Fyctia
1.2 — Juliann
J'invite mon équipe à me suivre à l'intérieur du chalet. Une odeur de bois chatouille directement mes narines, un feu est en train de crépiter au fond de la pièce qui doit faire la taille de mon appartement. J'aime l'idée du salon ouvert sur la cuisine et l'entrée, un grand espace de vie qui pourrait être animé si nous parvenons à nous entendre avec les joueurs qui deviendront nos adversaires d'ici quelques jours.
Notre arrivée est remarquée par les hommes présents au rez-de-chaussée. Des têtes se redressent au niveau du canapé, et une silhouette familière apparaît du fond de la cuisine.
— Juliann ! Je suis ravi de te revoir.
L'entraîneur de Nice Volley m'accorde une brève étreinte.
— Moi aussi Georges.
Mon père était connu dans le monde du Volley, ce serait donc mentir de dire que je m'attendais à passer inaperçu pendant cette compétition, surtout avec l'équipe de Nice. Georges et lui n'étaient pas les meilleurs amis du monde, mais ils aimaient bien prendre un verre ensemble après un match.
— Prêt pour ce tournoi ?
— Prêt, je lui réponds avec un sourire crispé.
Pour le moment, ma position sur un siège éjectable n'a pas fait le tour du sud-est du pays. Certes, mes résultats médiocres parlent d'eux-mêmes et sont connus de tous, mais personne ne sait que la situation est aussi critique. C'est mieux ainsi.
Mes joueurs se sont éparpillés, font déjà connaissance avec leurs adversaires. Une vingtaine d'hommes et une seule femme, l'ambiance promet.
Du coin de l'œil, je ne manque pas le baiser qu'Esteban pose sur les lèvres de ma meilleure amie. Ils ont beau être ensemble depuis plusieurs mois maintenant, je ne m'y fais pas et ne pense pas m'y faire un jour. La seule chose que je peux lui attribuer, c'est de lui permettre de ne pas se sentir seule lors de ces regroupements même si elle sait y faire avec les hommes, ayant grandi depuis toute petite dans ce monde. Il y a une autre personne que moi sur qui elle peut compter.
— Il y a dix chambres dans le chalet, six au premier étage, quatre au deuxième, m'informe Georges tandis que le calcul se fait déjà dans ma tête.
Nous sommes un nombre impaire, Coline va partager une chambre avec son petit-ami, et aucun des joueurs ne souhaitera être avec le coach. Ce qui signifie que...
— Qui va donc avoir l'honneur de partager ma chambre ?
En haut des escaliers, Axel Bautmans, l'un des passeurs les plus doués de notre génération, observe le peuple à ses pieds avec un large sourire, un brin arrogant. Georges croise les bras contre son torse, loin d'être impressionné par son joueur qui doit faire une tête et demie de plus que lui. À l'époque, je rêvais d'avoir sa taille, sa souplesse. Son don. Être grand au Volley est un plus non négligeable si l'on est capable d'en tirer avantage.
— Doucement, Axel. J'étais justement en train d'expliquer à l'entraîneur...
— Lavie, le coupe-t-il une fois à notre hauteur. L'entraîneur de Montpellier, équipe déchue. Ravi de faire votre connaissance.
Son petit commentaire reste bloqué dans un coin de ma tête. J'ai pris l'habitude de subir les remarques désagréables -même si elles sont véridiques- et l'entendre de la bouche d'un joueur que j'ai presque idolâtré à une époque me donne envie de lui en foutre une. S'il continu sur cette lancée, ça ne va pas du tout passer avec moi.
Sa main s'avance dans ma direction, je mets une seconde de trop à comprendre ce qu'il souhaite. J'avance la mienne également, échangeant une poignée sans doute un peu trop brusque. Je n'aime pas le regard qu'il pose sur moi, sa façon de m'examiner, de m'analyser. Il pense sans doute que je suis une cible facile à abattre, que mon équipe ne vaut rien. Il va être surpris. S'il prend les futurs matchs pour acquis, ce n'est pas notre cas.
— De même, je finis par répondre pour reprendre le dessus. Je vois que tu t'es renseigné.
— Toujours sur mes adversaires. J'ai hâte de jouer contre vous.
Les yeux dans les yeux, nous nous jaugeons. Lui sans quitter son sourire, moi le corps crispé, agacé par la façon dont il rayonne. Si j'avais continué le Volley, j'aurais pu l'écraser, j'en suis certain.
Sacha, l'un de mes attaquants, interrompt le silence qui perdure entre nous.
— Nous aussi, Bautmans. Je suis certain que ta réputation va prendre un coup pendant ce tournoi.
— Excuse-moi, je ne pense pas que nous jouions au même niveau toi et moi.
— Si l'on revenait aux chambres ?
Georges abat une main ferme sur l'épaule de son passeur, Sacha lui, ses contente de s'éloigner en levant les yeux au ciel. Ne pas répondre aux provocations, c'est un conseil qu'ils suivent tous à la lettre.
— Je t'écoute, je réponds.
— Comme l'a si bien dit Axel, nos deux équipes sont en nombre impair, il y a donc quelqu'un de chez toi qui va devoir rejoindre sa chambre.
Mettre un de mes joueurs avec lui lui ferait trop plaisir. Une chance de mettre notre équipe un peu plus bas qu'elle ne l'est en agaçant et déstabilisant sans interruption. Je refuse de lui faire ce plaisir, je dois prendre le dessus et lui montrer que je ne le laisserai jouer avec aucun de nous.
— Je vais partager la chambre avec lui. Les gars, je vous laisse faire les binômes, j'indique à mes joueurs avant de récupérer ma valise.
Je n'attends aucune réponse pour grimper les marches deux par deux. Après ces longues heures de route, je rêve de prendre une douche et me détendre avant la grosse réunion de demain. En dehors du planning établi, tout le monde est libre de s'occuper comme il le souhaite, moi compris. Un peu de repos, juste pour cette soirée, ne me fera pas de mal.
— Tu dois encore monter un peu.
Le tutoiement m'hérisse les poils mais je ne dis rien. Je l'avais senti dans mon dos. Je suis parti en tête mais bien évidemment, c'est à lui de me montrer où se situe notre chambre. Bon sang, ce que je ne ferais pas pour assurer le maximum de tranquillité à mon équipe. Je reste silencieux, le suivant jusqu'au deuxième étage, puis au fond du couloir. Il ouvre une porte et me laisse pénétrer dans l'espace restreint. C'est assez pour dormir, non pour rester tous les deux dans la même pièce. Le parquet grince sous mes pieds lorsque j'avance jusqu'à la baie vitrée. Cette dernière ne renvoie que mon reflet à cause de la lumière.
— J'ai pris le lit le plus près de la porte. Tu peux prendre celui-là.
Axel donne un coup de tête vers le lit simple qui butte contre mes jambes. Sans le savoir, il m'accorde celui que je voulais. J'aime avoir un regard sur l'extérieur, peu importe où je me trouve.
Je m'assois sur le matelas loin de ressembler à un nuage, mais qui fera l'affaire. Quand on fait autant d'insomnies comme moi, ce n'est qu'un détail.
— T'es pas très bavard, je me trompe ?
Mon colocataire n'a pas bougé. Les mains dans les poches, il m'observe, appuyé contre le cadre de la porte. Il me paraît encore plus immense depuis ma place. Un géant aux boucles brunes.
5 commentaires
signofbee
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Il y a 2 ans
lectureetpaillette
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Il y a 2 ans
Dianebrm
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Il y a 2 ans
Hōseki
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Il y a 2 ans