî à ses lèvres et commença à jouer une douce mélodie. Le mouvement failli lui arracher un cri de douleur mais elle parvint à le retenir, les dernières entailles dans son dos n’avaient pas fini de cicatriser et elle sentit les croûtes tirer sur ses omoplates. Le bandage sous ses robes appuyait douloureusement dessus. Mais c’était là ce qu’on attendait d’elle, montrer à son mari qu’elle savait être de bonne compagnie même dans l’inconfort. Lui prouver qu’elle sera capable de prendre soin de lui et de son bien-être même dans la maladie.
La vapeur s’élevant du breuvage sur la table était encore épaisse mais il porta tout de même la tasse à ses lèvres. La jeune fille retint un mouvement pour l’en empêcher, mais il but une grande gorgée de thé brûlant sans sourciller. Elle rata une note et sentit, plus qu’elle ne vit, Nishka se redresser sur son siège. Se maudissant intérieurement elle se concentra de nouveau sur sa mélodie. C’était une musique qu’elle connaissait en profondeur. Chaque note, chaque silence était imprimé dans son esprit, dans ses doigts. Elle aurait pu suivre une conversation et jouer en même temps sans rater une mesure.
À la fois douce et envoûtante, elle demandait pourtant une connaissance parfaite de l’instrument et la princesse pouvait se vanter d’être parmi les meilleures. Elle avait choisi ce morceau pour cette raison. Mais la fatigue des derniers mois la rattrapait et les muscles de son dos brûlaient de douleur. Elle sentait que ses plaies s’étaient rouvertes et des perles de sang dégoulinaient sur sa peau, lui donnant des frissons. Elle parvint toutefois à jouer de manière satisfaisante et espérait seulement que ce soit suffisant pour Nishka.
Voilà à quoi ressemblerait sa vie. Fini le rouge aux joues en voyant les robes de Ning, elle ne ressentait plus que de la colère. Pourquoi était-il celui qui profitait du thé en regardant les bassins et les oiseaux danser ? Pourquoi devait-elle souffrir pour que Monsieur puisse jouir d’une pause musicale ? Ne pouvait-elle pas, elle aussi, manger des biscuits fleuris et se reposer après toutes ces leçons avec son père ? Mais elle continua de jouer, sachant parfaitement qu’au moindre écart elle recevrait des coups de bâton en plus du fouet. Elle ne donnerait pas la satisfaction à son père de la battre plus.
Alors elle faisait ce pour quoi on l’avait mise sur ce coussin, elle joua. Elle espéra de tout son cœur être capable de jouer deux heures, sans quoi, sa punition serait terrible. Une unique larme roula le long de sa joue, un concentré de rage qui, heureusement, ne coula pas sur le côté de son visage face à Nishka. Elle espéra que les bijoux la camoufleraient aux yeux de son fiancé. S’en sentirait-il offensé ? Serait-il capable de rapporter la présence de cette larme au Roi des rois ?
Il arrivait qu’un futur époux parte avant la fin dès deux heures pour raison impérieuse, mais c’était rare et jamais bon signe. La convenance voulait que l’homme finisse au moins sa théière, ce qui indiquait qu’il passait du bon temps avec sa future femme et, si le moment était agréable, il n’y avait aucune raison de se dépêcher. Pourtant Ning portait la tasse à ses lèvres de plus en plus rapidement, si bien que, quelques instants plus tard seulement, il dut se resservir. La théière ne contenait guère plus de quatre tasses, à cette allure il l’aurait fini d’ici moins d’une heure.
L’humiliation lui fit monter le rouge aux joues, jouait-elle si mal que ça de son instrument ? Elle savait pourtant que non, mais elle joua tout de même avec plus de cœur. N’avait-il pas envie de la voir ? Il était pourtant celui ayant réclamé la cérémonie de l’Heure du Thé, elle n’est pas obligatoire et ne se fait qu’à la demande du futur époux. S’était-il déjà lassé d’elle ? Son cœur se serra à cette idée mais, bien vite, elle se reprit. Pourquoi s’inquiétait-elle de ça ? Écœurée par son propre comportement énamouré, elle s’admonesta intérieurement. Ishta pensait avoir dépassé ce cap mais visiblement elle n’avait pas encore assez souffert.
Perdue dans ses pensées, ses yeux avaient dérivé vers le balcon, les soleils avaient désormais disparu à l’horizon et le ciel allait du rose pale au violet profond. La lumière des lampes à huile jetait des ombres dansantes sur les fleurs multicolores grimpant le long des colonnes. Ses épaules criaient à l’aide et tout son dos brûlait de douleur. Une de ses plaies s’était rouverte en entier et le sang couvrait sa peau de l’omoplate jusqu’à sa taille. Le bruit du thé coulant à nouveau dans la tasse la rappela à l’ordre. Elle reporta son regard sur le sol, devant Ning, espérant que personne ne se soit aperçu de sa digression.
4 commentaires
Anna Cesari
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an