Fyctia
Battement d'aile (1/3)
- J'y arrive plus, Mel. Je suis désolé.
Jimmy fait rouler sa compagne sur le côté. Grognements d'un côté. Soupirs de l'autre. Insatisfaction de part et d'autre. Elle se rhabille rapidement, se roule en boule sans un mot et tire les couvertures sur soi. Lui reste assis sur le bord du lit, immobile, la tête baissée, le regard fixé sur son sexe déprimé. Il ne parvient même plus à bander. C'est la fin des haricots, se dit-il.
Jimmy regarde sa montre : à peine 23 heures. On est vendredi soir, l'air doux de la mi-juin s'infiltre par la fenêtre de leur petit appartement, comme un appel, une invitation à aller changer d'air. Il s'habille à la hâte, empoigne son téléphone, tapote frénétiquement sur le clavier. Mel relève sa tête échevelée de sous les draps :
- Qu'est-ce que tu fous, Jim ?
Il ne répond pas. Il ne sait pas quoi répondre. Il est persuadé que s'il lui dit qu'il va sortir, elle va lui faire une scène. Alors sans un mot, il enfile ses baskets, ouvre la porte, et descend l'escalier en courant, ignorant la voix de Mel qui s'estompe au fur et à mesure qu'il s'éloigne.
**
Devant l'entrée du bar, Ben grille une cigarette nerveuse. Ce n'est pas dans les habitudes de Jimmy, de lancer des invitations à la dernière minute. Encore moins à cette heure-ci. Encore moins pour aller boire des coups avec son meilleur ami. Il y a de quoi être inquiet.
Justement le voilà, Jimmy. Ébouriffé, débraillé, lacets défaits, la mine des mauvais jours.
- Putain mec, qu'est-ce qui t'arrive ?
- Hey, merci d'être venu ! Viens, je te paie un verre et je te raconte tout.
Il n'a pas bien calculé son coup : il aimerait une petite table à part, dans un coin tranquille pour discuter. C'est samedi soir, le bar est plein. Plus qu'une option : le comptoir. Les deux amis s'installent, commandent deux pressions. Jimmy ignore la sonnerie intempestive de son portable : il sait que c'est Mel. Il ne veut pas lui répondre. Il fait l'équivalent numérique de l'autruche et éteint le téléphone.
- Tu vas me dire ce qui se passe, oui ?
Ben bout d'impatience devant la nonchalance de Jim qui n'a pas encore pipé mot, le regard fuyant. Ce dernier sent bien que son attitude devient vite exaspérante. Il engloutit une première gorgée de bière, puis une seconde, puis une troisième... Arrivé à la moitié de sa pinte, il s'arrête, déglutit, et daigne enfin se tourner vers son ami.
- Tu crois en l'amour pur, l'amour éternel entre deux personnes ?
Ben est désarçonné : tu parles d'une entrée en matière !
- Euh... j'en sais rien ! Tu sais que tu es le champion du monde des questions existentielles, toi !?
- Te moques pas, s'il te plaît !
- OK, ok... Dans le contexte actuel, je pense qu'une relation qui tient plusieurs mois, c'est un petit miracle !
- Rien que ça ?
- Rien que ça.
- Pfff... tu m'aides pas, là... Je me sens perdu, tu comprends ? Je ne sais plus ce que je veux, je ne sais même plus en quoi je crois... Je me sens comme une mule au milieu du désert qui attend qu'on lui donne une direction.
- Raconte-moi tout. Qu'est-ce qui se passe ? C'est avec Mel que ça va pas ?
- Pas besoin d'être devin... Sauf que le problème que j'ai, c'est pas seulement de cohabiter enfermés ensemble dans un petit appartement où l'on vit, mange, dort et travaille côte à côte. Ça va au-delà de ça.
- Au-delà ? Tu veux dire que ça s'étend jusqu'au balcon ?
- T'es trop con ! On peut parler avec toi !
- Pardon, pardon, c'était pour détendre un peu l'atmosphère...
- Je te remercie, mais c'est pas le moment.
- OK, ok... Continue, je t'écoute.
- Je suis perdu... je ne sais plus où sont mes valeurs...
- A la banque ?
- Tu peux pas t'en empêcher, dis-moi !?
- Désolé ! Je ne t'interromps plus, promis.
- Jusqu'à il y a quelques mois, je menais mon existence en suivant une certaine philosophie de vie. Et je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je l'ai perdue. Enfin je crois... Je sais pas... Tu vois, je suis perdu !
- C'est clair comme du marc de café, ton histoire...
- C'est que quand tu es perdu, c'est pas facile à expliquer... Mais je vais essayer. Je crois que ce que je veux, dans ma vie d'aujourd'hui et future, n'est pas en symbiose avec ce que je vis dans ma relation de couple. J'ai l'impression qu'on n'aspire pas aux mêmes choses, elle et moi. Il y a une partie de moi qui pense que je devrais y mettre fin. Et une autre partie qui me dit que nous avons une longue histoire, que nous avons passé pas mal d'épreuves côte à côte, que nous avons notre vie ensemble, notre chez-nous, et que malgré tout, même si la passion a disparu, nous restons complices et nous nous entendons bien... Rompre avec elle, cela voudrait dire détruire tout ce que l'on a construit ensemble, chambouler nos vie, causer bien des chagrins et des peines - sans parler de l'aspect matériel, déménager, finances, tout ça... Mais en même temps, je sens que si je continue comme ça, je vais finir par vivre un mensonge, parce que je ne serai plus moi-même - en tous cas, pas la meilleure version de moi-même. Tu vois ?
- Pas trop, non... Tu m'as perdu en cours de monologue...
- Allez, fais un effort, s'il te plaît ! Tu es mon meilleur ami ou pas ?
- Meilleur ami, oui. Psy, non ! Mais soit, je vais te dire ce que j'en pense.
Ben contemple en silence les bulles de sa pilsen qui remontent verticalement le long des parois de son verre. Cette fois, c'est Jim qui sent l'exaspération lui monter au cerveau :
- Ne te fais pas prier, surtout !
- Je crois que ce qui t'arrive, c'est tout-à-fait normal au bout d'un certain temps. Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? Quatre ans, cinq ans ?
- Ça fera sept ans dans deux semaines...
- Un septennat ! Putain tu as fait mieux que Sarko et Hollande !
- Je vois pas le rapport...
- Moi non plus. Peu importe !
- Bon, admettons que ce soit normal, ce qui m'arrive. D'accord, mais ça ne m'aide pas à savoir que faire...
- Moi non plus, je ne saurais pas quoi faire si j'étais à ta place.
- Décidément, tu m'es d'une grande aide...
- Paie moi 200 balles la séance et on en reparle !
- Je t'invite tes bières ce soir, c'est déjà pas mal !
- Tu as de la chance que je sois patient !
- De toutes façons, je ne te demande pas de conseils. J'avais juste besoin d'en parler à quelqu'un.
- C'est bien ce que je disais ! Je suis ton ami, pas un psy !
- J'ai déjà consulté.
- Ah... Et alors ?
- A la base, je voulais faire une thérapie de couple. Mais elle a pas voulu... Parce que selon elle, le problème, c'est moi.
11 commentaires
FleurDelatour
-
Il y a 4 ans
Tomochili
-
Il y a 4 ans
Azilizaa
-
Il y a 4 ans
Tomochili
-
Il y a 4 ans
Sophie_jl
-
Il y a 4 ans
Tomochili
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans
Tomochili
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans