Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 14 : À ciel ouvert

Chapitre 14 : À ciel ouvert

- Tu as parlé avec Maman ?


Allongée sur un transat au bord de la piscine, je laisse le vin faire son effet.


- Oui, répond ma sœur. Elle est plus calme.


- C’est bizarre. Si peu naturel.


Christine acquiesce tandis que des rires s’échappent depuis l’intérieur. Sylvain et Arnaud doivent encore se chercher à propos d’une quelconque équipe de foot. Quant au troisième larron…


- Alors ? Gaëtan ?


- Étrangement, ça va.


Contestataire, mon neveu voit en ses parents des capitalistes aliénés par une société de consommation. Tous les repas de fête devenaient un terrain miné à chaque mention d’une opinion politique. Ce qui arrivait invariablement, dépassée une certaine quantité de bouteilles sur la table.


- Il a l’air apaisé, je constate.


Ce soir, l’ambiance avait été légère. Malgré les circonstances de notre réunion.


- Je trouve aussi. J’espère que Sylvain arrivera à le convaincre de rester. Lissandre reviendra peut-être pour voir son frère.


Le deuxième fils de Christine s’était également fait la malle une fois le lycée fini. Il est en colocation pas très loin de chez moi. Annie et lui s’organisent des sorties de temps à autre.


- Ça ne fait qu’un an. Il profite de sa liberté. Ce n’est pas comme s’il avait suivi son frère à l’autre bout du monde.


- Une heure de distance me fait l’effet du bout du monde.


- Je sais.


Thibault est partit à Paris pour son travail juste après la séparation. Aucune mère ne souhaite que son fils se transforme en Tanguy. Ça n’atténue cependant pas la douleur de ne plus le voir tous les jours.


- Ça a dû briser le cœur de Maman de nous voir partir.


Je ne sais pas pourquoi cette pensée me vient à l'esprit.


Sûrement pour la comprendre.


Elle et sa consommation d'antidépresseurs.


- Voir Arnaud s'en aller surtout !, rétorque vivement ma sœur. Toi aussi… Moi ? Certainement pas.


- Parce que tu ne t'es jamais vraiment éloignée. Tu habites à 10 minutes !


- Non, ce n’est pas ça… Elle ne m’aime pas.


- C’est quoi encore ces conneries ?


- La vérité. Je le sais depuis longtemps.


- Tu racontes n’importe quoi ! Elle t’adore !


- Elle a toujours refusé de me donner sa recette !


Qu’est-ce que…


- Mais de quoi tu parles ?


Je ne suis pas la seule à qui l’alcool est monté à la tête.


- Le clafoutis !, s’emporte-t-elle en agitant les mains dans tous les sens. J’ai essayé toutes les recettes que j’ai pu trouver sur internet ! Acheté tous les livres ! Pas moyen de mettre la main sur la bonne ! Elle refuse de me la donner ! Celle que Mémé lui a transmise ! Celle qui lui venait de sa propre mère, qui le tenait de sa mère, qui…


- Ça va, j’ai compris !


Je l’arrête avant qu’elle n’empire mon mal de crâne surgissant et reprends :


- Alors c’est pour ça que tu es… Comme tu es ?


Je la désigne des pieds à la tête, comme si ce n’était déjà pas assez évident.


- Et qu’est-ce que je suis exactement ?, se braque Christine.


Mon geste était assez clair. Cela dit, j’ai une bouteille de vin dans le nez…


- Une fille qui ne va pas beaucoup voir sa mère bien qu’elle n’habite qu’à 10 minutes.


Trop franche ?


- Ce n’est pas vrai !


- Un peu quand même… Ça rend Maman triste !


- Je suis cantonnée au rôle de méchante fille de toute manière.


Je lève les yeux au ciel face à son attitude de martyr.


- Je ne fabule pas !, s’exaspère-t-elle en commençant à compter sur ses doigts. Je l’appelle aussi souvent qu’Arnaud et toi ! Je passe la voir autant que vous deux ! Je serais pourtant toujours celle qui en fait le moins justement parce que j’habiterai toujours le plus près ! Je suis condamnée à être la fille ingrate qui ne veut pas passer de temps avec sa mère ! C’est pour ça que tu es sa fille préférée…


Je pousse un profond soupir, comme une prière à la nuit étoilée.


- Pas encore cette histoire…


- Si ! Tu es sa préférée ! Après Arnaud, bien sûr ! Mais c’est le petit dernier, en plus d’être le seul garçon, ça ne compte pas.


- Je ne suis pas sa préférée !


