leaspreux L'ombre de tes peines 3.1 — Juliann

3.1 — Juliann

Samedi 4 décembre



— Les documents que nous vous distribuons regroupent les matchs qui auront lieu durant les quinze prochains jours. Chacun votre tour, vous rencontrerez les cinq équipes adverses. La remise des médailles ainsi que celle du chèque pour l'association auront lieu le dimanche 19, après le dernier match. Vous serez ensuite libérés le lundi. Avez-vous des questions ?


Eric Morier, le vice président délégué au sport de la région, prend le temps d'observer chacun d'entre nous. Les entraîneurs et entraîneurs adjoints de chaque club sont réunis autour d'une table depuis plus de deux heures et ont déjà tous, pour la plupart, la tête baissée sur les feuilles données. Personne ne semble avoir de question, ses explications ont été plutôt claires et, je ne pense pas me tromper en affirmant que nous avons tous mieux à faire que d'écouter le discours d'un homme qui n'a jamais effleuré un ballon de volley de sa vie. C'est une histoire de paperasse, d'organisation. Nous, ce que nous préférons, c'est entraîner nos joueurs et donner le meilleur de nous même aux matchs.


De plus, les regards que me lancent certains collègues commencent à m'irriter. Les années passent pourtant l'histoire de mon père me colle à la peau, et dès que j'arrive quelque part, on ne peut s'empêcher de penser au drame qui a touché ma famille. Il y a des jours où je me bats corps et âme pour la mémoire de l'homme qui m'a élevé puisque je lui dois tout, et d'autres où j'aimerais m'arracher la peau, devenir un inconnu aux yeux de tous. J'existe. J'existe en tant que Juliann, mais ça, mis à part ma meilleure amie, personne ne le voit. Cette dernière observe le calendrier imprimé en noir et blanc.


— Nice serons nos derniers adversaires, le match promet d'être intéressant, commente-t-elle.


Je me penche à mon tour, prêtant attention à notre nom d'équipe inscrit en gras. Trois matchs la première semaine, deux pour la deuxième. C'est équilibré et nous avons assez de temps de récupération, de quoi mettre toutes les chances de notre côté. L'excitation commence à grimper en moi, je nous imagine déjà lundi, au meilleur de notre forme.


— Bien, je vais vous libérer et vous laisser profiter de la journée. Bonne chance aux deux équipes qui ouvrent la compétition.


Tels des collégiens à la sonnerie de fin de cours, un brouhaha désagréable empli directement la salle. Les chaises raclent sur le sol, plusieurs poignées de mains sont échangées. Mon regard est attiré par Georges, qui discute avec l'entraîneur de La Rochelle à deux mètres de nous. Ils sont les premiers à s'affronter demain, en début d'après-midi. J'assisterais au match, c'est toujours bien de voir nos concurrents en direct.


Pour le moment, nous devons rejoindre nos joueurs au gymnase. La salle de réunion est abandonnée au profit d'un taxi qui démarre sans attendre, filant entre les rues d'Annecy.


— Comment s'est passée ta première nuit avec l'ennemi ?


L'appellation utilisée m'arrache un bref sourire. Axel ne m'a rien fait, le qualifier d'ennemi est un peu extrême mais il ne deviendra pas mon ami pour autant. Il y a trop de choses chez lui qui me dérangent au premier coup d'œil pour que je puisse apprécier sa présence. Rien que sa question d'hier... Qui demande s'il peut utiliser la douche ? C'est autant sa chambre que la mienne, il peut bien faire ce qu'il souhaite. Je ne suis pas sa mère.


— Chacun est resté dans son coin, je finis par répondre.


Certes, le repas partagé était agréable mais... C'est tout. Créer des relations ici est une perte de temps, un moyen de nous détourner de notre objectif. Je ne peux pas interdir aux gars de sympathiser, mais ça ne sera pas mon cas.


— Et toi, avec Ethan ? je demande avant qu'elle ne puisse me poser d'autres questions.


Ce n'est pas que je n'ai pas envie de parler d'Axel, il n'y a simplement rien d'intéressant à dire. Nous devons nous côtoyer pendant quinze jours, c'est tout. Je préfère encore écouter à quel point ma meilleure amie est amoureuse d'un abruti fini, qui est accessoirement, le capitaine de mon équipe. C'est le meilleur d'entre tous et il mériterait mieux que Montpellier. Des clubs m'ont approchés pour l'avoir, mais il a tout refusé. Notre relation en dents de scie n'a pas été un motif de départ. Il aime jouer avec nous.


— Ça se passe bien. Tu sais, je suis vraiment amoureuse de lui.


Ça me tue de l'avouer, pourtant je sais qu'elle est sincère. Elle rayonne quand elle est à ses côtés et c'est agréable à voir. Nous nous connaissons depuis que nous sommes gosses, elle a vécu comme moi la disparition brutale de mon père et elle en a autant souffert. Je suis heureux qu'elle soit épanouie aujourd'hui, et qu'elle ne reste pas bloquée dans le passé. Comme moi.


— Tant qu'il l'est autant de toi, je n'ai aucune raison de lui faire manger un ballon de volley.

— Il sait que s'il merde quelque part, il aura à faire à toi.


Je passe mon bras autour de ses épaules et presse un baiser sur sa tempe. Coline est comme ma sœur, si on lui fait du mal, je ne peux pas rester insensible et ne pas réagir, tout comme je sais que je ne pourrais pas tomber dans l'extrême et le virer de l'équipe. La vie privée d'Ethan n'est pas censée me regarder.


— J'espère que l'entraînement va bien se passer, j'avoue, le regard perdu sur la route et les montagnes que nous pouvons enfin appercevoir.


C'est immense, impressionnant et aussi oppressant. Mais tellement beau.


— Ils savent que ce tournoi est important. Il n'y a pas de raison pour qu'ils jouent aux rebelles.


Ses mots se répètent dans ma tête jusqu'à ce que nous franchissions les portes du gymnase, et je suis heureux de constater que c'est le cas. Ils sont studieux, déjà en train de s'échauffer, le tout supervisé par Ethan. Il est un bon capitaine, quoi que je puisse penser de lui.


— Bonjour coach.


Sacha trottine dans notre direction, je lui adresse un sourire.


— Depuis combien de temps êtes-vous là ?

— Un bon quart d'heure, on termine juste l'échauffement.

— D'accord, super.


Je me sens soudainement mieux. Qu'ils prennent des initiatives et me montrent qu'ils sont autant impliqués que moi me réchauffe le cœur. Je tape dans mes mains pour les interpeller.


— On commence par bosser la défense, vous vous mettez par deux.


Comme d'habitude, je me retrouve avec un joueur pour faire l'exercice. Un ballon dans les mains, je me sens toujours bien. Ça me crève parfois le bide de les voir jouer et de ne pas être à leur place, ce qui fait que notre relation s'est dégradée petit à petit. J'ai laissé parler ma colère à de trop nombreuses reprises et j'essaie de la contrôler aujourd'hui.


— On fait un peu de cuillère*, cinq minutes chacun. C'est parti !


*Exercice de volley : 2 joueurs face à face s'échangent alternativement deux ballons, le premier donne le coup d'envoi de l'exercice, il reste sur ses appuis et lance les ballons chacun leur tour vers l'autre, qui se déplace de gauche à droite, tentant de récupérer les ballons avec la main concernée puis les renvoie.


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3 commentaires

signofbee

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Il y a 2 ans

Juliann juliann..

Dianebrm

-

Il y a 2 ans

Juliann il est trop dans ses idées rohhh détends toi
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