Fyctia
5.1 — Juliann
Mardi 7 décembre
"Je ne te reconnais plus, Juliann. Tu vas beaucoup trop loin."
Si j'étais en mesure de me montrer totalement honnête avec moi-même, j'aurais répondu à Coline que moi non plus, je ne me reconnais plus. D'ailleurs, je ne suis pas certain d'avoir été un jour l'homme qu'il y a au fond de moi. J'ai grandi en souhaitant devenir le meilleur joueur possible pour mon père. Puis j'ai voulu devenir un aussi bon entraîneur que lui. Je crois que, pas une fois, je n'ai vraiment écouté ce que moi je voulais. Je n'ai jamais appris à cherché mes désirs et les mettre en avant. Ma vie est telle que les autres sont devenus ma priorité. Toujours. Je voulais voir mon père sourire. Je veux voir mes joueurs passer au niveau supérieur.
Sauf que de toute évidence, cette manière de penser ne fonctionne pas. Depuis dimanche, je ne me sens plus à ma place, j'ai la désagréable impression de n'être qu'une ombre qui ne sait pas si elle doit s'imposer ou non. Nos entraînements ont tous été dirigés par mon adjointe, je me suis contenté de faire acte de présence et d'observer silencieusement sans prononcer le moindre mot, ce qui a eu l'air de plaire à mes joueurs.
Les voir si détendus m'a foutu un autre coup au moral.
Aujourd'hui, je n'ai donc pas eu le courage de rejoindre le gymnase, même avec le match de demain soir. Je fais confiance à Coline et, je sais qu'ils seront encore mieux préparés sans moi pour superviser tout ça. C'est horrible de l'admettre et pourtant, je crois que j'ai enfin ouvert les yeux. Je m'entête depuis des mois, je donne tout ce que j'ai mais ça ne sert à rien. Ça ne sert rien à rien parce qu'ils souhaitent tous me voir partir, et personne ne fera d'efforts pour que notre relation s'améliore.
Ce tournoi est sans doute le dernier moment que j'aurais avec mes joueurs.
Je prends mon téléphone en le sentant vibrer.
"Peu importe ce qui se passe en moment, c'est vide de ne pas t'avoir avec nous ici."
Le SMS de Coline ne parvient pas à me faire sourire. Je sais qu'elle est sincère et pourtant... C'est faux. Je ne réponds pas, je me contente d'enfoncer mes mains dans les poches de mon manteau et de m'adosser au banc sur lequel je suis assis depuis près d'une heure. Il fait beau aujourd'hui, les rayons du soleil sont agréables sur ma peau, et je ne suis pas le seul à vouloir en profiter. Les jardins de l'Europe sont bondés de monde, il y a des touristes, des joggeurs, des gens qui promènent leurs chiens. Moi, j'ai décidé de regarder la vie autour de moi, en pleine remise en question.
Je sais qu'en rentrant, je vais devoir mettre ma fierté mal placée de côté et aller m'excuser auprès d'Axel. Peu importe les mots utilisés, je n'avais pas à lever la main sur lui, c'était le geste de trop et depuis, l'ambiance dans la chambre est glaciale. C'est simple, mon colocataire fait comme si je n'existais pas. Je suis un fantôme, rien de plus désagréable à vivre.
Le bleu sur sa mâchoire a fait débat au sein du chalet, heureusement personne n'a remarqué mes phalanges rougies. Axel a gardé le silence, sans que je ne comprenne pourquoi. Il aurait pu le dire à nos équipes respectives, ça lui aurait évité des dizaines de questions intrusives, il n'en est rien. Un frisson d'effroi me parcourt lorsque je réalise que je vais devoir le remercier pour ça. Je n'ai pas le choix, même si je ne l'apprécie pas, nous devons encore cohabiter pendant plus d'une semaine et demie et je ne me vois pas continuer dans cette direction là.
Deux jours c'est déjà trop.
Je reste une heure de plus dehors, avant de me décider à rentrer, à pieds. J'aurais pu prendre un taxi, mais j'ai remarqué que marcher me faisait vraiment du bien, autant à l'esprit qu'au corps. Mon corps est le témoin de mon passage du statut de joueur à celui d'entraîneur. Je ne prends plus assez de temps pour moi, même si je marche et cours beaucoup. Ce n'est pas assez.
Le bas du chalet est vide lorsque je passe la porte d'entrée. J'entends du bruit à l'étage, signe que je ne suis pas le seul, mais ce ne sont pas des membres de mon équipe. Ils doivent être au gymnase jusqu'en fin d'après-midi. Je pose mes affaires sur une chaise de la cuisine et me fait couler un chocolat chaud. Mon regard se perd par la fenêtre pendant que ma tasse se remplie. Le soleil commence à disparaître derrière les montagnes, la nuit va bientôt tomber, et ces dernières ne seront plus que d'immenses ombres.
Je savoure le calme, appuyé contre le plan de travail, et trempe mes lèvres dans le chocolat brûlant. Je n'ai pas pris le temps d'apprécier le logement dans lequel nous nous trouvons, surtout l'endroit où nous sommes censés tous nous retrouver. Le salon est grand et cosy en même temps, la grande table derrière le canapé permet de tous nous accueillir. Il y a des cadres photos accrochés sur le mur, des paysages que j'aimerais tous découvrir. Les couleurs sont assorties entre elles, tous est harmonieux. J'aime vraiment cet endroit, même si je n'ai pas l'impression d'en profiter assez.
Mes épaules se crispent au son de pas dans les marches. Je fixe le bas des escaliers, dans l'attente de découvrir si je vais vraiment devoir présenter des excuses tout de suite, ou si j'ai le temps de terminer ma tasse. Mes doigts se serrent autour de cette dernière quand mes yeux se posent sur Axel. Habillé d'un survêtement rose pâle, son visage se ferme dès qu'il me remarque. Nous sommes deux à ne pas avoir envie de nous croiser mais c'est inévitable, surtout avec ce que je dois lui dire.
— Salut.
Ce simple mot semble me brûler la gorge. Bon sang, je prends vraiment sur moi.
5 commentaires
signofbee
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Il y a 2 ans
julie07
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Il y a 2 ans
Hōseki
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Il y a 2 ans
Sandrine L
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Il y a 2 ans
Dianebrm
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Il y a 2 ans