- Arrête avec ta mauvaise foi, Lise ! Je l’ai acceptée, y’a pas de problème !


Ça ne saute pas aux yeux…


- C’est juste plus facile !, je m'emporte, lassée.


- Quoi ?


- Entre Maman et moi. C’est facile. On se ressemble. Toi… Tu t’es complètement fermée à elle depuis le divorce. Ce n’est pas qu’elle ne t’aime pas, c’est juste qu’elle ne sait pas comment te parler. Tout simplement.


Ça n’a rien de simple, en réalité. C’est le combat de deux têtes de mule qui ne savent pas comment communiquer l’une avec l’autre. Christine tient plus de notre père et on sait comment son mariage s’est terminé…


- C’est sûr que pour être les mêmes, vous l’êtes…, marmonne ma sœur. Ta vie est un copier-coller de la sienne.


Preuve que j’ai mis le doigt sur un sujet sensible : elle montre les dents pour changer de sujet.


- Si tu veux parler d’Henri…


- Bien sûr que je parle de lui !


- Bon Dieu… Comment ça se fait que Maman soit la seule à me soutenir là-dessus ?!


- On se demande, tient !


- Je sais que tu n’approuves en rien mais tu ne sais pas de quoi tu parles avec ton mariage parfait !


- Bien au contraire ! Je me suis battu pour mon couple !


L’emportement dans sa voix s’envole dans le silence de la nuit. Nous nous retournons en même temps pour être sûres qu’aucune oreille indiscrète ne traîne dans les parages. Je poursuis plus doucement :


- Tu ne m’en as jamais parlé.


- Parce qu’il n’y a rien à dire. On a tous nos moments de doute. Le départ de Gaëtan, celui de Lissandre... Ça a été dure. Merde, ça fera 30 ans l’année prochaine que nous sommes mariés ! Ce serait inquiétant de n’avoir eu aucun coup de mou !


- Ce n’était pas pareil entre Henri et moi…


- Je sais. Tu es trop impulsive. Comme Maman. C’est dur de te suivre.


- La question n’était pas là entre nous. Henri n’avait aucun mal à me suivre, comme tu dis. On marchait main dans la main et puis… Il n’en a plus eu envie. Il a ralentit et j’en avais marre de m'arrêter pour lui. J’avais la sensation de faire du surplace. D’étouffer.


- Je ne pense pas que Henri soit l'unique cause de ce sentiment, Lise.


Ma sœur…


Toujours plus perspicace que moi à mon propre sujet.


- Je commence à m'en rendre compte. Après Thibault, Annie va partir je ne sais où pour ses études. Notre mère risque de ne plus jamais être elle-même. J’ai presque 50 ans et, bientôt, je serais toute seule.


- Et tu ne peux pas compter sur moi, conclut Christine, blessée.


- Ce n’est pas ce que j’ai dit.


- Tu l’as pensé tellement fort que c’est tout comme. Écoute, Lizzie… J'ai peut-être du mal à te comprendre sur beaucoup de choses mais ça ne veut pas dire que je ne te soutiens pas, quoi que tu fasses. Si Maman n’est plus là, moi je le serais ! Arnaud et moi serons là ! Tu n’es pas seule. Tu ne l’as jamais été.


Les larmes aux yeux, je fixe ma grande sœur et repense aux paroles de mon père.


- Toi non plus. Cette histoire avec Maman… Tu as tort.


- Pas maintenant ! La dernière fois que j'ai été aussi bourrée, ça doit remonter au concert de Téléphone !


Un éclat de rire nous prend à ce souvenir.

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11 commentaires

La Plume d'Ellen

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Il y a 4 ans

Voilà, j'ai liké tous tes chapitres et t'ai rajouté à ma pile de lecture 😉

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci beaucoup ! J’ai quant à moi hâte de poursuivre ma lecture de ton histoire dès que j’aurais plus du temps pour dévorer les chapitres d’affilée 😊

Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael

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Il y a 4 ans

Petit coup de pouce, j'ai commencé à lire et j'aime beaucoup. Je continue un peu plus tard :)

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci ! Ravie que ça te plaise autant que j'apprécie ton histoire ! ☺️

Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael

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Il y a 4 ans

Rooo merci ❤️

Mauve Lace

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Il y a 4 ans

Elles ont vidé leur sac, ça devrait aller mieux à présent.

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Rien de telle qu'une bonne discussion à cœur ouvert ! 😁

InTheAirTonight

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Il y a 4 ans

Petit coup de pouce. Bon concours :)

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci beaucoup ! Ton histoire est dans ma liste de lecture, j'ai hâte de la commencer ! ☺️
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