Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 15 : Le retour

Chapitre 15 : Le retour

Je tapote les coussins sur le lit et vérifie une dernière fois que tout est en place. L’appartement de ma mère lui ressemble en tout point. Rien ne relie les objets hétéroclites qui le composent, si ce n’est les souvenirs qui y sont liés. Une vieille coiffeuse en acajou de sa grand-mère. Une chaise en froufrou provenant d’une brocante et qu’elle a ramené en faisant du stop. Une affreuse peluche toute trouée que Lissandre lui a offert quand il avait 5 ans.


C’est le grand jour.


Je balaie des yeux les murs couverts de photos de notre famille au fil des générations. Tant de moments qui se résument à un simple cliché mais dont la signification va bien au-delà. J’espère que retrouver son environnement lui fera retrouver sa personnalité. Si tel n’est pas le cas…


Des toquements venant de la porte d’entrée me sortent de mes rêveries. Je traverse le couloir, mes pas amortis par l’affreuse moquette que ma mère tenait absolument à faire installer. Je suppose qu’elle a eu raison finalement. Comme toujours.


- Gaëtan ! Je ne pensais pas que tu viendrais !


Un large sourire me prend en apercevant mon neveu dans l’entrée.


- J’avais envie de voir Mamie, répond-il. Je suis passé à l'hôpital pour aider Arnaud et Maman. Elle leur donne du fil à retordre.


- Pourquoi ? Il est arrivé quelque chose ?


- Elle insulte les infirmières quand elles veulent la coller dans un fauteuil roulant.


Je devrais être mortifiée. Cependant, c'est un rire qui s’échappe d’entre mes lèvres.


- C’est rassurant de savoir qu’elle a encore du caractère, me rejoint-il.


- Tu trouves ?


Je mets plus d’espoir dans cette question que je ne le voudrais.


Gaëtan se contente de hausser les épaules, percevant la tension dans ma voix.


- Ce serait si grave qu’elle change ?


- Evidemment ! Elle ne serait plus elle-même ! Tu la connais, elle est…


- Elle est ma grand-mère de 77 ans qui tient encore étonnamment bien debout pour son âge. Il devait la rattraper un jour.


- Pas comme ça.


- Comment alors ? Avec un cancer ? Une maladie foudroyante ?


- Ce n’est pas le côté physique qui m’inquiète.


Il baisse les yeux sur ses pieds pour effacer une tache invisible sur la moquette.


- Oui, je sais. Maman m’en a parlé. Ça a fait un choc à tout le monde.


- Tu m’étonnes… Qui aurait cru qu’elle nous aurait caché ça ! J’ai du mal à m’y faire.


- Imagine ce que ça doit être pour elle…


Il marque un point.


- Tu sais pourquoi je suis parti, Lise ?, change-t-il brusquement de sujet.


- Pour tes études ?


Il penche la tête sur le côté avec le regard d’une personne qui sait que nous parlons d'elle derrière son dos. J’abandonne et lui réponds avec franchise :


- Tes parents pensent que tu as honte d’eux ou que tu t’es senti étouffé par leur présence.


- Eh bah… Ils ne sont pas si aveugles que ça tout compte fait !


- C’est vrai ?!


Même si les doutes de Sylvain et Christine étaient légitimes, surtout quand on les connaît, je n’aurai jamais pensé qu’ils se révéleraient exacts.


- Pourquoi tu ne leur en as pas parlés ou…


- Parce que j’étais encore un enfant ! J’étais trop en colère contre eux. Résultat ? Je suis resté 6 ans loin de ma famille pour rien. Il m’a fallu tout ce temps, et beaucoup d’heures de psy, pour comprendre que mes parents ne sont pas parfaits. Et que je ne peux pas leur en vouloir. Pas pour ça. Je ne peux que l’accepter. Les renier ne sera défavorable qu’à moi.


- C’est… extrêmement mature de ta part.


Surtout quand on considère le fait qu’il n’a que 25 ans.


- Je te l’ai dit… J’ai passé du temps chez le psy, ironise-t-il. Tout ça pour te dire que, parfois, il faut juste… s'accommoder de la situation. Mamie va changer. Il n’y a rien à faire contre et, au lieu d’être en colère à ce propos, autant l'admettre. Et profiter des dernières années qu’il nous reste avec elle.


- C’est un peu déprimant comme pensée.


- Vraiment ? Je la trouve libératrice pour ma part. C’est ton choix après tout. Rester enchaînée à une colère inutile, comme ma mère, ou t’en libérer.


L’interphone nous interrompt et la voix d’Arnaud s’élève depuis le haut-parleur :


- C’est nous !


J’inspire profondément, impatiente de revoir ma mère. Les paroles de Gaëtan trottent dans un coin de ma tête. Je devrais peut-être arrêter de voir tout ce qu’elle n’est plus pour me focaliser sur sa présence. Tout simplement.


- Oh ! Au fait…


Mon neveu sort de son sac un cahier que je reconnais entre mille.


- Tu avais oublié ça dans sa chambre, dit-il en me le tendant.


Je lui prends des mains et feuillette les centaines de dessins qui le tapissent. Je l’avais véritablement délaissé. Mon regard reste figé sur ces pages, alors que les évènements de la semaine défilent dans mon esprit. Beaucoup de souvenirs les accompagnent avec le constat irréfutable que j’ai abandonné beaucoup de choses avec le temps.


Dans quelques instants, ma mère va franchir cette porte.


Elle sera différente de la femme qui l'a traversée, inconsciente, il y a une semaine.


Moi aussi.


Il est temps de faire avec, je suppose.


Cet incident a eu l’effet d’un électrochoc. Je ne peux pas me rendormir.


Je relève la tête et tombe sur le miroir qui trône dans l’entrée, au-dessus de la console. Mon reflet est méconnaissable. Je ne me reconnais pas. À croire que j’ai vieilli de plusieurs années d'un seul coup. Je n’ai plus le temps d’attendre que les choses s’arrangent. Elles ne le feront pas d’elles-mêmes. Je le sais maintenant. Quitter Jean était une épreuve pour aller mieux. Elle ne doit pas être la seule. Beaucoup d’autres m’attendent mais j’en ressortirais plus forte.


Maintenant, je le comprends.


Des voix me parviennent. Le reflet de ma sœur et de mon frère apparaît derrière moi.


- Lise ? Tu es prête ?

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7 commentaires

Justine HSR

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Il y a 4 ans

J'adore ! Un début très dynamique, très frais et qui peut parler à tout le monde. Les personnages collent à la réalité, on suit cette fratrie avec intérêt et on s'attache déjà à elle, tout comme à mamie Joséphine ! Mais je redoute un peu la suite (dans le sens que j'ai peur tout comme ta Lise). J'espère que Jo va tout doucement se remettre de sa grippe et être aidée dans sa dépendance aux anti-dépresseurs (chose plutôt rarement évoquée chez les personnes âgées, ce qui est très original). Ta plume nous emporte, et les dialogues sont très réalistes. Hâte de lire la suite ;)

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Oh merci beaucoup pour ton message ! Ça me touche tellement, surtout venue d'une plume aussi belle que la tienne ! Etant donné qu'il s'agit du genre Feelgood, tu peux être rassurée, je ne compte pas être trop dure avec Jo !😂 J'espère réussir à équilibrer sa situation délicate avec l'espoir et la bienveillance du genre.😊

Justine HSR

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Il y a 4 ans

Pour le coup, c'est ta réponse qui me touche ! Merci🥺 En tout cas, continue d'écrire. Tu es sur la bonne voie !

FleurDelatour

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Il y a 4 ans

J'ai l'impression que tu amorces un virage dans ton histoire. L'accident libère la parole. Chacun prend du recul pour le mieux je pense !

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Exactement ! Le prochain chapitre sera le dernier de la partie consacrée au personnage de Lise. J’espère avoir le temps d’en publier un maximum sur celle qui se penchera sur Jo et sur sa perception de l’accident. 😊
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