Fyctia
Envie de vivre - Partie 2
Ishta n’avait besoin de personne pour comprendre que la ligne de commandement s’en trouvait brouillée. Elle aurait pu rire de tous les voir courir comme des poulets sans tête si le sujet n’avait été si important. Tous ces hommes bien-pensants ne voyaient même pas qu’ils étaient l’instrument de leur propre perte. Ils s’empêtraient dans les protocoles et les traditions, les informations étaient ralenties car untel n’avait pas le grade nécessaire pour s’adresser aux personnes concernées, ou parce qu’ils se disputaient la juridiction de tel ou tel bataillon, se référant à des titres vieux de centaines d’années qui leur donnaient des responsabilités obsolètes et en contradiction avec la réalité actuelle.
Pendant ce temps, l’armée ennemie terrifiait celle de l’empire et elle gagnait en territoire. Bientôt, toute la partie nord du Saam’Raji lui appartiendrait. Leur donnant un accès direct au Conglomérat des Îles Australes. Ishta ne percevait pas bien pourquoi mais l’idée semblait terrifier tout le monde. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi son père ne remettait pas tout ça en place une bonne fois, histoire que chacun avance dans la même direction.
Penser à son père la ramena au présent, le chant des grillons se faisait timidement entendre, montant du jardin, alors que les soleils avaient presque fini leur descente à l’horizon. La vue depuis sa chambre était toujours aussi majestueuse. Allongée, le ventre contre le matelas, sa tête tournée vers le balcon, elle n’avait d’autre choix que de l’admirer bien qu’elle ne soit pas en état de s’en émouvoir.
Quelques udalekrits voletaient d’un palmier à l’autre. On arrivait au milieu de l’hiver et les fleurs de son balcon dégageaient un parfum enivrant, qui attirait toutes sortes d’insectes bourdonnants. La douceur de l’air du soir lui donna des frissons, ou était-ce les mains froides de Nishka sur ses plaies à vif ? Elles n’étaient pas aussi douloureuses que le jour où elle les avait reçues.
Après chaque leçon, son père lui rendait visite le soir suivant pour lui appliquer l’onguent. Il en profitait pour exprimer son amour et son désarroi face à son état. La rage que ses paroles déclenchaient en elle lui tirait des rivières de larmes que son père essuyait tendrement. Elle ne supportait plus son toucher, ne supportait plus de devoir se taire alors qu’elle aurait voulu hurler, mais elle ne lui donnerais plus jamais une raison supplémentaire pour la fouetter.
Elle s’était longuement demandé lequel de ses deux pères était le vrai. Celui, distant et indifférent, qui ne semblait pas s’émouvoir de la détresse de sa fille, la fouettant sans pitié ? Ou bien le père tendre et affectueux qui s’inquiétait de son état ?
Puis, très vite, elle ne s’en soucia plus. Tout comme pour Nishka, ses questionnements importaient peu. Il était le grand Roi des rois, si le sort de sa fille l’inquiétait tellement, il aurait fait changer les choses. Mais elle n’était qu’une princesse parmi douze autres et, même si son père se préoccupait de son état, il ne lèverait pas le petit doigt pour elle.
Nishka avait terminé de panser ses plaies et elle retourna à son ouvrage sur le balcon. Aussi, Ishta tourna-t-elle la tête vers le centre de sa chambre. Elle refusait de regarder la vieille femme plus que nécessaire, sa vue amenant des pensées amères et dangereuses.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà et les lumières de sa chambre avaient été éteintes. Elle ne dormait plus que par intermittence et le moindre bruit la réveillait, mais elle avait eu le bon sens de ne jamais laisser Nishka s’en apercevoir. Aussi la vieille femme ne se rendait pas compte qu’Ishta épiait parfois ses conversations nocturnes avec le messager de son père.
Il venait prendre un rapport toutes les semaines et, s’il n’y avait pas eu grand choses à rapporter les dernières fois, ce jour-là la conversation dura plus longtemps. Cependant, les deux interlocuteurs se trouvaient plus près de la porte donnant sur le couloir que celle amenant à la chambre. Seules quelques bribes parvenaient jusqu’à elle, aussi se laissa-t-elle plutôt emporter par les sons venus du jardin. L’aboiement lointain d’un chien, le hululement d’une yuloo ou encore le chant des grillons. C’était bien là sa berceuse préférée.
Elle aurait échangé le peu qu’il lui restait pour entendre sa mère imiter le chant des grillons encore une fois. Elle avait l’habitude de s’allonger dans son dos, la prendre dans ses bras et imiter ce son si particulier. Une chose qu’Ishta n’avait jamais réussi à reproduire, encore aujourd’hui elle se retrouvait parfois à essayer, sans grand succès.
Penser à sa mère amena un sourire sur ses lèvres qui se transforma bien vite en une grimace amère. Elle la voyait désormais sous une autre lumière et beaucoup de ses comportements prenaient soudainement sens. Aux yeux d’Ishta, c’était une personne angoissée et fragile, une flamme douce prête à s’éteindre au moindre coup de vent. Elle n’en avait pas beaucoup de souvenir mais chacun d’entre eux, aussi agréable soit-il, était teinté de nervosité et de précipitation. Comme si chaque seconde ensemble pouvait leur être arrachée à tout moment. Les seuls instants paisibles étaient les quelques minutes où sa mère s’allongeait près d’elle avant qu’Ishta ne s’endorme.
À une époque, la jeune fille chérissait tous les souvenirs qu’elle pouvait avoir, aujourd’hui elle les évitait car chacun d’entre eux amenait une ribambelle de questions. Elle n’avait de cesse d’imaginer les pires horreurs que sa mère aurait pu subir pour l’amener à agir ainsi. Quand ces pensées la prenaient, elle essayait de les mettre de côté et de focaliser son esprit sur autre chose mais, invariablement, elle dérivait sur un autre souvenir et il lui fallait plusieurs minutes pour s’en libérer enfin.
7 commentaires
Anna Cesari
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Mélanie Nadivanowar
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Hiurda
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Hiurda
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