Fyctia
10.2 — Axel
***
Un sanglot me tire brusquement du sommeil que j'ai peiné à trouver. Les sourcils froncés, j'ouvre les yeux mais la chambre est plongée dans la pénombre, aucune lumière ne filtre à travers les volets, ce qui me laisse penser que nous sommes en plein milieu de la nuit. Je ne jette pas un œil à mon téléphone, j'en aurais les rétines cramées. À la place, je tends l'oreille, plus si certain d'avoir entendu ce son dans la réalité et non dans un rêve. Le silence fait bourdonner mes oreilles durant quelques secondes, avant qu'un second sanglot me fasse tourner la tête.
Je ne distingue pas Juliann, j'entends simplement ses larmes qu'il ne semble plus pouvoir garder silencieuses.
— Juliann ? je murmure.
Aucune réponse, même après un second appel de ma part. Je repousse la couette à contre cœur, ma peau nue se couvre de frissons. Je suis incapable de dormir avec des vêtements sur moi, ça me gêne beaucoup trop et je n'ai clairement pas la tête à me rhabiller juste pour franchir le mètre qui me sépare du lit de Juliann. Bon sang, il pleure dans son sommeil. À quel point garde-t-il tout en lui ?
Mes genoux touchent le cadre en bois, je me penche, sans vraiment savoir où se trouve son visage, son corps. Je me fie simplement à mon ouïe. J'avance la main, jusqu'à toucher ce que je crois être son épaule.
— Juliann, réveille-toi, je lâche toujours aussi bas.
Les draps se froissent, il gesticule durant plusieurs secondes avant de sursauter, la respiration soudainement plus rapide. La couette est repoussée, ma main aussi. Je l'entends se frotter le visage, les yeux. Essuyer les traces de ce qui ne peut être vu.
— Qu'est-ce que...
— Tu pleurais.
Inutile de tourner autour du pot, il ne comprendrait pas pourquoi il sent ma présence à ses côtés. Sans attendre la permission, je me fais une place au bord de son lit, mes bras croisés pour tenter de me réchauffer. Il fait vraiment trop froid dans les chambres la nuit, mais c'est une idée de Juliann et Georges. Baisser le chauffage pour que nous puissions mieux dormir et récupérer au maximum.
— Je ne pleurais pas, m'affirme-t-il.
Pourtant, sa voix tremble encore et trahit son état. Le noir qui envahi la chambre ne peut pas tout cacher.
— Tu as le droit, tu sais.
— Retourne te coucher Axel, je ne te réveillerai plus.
Il tente de tirer la couette, de se tourner dos à moi mais dommage pour lui, je ne compte pas bouger. Maintenant que je suis réveillé, je sais que je ne parviendrai pas à retrouver le sommeil et ça m'étonnerait beaucoup que lui y arrive également. Je décide de prendre mes aises, de ne plus me contenter d'un bout de matelas. Je grimpe pour poser mon dos contre le mur et étends mes jambes. Juliann, parallèle à moi, semble retenir son souffle.
Il finit par capituler et, sans un mot, sans le voir, je sens qu'il bouge. Le froid disparaît lorsque son épaule nue frôle la mienne. Sa chaleur m'enveloppe et c'est... agréable. Nous n'avons jamais été si proches l'un de l'autre, je considère que c'est une victoire.
— Je crois, enfin non, je suis certain en réalité, que je n'ai jamais fait le deuil de mon père, et de tout ce que son décès m'a fait perdre.
— Comme ta carrière ? je demande, surpris qu'il se confie.
