Fyctia
3
Une fois à l’extérieur, ses poumons s’emplissent d’air frais. Dans la maison, elle était en apnée, incapable de respirer librement sans sentir peser sur ses épaules le poids de la déception. En traversant la chaussée, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil aux lotissements voisins. Des pelouses vertes. Impeccablement tondues. Contraste criant avec les mauvaises herbes en friche qui s’étendent sur leurs barrières blanches où le panneau à vendre tombe en décrépitude.
Sur le trottoir d’en face, plusieurs jeunes de son âge se donnent la main, s’embrassent, flirtent et rient, bras dessus, bras dessous. Dans son imagination toujours fertile se dresse un tableau charmant de ce qu’aurait pu devenir son quotidien. Avant la chose. Mais maintenant, cette vision lui laisse un arrière-goût amer. L’impression que le destin se moque d’un futur qui ne se réalisera pas. Eux. Ensemble. Comme à chaque fois que l’inspiration lui vient et qu’elle se sent céder, elle saisit son carnet et y griffonne des mots.
"La maison de l’amiral James était bleue. Il avait pris le soin de choisir cette couleur, pensant qu’elle se confondrait avec le ciel. Il y invita une jeune femme qui l’attirait, lui promit la lune... Escapade risquée sans un gouvernail et un mât adaptés pour diriger la demeure au gré du vent."
Elle s’étonne toujours autant de ce tour de magie : noircir une simple feuille en quelques mots suffit à insuffler la vie. Le soleil perce peu à peu les nuages pendant que Wendy continue de s’enfoncer dans la rue. Le Rogers, pub où il travaille, n’est pas encore ouvert. Tant mieux, se dit-elle, car elle n’aurait pas eu la force de tomber sur lui.
Elle se souvient de la dernière fois qu’elle l’a vu. Il portait la fatigue au teint. Ses poches violettes avaient donné un air inquiétant à ses yeux verts pourtant magnifiques. Le pub baignait alors dans une atmosphère sombre, un peu comme son humeur et sa longue chevelure de jais en bataille. Wendy s’en voulait de ressentir encore de l’amour pour lui. Inconsciemment, elle avait posé une main sur son ventre. En elle s’éveilla une tendresse qu’elle chassa aussitôt. Que fais-tu là ? avait-il tonné en fronçant ses sourcils à travers l’embrasure de la porte.
Cette agressivité avait menacé le courage dont elle s’était armée pour l’affronter des jours durant.
« Il faut qu’on parle, avait-elle osé murmurer timidement.
— Il n’y a rien à dire, nous deux, c’est fini ! Ce n’est pas plus compliqué que ça. »
Elle avait baissé la tête, s’était mordu les lèvres pour ne pas épandre ses émotions.
— Je comprends, mais j’aimerais que tu lises mon journal de bord. Un récit important. Celui que j’ai promis d’écrire un jour.
— Wendy, tu te fais du mal, je ne suis pas prêt pour une relation sérieuse.
— Lis ma nouvelle… je te préviendrais quand elle sera en ligne. Je ne te demande que ça, ensuite tu n’entendras plus parler de moi. »
Elle lui en avait fait la promesse puis s’était enfuie sous une pluie battante pour y dissimuler ses larmes.
Aujourd’hui, il lui fallait mettre un point final à leur relation. Une fin qu’elle avait décidé de provoquer prématurément. Elle arrache la feuille de son cahier, y ajoute un mot :
Adieu. Je m’envole loin de notre histoire qui me tue.
Elle la glisse sous la porte, et à cet instant, Wendy se sent étrangement mieux. Elle protège ses yeux du soleil pour mieux fixer l’horizon. Le bonheur n’est-il pas totalement abstrait ? Une fois la chose arrivée à son terme, ce sera le début d’une nouvelle vie.
3 commentaires
Madame Split
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Béthanie.Fala
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Il y a 5 ans