Fyctia

Vendredi 3 décembre

— Si l'entraîneur te voit, il va te donner cinquante tours de terrain.

Mathias, l'un des libéros de notre club et accessoirement mon meilleur ami, ferme la porte d'entrée derrière lui. Un rire sans joie m'échappe. Ouais, Georges déteste que je touche aux cigarettes, s'il pouvait fouiller dans mes affaires et jeter mes paquets, il le ferait, pour mon bien, ma santé. Si j'avais plus de volonté, je pourrais arrêter, mais j'ai l'impression qu'inspirer tout ce goudron me détend et ce soir, j'en ai besoin. L'ambiance dans ma chambre me rend nerveux. L'idée d'y retourner dans quelques minutes me fait allumer une seconde cigarette.

— T'as l'air tendu.

Fine observation qui me tend encore plus. Ce n'est pas un secret, tous mes coéquipiers savent que je m'en grille une quand ça ne va pas, ce n'est jamais par plaisir. J'expire la fumée qui se disperse dans l'air.

— Je n'aime pas mon colocataire, je lâche d'une voix basse.

En réalité, c'est au delà de ne pas l'aimer. Dix minutes avec lui et j'ai déjà envie de l'aplatir contre un mur.

— Le coach de Montpellier ?

— Ouais. Ce mec est aussi froid et aimable qu'une porte de prison.

— En même temps... Tu es l'homme à abattre.

— Sur le terrain. En dehors, nous pouvons nous comporter comme des gens civilisés.

Je n'ai jamais considéré nos adversaires comme des ennemis, la haine des autres ne me fait pas avancer. Lorsque nous sommes séparés par un filet, il faut bien un gagnant et un perdant, mais si nous perdons, je ne deviens pas complètement dingue, je n'insulte pas les joueurs. Je considère qu'une défaite est uniquement notre faute et dans ces cas là, c'est contre l'équipe que je m'énerve, contre-moi même. Les autres ne sont pas plus forts, c'est nous qui ne sommes pas assez solides. C'est ma philosophie et j'ai beaucoup de mal à concevoir que tout le monde n'en pense pas ainsi.

Mathias s'allume une cigarette à son tour et s'appuie contre un des poteaux qui soutient le auvent au-dessus de notre tête. Il hausse les épaules.

— On peut déjà dire que les joueurs ne sont pas comme l'entraîneur.

— Ils sont le parfait opposé ! Regarde, on a passé la soirée à discuter avec eux.

Et ça s'est fait naturellement. Plutôt que de se séparer en deux, nous avons dîné ensemble autour d'une dizaine de pizzas commandées, et nous avons appris à nous connaître sans voir les heures défiler. Le seul rabat-joie dans l'histoire, c'était ce Juliann qui répondait à peine quand on lui posait une question et qui se contentait de fixer son téléphone sous la table. Nous l'avons vite oublié pour profiter de la soirée, mais c'est toujours désagréable quand il y a un élément perturbateur.

En plus, il dégage de mauvaises ondes et ce n'est pas agréable. On dirait qu'être parmi nous est une corvée, alors que personne ne l'a forcé à venir récolter de l'argent pour des enfants qui n'ont pas la chance d'avoir de vrais Noëls entourés d'amour et de cadeaux. Il n'y a rien de plus beau que servir ce genre de cause, on devrait se concentrer sur ça, et uniquement sur ça.

— Je trouvais ça marrant de me retrouver avec un mec de Montpellier, je commence déjà à regretter.

— Tu t'es porté volontaire, s'amuse-t-il.

— Bah ouais, je pensais que ça pouvait être marrant. Puis, ce n'était pas toi ou l'un des gars qui comptait prendre ma place, je me trompe ?

— Pas du tout.

Nous ricanons tous les deux et la cigarette ne me paraît plus autant nécessaire, d'un coup. Du bout de mon pieds, je l'écrase sur le sol et fait rouler mes épaules. Je suis heureux d'être ici, et d'avoir l'impression de vivre une colonie de vacances pour mecs de bientôt trente ans. Nous allons nous battre pour une association et c'est une occasion de plus pour moi de montrer ce que je vaux. Un mec aigri ne gâchera pas mon plaisir.

— Tu vas le dérider Axel, personne ne te résiste.

— Tu oublies de dire que je déride les mecs en les foutant dans mon lit.

— C'est peut-être la solution.

Son clin d'œil équivoque me fige une seconde, juste le temps d'imaginer Juliann dans mon lit. Il est canon, je ne peux pas dire le contraire. Légèrement plus petit que moi, une barbe fournie qui recouvre ses joues, des yeux bleus qui ne cachent pas ce qu'il pense. Dans un autre contexte, il aurait pu être à mon goût, mais la manière dont il se comporte de prime abord ne donne envie de rien de plus que partager la même chambre. Pas le même lit.

— On pari que tu y arrives avant la fin du séjour ?

— Va te faire voir Mat.

Son rire me parvient encore lorsque je rejoins les autres au salon, mais il est très vite recouvert par des cris d'encouragements. Quelques joueurs de mon équipe et de celle de Montpellier sont regroupés devant la télé, là où se dispute un match de FIFA. Je retire mon écharpe et m'approche, réprimant un sourire en découvrant qui sont les deux adversaire de la soirée. Coline, la seule fille de notre chalet affronte Charles, l'autre libéro de notre équipe. Je ne connais pas le niveau de Coline mais Charles reste habituellement loin d'une manette, il est tout simplement nul aux jeux vidéos. Peut-être a-t-il été piqué dans son égo... En perdant, il le sera encore plus.

L'ambiance bon enfant termine de me détendre, je me surprends même à rester jusqu'à la fin du match. Nous rejoignons tous ensemble nos chambres à minuit passé, une première moitié est abandonnée au premier étage, la deuxième dont je fais partie se souhaite bonne nuit après une dizaine de marches supplémentaires. Juliann n'était pas avec nous, il doit déjà dormir alors j'allume la lumière de mon téléphone et entre sans bruit dans la chambre.

Je m'arrête après avoir refermé la porte et le découvre loin d'être endormi, la lampe de chevet allumée, et une tablette posée sur ses cuisses. Je me sens soudainement con avec ma lampe que j'éteins. Il ne lève pas les yeux vers moi, il fait simplement comme si je n'existais pas et ça m'agace. Je suis aussi insignifiant que ça pour n'avoir pas le droit à un simple regard ? J'avance vers mon lit et balance mon téléphone sur les draps.

— Ça te dérange si je prends une douche ?

Il faut que j'ouvre la bouche pour qu'il daigne me prêter attention. Ses sourcils sont froncés.

— Pourquoi ça m'embêterais ?

— Peut-être que tu vas te coucher et que le bruit de l'eau va te déranger ?

— C'est bon, tu peux y aller.

Je n'attends pas une seconde de plus pour prendre mon pyjama et m'enfermer dans la salle de bain. Être observé comme un extraterrestre alors que je tente juste d'être poli, ça ne me va pas du tout. Il s'agit de bon sens, nous partageons une chambre et nous devons faire attention l'un à l'autre, pas être égoïste. Je retire mes vêtements et me glisse sous l'eau chaude, les yeux clos. Je prends plus de temps que d'habitude, retarde au maximum mon retour dans la chambre.

Bon sang, j'espère qu'il n'est pas du genre à ronfler, sinon je vais vraiment détester cette colocation.

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Un petit chapitre 2, où vous pouvez découvrir un peu plus Axel 👀