Fyctia
Fiançailles - Partie 3
Le palais des femmes était en effervescence. Les servantes n’avaient qu’un seul sujet de conversation, mais Ishta n’y prêtait que peu d’attention. Une guerre de plus ou de moins... Et celle-ci ne marquerait même pas l’Histoire, pourquoi s’en préoccuper ? Il ne faudrait que quelques semaines aux armées disciplinées du Saam’Raji pour repousser les pitoyables intrusions des barbares du nord. D’autant plus que ces hommes à moitié bête ne supportaient que le froid du nord, disait-on. Cette guerre ne ferait pas long feu sous les Soleils de la Terre d’Or.
Elle tourna ses pensées vers ce qui l’attendait. Elle n’était que très peu sortie du palais des femmes puisque l’univers civilisé des hommes ne lui était pas permis en tant qu’enfant. Elle suivait donc Nishka avec impatience à travers le dédale de couloirs.
Nishka les mena du palais à la chaise à porteuses les attendant en extérieur. Le trajet jusqu’au palais impérial lui parut durer une éternité. Les lourdes tentures lui masquant le paysage ce qui ne lui laissait, comme seule occupation, que d’écouter les discussions des gardes. Encore la guerre... Ishta ne comprenait pas l’obstination des gens à appeler cela une guerre quand tout le monde ne les décrivait que comme des escarmouches sans importance et vite étouffées.
Perdue dans ses réflexions, elle fut surprise quand la chaise s’arrêta enfin devant la Maison des Bureaux de son père. Le chemin jusqu’à son étude se fit dans un brouillard de pieds chaussés, de tapis et d’escaliers dont elle ne prit même pas conscience. Les yeux rivés au sol de peur de rencontrer le regard d’un homme et de recevoir une punition amplement méritée, elle se demanda ce que son père allait pouvoir lui apprendre aujourd’hui. Qu’elles étaient donc les devoirs d’une femme et en quoi étaient-ils si différents de ceux d’obéissance et de discrétion de l’enfance. Le Roi des rois serait-il aussi fier d’elle et affectueux qu’il en avait l’air lors des événements officiels ?
Arrivée devant la porte du bureau, Nishka s’arrêta et ne bougea plus, attendant visiblement qu’elle leur soit ouverte. Après plusieurs minutes d’attente, Ishta se demanda si elle ne devrait pas appeler une servante, mais le couloir semblait vide. Fallait-il toquer à la porte du bureau ? Elle tenta de se remémorer si des instructions lui avaient été données, mais elle était bien certaine de n’avoir rien reçu. Son regard glissa vers Nishka mais la Mère des Futures Femmes se tenait le dos bien droit, les mains jointes devant ses cuisses, la tête et les yeux baissés, la position normale pour toute femme digne attendant ses ordres. Ishta voulut parler, mais elle se souvint de ce que Nishka lui avait dit avant de partir, en dehors des salutations au Roi des rois, ne jamais parler avant son tour. Une femme bien élevée est une femme patiente et silencieuse. Elle garda donc ses questions pour elle. La vieille femme savait sûrement ce qu’elle faisait. Et leur temps n’était certainement pas aussi précieux que celui de l’Empereur en personne.
Elle ne saurait dire s’il passa des minutes ou des heures, mais l’intendant du Roi des rois finit par leur ouvrir la porte. Sa nuque était raide d’avoir attendu pliée et ses genoux tremblèrent légèrement durant les premiers pas. Nishka ne paraissait pas affectée par l’attente, y était-elle tant habituée ? La Mère des Futures Femmes, imperturbable, entra dans la pièce, se prosterna et annonça la princesse.
« Oh, Grand Roi des rois, je vous amène Sha Ishta, cinquième Pétale du Saam’Raji, descendance d’une Ortie, votre fille adorée. »
Le moment était enfin arrivé ! Ishta traversa la pièce à pas posés et lents, ne laissant rien paraître de son excitation. Enfin, elle allait apprendre de son père. Enfin, elle allait entrer dans la phase la plus importante de sa vie. Elle ne pouvait être plus impatiente. Arrivée devant son bureau, elle se prosterna et présenta ses salutations.
« Gloire au Roi des rois, Grand Sage devant les Éternels, sauveur du Peuple et mon père bien aimé. »
Silence... L’avait-il entendu ? Mais elle ne bougea pas d’un pouce. Après quelques instants, elle entendit son père manipuler des papiers, utiliser une plume un moment puis de nouveau le silence. Enfin sa voix grave et puissante s’éleva.
« Bien, Lakshan, envoie donc ceci à mon oncle aujourd’hui, avec un peu de chance, elles atteindront la ligne de front avant demain. Ensuite, tu sortiras et veilleras à ce que personne ne nous perturbe. La gamine va recevoir sa première punition. »
Une pointe de colère perça au travers de l’excitation. Après tout ce temps venait-il de s’adresser à son valet comme si elle n’existait pas ? Comme si elle n’avait pas attendu des heures après lui alors qu’il l’avait fait appeler ? L’avait-il appelé gamine ?
Elle n’eut pas le temps de réfléchir aux réponses à ces questions que deux des gardes personnels du roi lui attrapèrent chacun un bras pour la relever et l’emmener dans un coin de la pièce. Son esprit embrouillé était incapable de comprendre ce qui se passait, par terre un drap noir avait été étalé et deux chaînes pendaient du plafond. Les gardes y attachèrent chacun de ses poignets.
Comment ça, punition ? Comment pouvait-elle être punie avant même d’avoir fait une erreur ?
Elle entendit derrière elle son père faire claquer son fouet, pour le tester sur le drap noir.
Clac !
La terreur s’empara d’elle et elle ne put retenir ses paroles.
« Père ! »
Elle se mordit les lèvres, mais le mal était fait. Elle avait parlé sans permission. Qu’importe alors, autant être punie, mais comprendre.
« Père ! Pourquoi ? Qu’ai-je fait pour vous déplaire ? »
Clac !
Un des gardes déchira le dos de sa robe. Le bruit du tissu cédant fit écho dans son esprit à la terreur se déversant dans tout son corps. Elle éclata en sanglots.
« Père ? »
Sa voix était suppliante.
Un garde lui enfourna une lanière de cuir entre les dents et ses jambes cédèrent, coupées par la terreur.
« Première leçon : en dehors des salutations, tu ne parles pas avant d’en avoir reçu l’autorisation. »
La voix de son père était calme, presque ennuyée.
Mais aurait-elle parlé s’il n’avait voulu la punir sans raison ?
Avant d’avoir pu faire le tour de la question, une douleur fulgurante lui transperça le dos. Un hurlement de douleur s’échappa de ses lèvres. Elle n’avait pas encore compris ce qui s’était passé qu’un second coup de fouet s’abattit sur ses épaules. Sa vue se brouilla et il n’exista plus que la douleur alors que son père lui infligeait son troisième coup de fouet.
Ishta s’évanouit au cinquième, où était-ce le sixième ?
Elle reprit vaguement connaissance alors qu’elle tombait au sol, détachée sans ménagement par les gardes. Elle vit Nishka toujours prostrée, qui n’avait pas bougé d’un poil depuis son entrée dans la pièce, le visage baigné de larmes. L’inquiétude s’empara du cœur d’Ishta, la vieille femme devait se reprendre ou elle prendrait des coups de bâton. Une femme digne ne pleure pas. Mais déjà Ishta sombrait à nouveau dans l’inconscience…
12 commentaires
Marion_B
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Il y a un an
Anna C
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Il y a un an
Anna Cesari
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an
Mélanie Nadivanowar
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Il y a 2 ans
Hiurda
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Il y a 2 ans