Fyctia
2
Juste avant le drame, James, son petit-ami, adorait lire sa plume. Des histoires de maisons hantées aux malédictions de pirates sanguinaires, son enthousiasme était sans limites. Il vivait avec elle dans cet imaginaire qu’elle aime transcrire pour s’évader. Les rares journées ensoleillées à Londres étaient propices à leurs sorties. Ils prenaient un malin plaisir à s’allonger sur l’herbe pour refaire le monde. Elle lui disait qu’un jour elle tenterait sa chance en publiant l’un de ces écrits. Elle lui attribuerait le rôle principal : celui du héros. En y repensant, elle sourit timidement. Sourire factice, car ses yeux reflètent sa souffrance. Une larme coule le long de sa joue pour mourir lentement sur ses lèvres, ce qui l’arrache à ce douloureux souvenir. Leur rupture a créé un vide immense dans sa vie. Ses mains tremblent. Il lui faut un temps considérable pour cliquer sur le bouton « Envoyer » et fermer son ordinateur. Son cœur cogne dans sa poitrine. Elle la presse. Inspire longuement.
« Ce sera bientôt fini. Ne t’emballe pas. »
Seul le silence lui répond. Elle se lève, s’habille, se maquille. Autant de gestes répétitifs qu’elle exécute comme un protocole. Une fois déconnectée de son monde, la réalité lui semble fade. Elle se dirige à pas feutrés vers le lit où dort encore paisiblement Michael. Un élan d’empathie la submerge alors qu’elle pose doucement sa main sur le petit ventre rond qui se lève et s’abaisse posément.
« Grandir demande du courage, petit frère, » lui murmure-t-elle.
Parfois, il lui prend l’envie de sentir le haut de son crâne où, selon sa mère, chaque être humain préserve encore son odeur de bébé. Un parfum délicat. Aussi doux que l’innocence que l’on peut perdre prématurément. Wendy peut en témoigner.
Le jour s’infiltre totalement dans la maison. Cette luminosité dessine sur les murs des contours abstraits qui se matérialiseront dans ses rêves. Ombres dont elle se servira pour noircir ses pages blanches. Elle s’interrompt un instant sur la dernière marche de l’escalier qui mène au rez-de-chaussée. Depuis un certain temps, sa mère se lève à l’aurore. L’atmosphère se tend, même si toutes deux souhaiteraient rompre cette habitude. Madame Darling tente d’inonder sa fille d’un sourire bienveillant, mais celui-ci n’atteint pas ses yeux bleus qu’elle replonge immédiatement dans son magazine. Wendy se dit que la tristesse n’a pas altéré la grâce de ses traits. Une femme magnifique dont l’aura lui était bénéfique autrefois. Madame Darling tousse pour s’éclaircir la gorge et remue les lèvres. Mais comme à son habitude, sa prise de parole est hésitante. Le bourdonnement de la cafetière sonne comme un gong.
« Non, reste assise, je vais te servir, articule à peine madame Darling en refermant son peignoir de satin blanc.
— Merci, maman. »
La tisane à la camomille n’a jamais été son préféré, mais Wendy s’en accommode. Elle trempe timidement ses lèvres dans le breuvage, ce qui lui permet de ne pas croiser le regard de sa mère. Cette dernière semble enfin décidée à lui adresser la parole.
« Que comptes-tu faire ?
— Je ne sais pas… »
Wendy s’efforce de fuir son jugement. Elle mime un intérêt soudain pour la dentelle de la nappe devenue tout à coup plus divertissante.
« Wendy, réponds-moi, s’il te plaît.
— Oui, , fit- elle, sans lever les yeux.
— Il faut agir ! Ça ne peut plus durer, tu en es consciente ?
— Oui. »
Elle feint de ne pas remarquer la main que sa mère essaie de poser sur son épaule. Ses doigts se crispent autour du mug qu’elle porte à sa bouche une seconde fois. Sa gorge se serre. Elle déglutit laborieusement.
« Tu n’es pas la seule responsable. »
Wendy ne se donne pas la peine de répondre. À quoi bon discuter si l’on vous écoute sans vous comprendre ?
« Tu dois aller parler à James. Trouve la solution, il se peut que ce ne soit qu’un malentendu, achève-t-elle désespérée. »
Malentendu ? Le sel sur une plaie à vif que Wendy tente désespérément de cautériser.
« Maman, il n’y a aucun malentendu.
— Mais si, voyons ! James et toi, vous étiez parfaits !
— Visiblement non ! conclut Wendy en entrelaçant ses doigts sous la table pour se donner contenance.
— Wendy, j’essaie de t’aider.
— Je ne suis pas toi et James n’est pas papa ! »
Ce surnom pourtant affectueux rebondit sur ses lèvres comme une insulte. Il eut l’effet escompté. Madame Darling, blessée, se retranche à nouveau derrière son silence. Interdite. Incapable de se défaire de son éternel masque social qui frise la perfection. Wendy lui ressemble sur ce point. Voiler ses sentiments est une tare familiale particulièrement tenace. Une sensibilité indélébile dans leur A.D.N..
Ses émotions s’étranglent dans sa gorge. Wendy tourne le dos à sa mère. L’amour, voilà où cela mène, finit-elle par penser. Elle prend une longue inspiration. Si elle avait eu moins honte, elle se serait sans doute effondrée dans les bras de sa mère. Claquer la porte. Sortir. S’évader lui fera du bien.
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Madame Split
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Il y a 5 ans
Dr.Rd
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Béthanie.Fala
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Il y a 5 ans