— Par exemple. Mais aussi, ma liberté. J'étais déjà enchaîné à lui, j'ai toujours été le fils du grand entraîneur Lavie, peu importe à quel point j'essayais de me battre pour me faire ma propre place. Puis il est mort devant des centaines de gens, devant moi, et ce drame est devenu tout ce que l'on voit lorsque l'on pose les yeux sur moi. L'orphelin, ou le fils courageux qui a lâché sa carrière pour reprendre les rênes de l'équipe à laquelle mon père tenait tant. À l'époque, je pensais que c'était le meilleur choix, que c'était ma destiné, de reprendre sa place, même si ça voulait dire être encore dans son ombre. Aujourd'hui, ça ne me paraît plus être si judicieux que ça.
— Tu aimes entraîner cette équipe ? Et avant de me répondre, pense à toi en priorité. Pas à ce que tu es censé faire, ce que les gens attendent de toi.
Est-ce que quelqu'un lui a déjà posé cette simple question ? Est-ce qu'un de ses proches lui a demandé si c'était vraiment ce dont il avait besoin ? Je ne connais pas son histoire dans les détails mais je me souviens qu'à l'époque, découvrir qu'il reprenait l'équipe me paraissait insensé. Pourquoi mettre un terme à une carrière qui commençait tout juste à décoller ?
— Tout ce qui se dit ici, ça restera entre nous ?
— Entre nous et les murs de cette chambre, je lui promets.
— D'accord.
Juliann soupire, comme s'il s'apprêtait à se lancer dans le vide, et sa manière d'agir me chamboule de plus en plus. Je ne sais pas si je rentrerais chez moi indemne, pas après avoir découvert autant de souffrance, autant de résignation en une seule personne.
— Je ne sais pas si à un moment, j'ai vraiment aimé entraîner les gars. C'est juste... ce qu'il faut faire. Ce que je dois faire, parce que je suis certain que mon père aurait souhaité que je prenne sa relève, c'est ce qu'il me répétait tout le temps. Il était un père génial, tu sais ? Mais il n'a jamais pensé que je pouvais sérieusement faire carrière dans le volley. Il me voulait comme assistant, il voulait m'apprendre à coacher des joueurs. Il souhaitait que je sois son égal, que j'emmène des équipes dans les plus grands championnats. Il n'a jamais pensé que... que j'aurais aimé être un joueur remportant toutes les compétitions. Ça ne lui a jamais paru réalisable.
La couette est froissée entre ses mains.
— Tu dois trouver ça tellement ridicule...
— Rien n'est ridicule dans ce que tu viens de me confier. Je comprends que tu aies souhaité rendre ton père fier en prenant sa suite. Je ne le connaissais pas, je n'ai aucune idée de comment était votre relation mais... je pense qu'il avait tord, concernant ta carrière. La seule fois où nous nous sommes affrontés, j'ai vu l'étendue de ton talent. Tu méritais ta carrière de joueur.
— Peu importe. Aujourd'hui, je n'ai ni envie d'être entraîneur, ni envie d'être joueur. Je... Je ne sais plus ce que je suis censé faire.
Un bâillement lui échappe. J'ai la soudaine envie de l'attirer contre moi pour qu'il se repose, et le réaliser me rend nerveux. Depuis quand ai-je envie de le toucher ?
— Après le tournoi, tu devrais sans doute prendre du temps pour toi. Laisser plusieurs jours passer, Coline semble avoir les épaules pour gérer l'équipe.
— Je n'ai jamais pris de temps pour moi. Pas depuis la mort de mon père.
— Tu devrais y réfléchir pourtant, parce que tu fonces droit dans le mur.
Je ne m'attends pas à ce que d'un coup, il acquiesce et laisse tout tomber, je pense avoir compris que lâcher du lest est plus que compliqué pour Juliann. J'espère néanmoins qu'il prendra le temps de peser le pour et le contre, pour sa santé mental. Il mérite... Il mérite une paix qu'il ne connaît pas encore.
11 commentaires
MarionBtk
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Il y a 2 ans
Hōseki
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Il y a 2 ans
signofbee
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Il y a 2 ans
Dianebrm
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Il y a 2 ans
Sandrine L
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Il y a 2 ans
leaspreux
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Il y a 2 ans