Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 13 : Ingérable

Chapitre 13 : Ingérable

Les sons courts et répétitifs des machines agissent comme un métronome à mes oreilles. Le souffle de ma mère est le chef d’orchestre de cette musique inopinée. Le travail m’a empêché de venir plus tôt. Je ne dispose que de quelques minutes avant la fin des heures de visite.


Ces moments à l’hôpital sont les plus calmes de mes journées surchargées. Elle a toujours eu cet effet sur moi. Le sentiment que tout ira bien simplement grâce à son sourire. Je l’aperçois dans l’ombre de ses lèvres qui s’étirent légèrement dans son sommeil. Ou je souhaite le voir. Au choix. Mais l'heure n'est plus à la niaiserie, comme dirait mon père.


- Lise ?


La voix de Christine retentit dans mon dos. Je sursaute, tant elle contraste avec le silence presque mortuaire des lieux.


- Hey..., je murmure en me tordant sur la chaise qui reste constamment à côté du lit.


Elle fronce les sourcils et se penche en adoptant le même ton :


- Pourquoi tu parles si doucement ?


Je désigne notre mère paisiblement endormie d'un mouvement de tête. Ma sœur se redresse et me regarde comme si j'étais une enfant :


- Lise, elle est sous médocs ! Parle aussi fort que tu veux, elle ne se réveillera pas avant demain matin !


- Oh !


Je me dandine, me sentant effectivement un peu idiote. Il suffit qu'elle me fixe comme maintenant pour oublier que je suis une adulte responsable et vaccinée.


- Allez, viens ! Sylvain a rempli la cave et j’ai fait un clafoutis.


- Il t’y a autorisé ?


Voilà qui est étonnant...


Surtout quand on sait à quel point mon beau-frère déteste ce dessert.


- À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles ! Dépêche-toi, Arnaud s’agite dans la voiture comme un gamin en manque de sucre et Gaëtan est enfin rentré à la maison !


Mes yeux s'écarquillent de stupeur.


- Je sais, me presse ma sœur en déchiffrant mon visage. Allez ! Je voudrais profiter de mon fils avant que la bougeotte ne le prenne à nouveau !


Je dépose mon carnet à dessin sur le fauteuil et enfile mon manteau pendant qu'elle s’approche pour déchiffrer mes coups de crayon.


- Wouah. Ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu dessiner.


- Ouai... La vie.


Je hausse des épaules comme si ça justifiait absolument tout. Ce qui est le cas.


- Ne m’en parle pas, soupire Christine en prenant mon bras dans le creux de son coude pour nous diriger vers la sortie. Je sens que ça ne va pas être une année simple.


***


- Tu as quoi ?


Quelques gouttes de vin s’échappent de mon verre pour s’écraser sur la nappe blanche. Ma sœur s’empresse de mouiller sa serviette pour les faire partir alors que son fils continue son histoire rocambolesque :


- Je te jure ! Les flics nous ont réveillés à 5 heures du matin pour nous dire que ce terrain vague était en réalité une réserve naturelle ! Et on venait de faire tout un festival dessus ! Je me sentais tellement mal ! On a passé toute la journée à nettoyer pour ne pas se faire arrêter !


Arnaud et moi explosons de rire en entendant les aventures de notre neveu au Canada. Il y est exilé depuis des années. Si cet accident a un seul bénéfice, c’est de l’avoir fait revenir.


- C’est incroyable !


- C’est imprudent, oui !, me contredit Christine en fusillant Gaëtan du regard.


- C’est une expérience de la vie !, hoche de la tête son père en soulevant son verre de whisky.


Sa femme braque ses yeux en feu sur lui, le poussant à baisser les siens sur son liquide ambré et à se rectifier :


- Néanmoins, ta mère a raison. Ce n’était pas responsable de ta part de t’aventurer dans ce bourbier. Qui sait ce qui aurait pu t’arriver !


Il ponctue son exclamation d’un discret clin d’œil que nous remarquons pourtant tous.


- Je vais chercher le dessert, se venge ma sœur en lui jetant à la figure sa serviette maintenant d’un rouge délavé.


Arnaud et moi nous mettons immédiatement dans une position de juge, prêt à aller faire un tour aux toilettes pour lui attribuer une note. Sylvain, lui, enchaîne les grimaces de dégoût. Je ne résiste pas à l’envie de le taquiner.


- Une part, beau-frère ?


- Oh, ferme-la !


Il me lance à son tour la serviette sale que je lui renvoie maladroitement. Il n’a aucun mal à l’éviter et à me chambrer à ce sujet :


- Le vin t’est monté à la tête, ma pauvre !


- Tu vas devoir dormir ici, m’ordonne Christine en découpant le gâteau.


- J’en ai bien l’impression...


- Annie n’est pas à la maison ?, demande mon frère en fronçant les sourcils.


- Non. J’y suis tellement peu que je l’ai envoyé chez son père. Ce sera plus simple pour elle. Me voir courir dans tous les sens n’est pas sain.


- Pour toi, non plus.


- Que veux-tu… Mon travail est moins compréhensif que le tien.


Arnaud n’a rien à redire à ça.


- Comment elle gère tout ça ?, change-t-il de sujet.


Mon frère sait à quel point notre mère et ma fille sont proches. Toute la tablée également si j’en crois les légères inclinaisons de tête montrant leur intérêt pour la réponse.


- Elle meurt d’envie d’aller la voir. Mais c’est la rentrée. Sa dernière rentrée au lycée. Je ne veux pas qu’elle soit perturbée par…


Par quoi ?


La même chose que moi ?


La vision de sa pétillante grand-mère couchée dans un lit d’hôpital ?


- Elle est plus forte que tu ne le penses, affirme ma sœur en remplissant mon assiette. Ta séparation l’a blindée. Crois-moi... Ça a été le cas pour nous.


Je ne peux pas la contredire sur ce point. En revanche, la perception d’une pointe d’accusation dans sa voix me confirme ce que je soupçonne depuis longtemps : elle n’approuve pas ma décision. Non pas qu’elle appréciait particulièrement Henri mais l’impact de ce choix ne touche pas que moi et ravive de mauvais souvenirs.


Le silence qui s’installe est vite interrompu par Sylvain. Sa capacité à entrer à gros sabot dans notre cercle familial, dure comme du chien, est sa principale qualité.


- Dépêchez-vous d’ingurgiter cette ignominie avant que l’odeur ne vienne jusqu’à moi et s’incruste dans mes rideaux !


Je m'exécute de bon cœur lorsque, à peine la texture caoutchouteuse entre-t-elle en contact avec ma langue, je me fige. D’un coup d’œil, je constate que les mines d’Arnaud et Gaëtan sont aussi décomposées que la mienne. Ça ne m’aide pas à garder mon sérieux pour ne pas vexer ma sœur.


- Tu l’as encore foiré, chérie, annonce mon beau-frère après nous avoir minutieusement observés.


Qu’est-ce que je vous avais dit ?


D'énormes sabots.


- Encore ?!


Christine, qui jusque-là attendait nos retours pour goûter son chef-d’œuvre, pique une bouchée dans mon assiette et n’attend pas deux secondes avant de la recracher.


- Et merde !


Elle se lève brusquement et emporte le plat dans la cuisine. Le bruissement du sac-poubelle nous apprend le sort funeste de sa pâtisserie des enfers. Un fou rire nous prend devant le nouvel échec de ma sœur pour réussir le dessert familial que seule ma mère arrive à faire.


- C’est pas marrant !, hurle-t-elle depuis la cuisine, redoublant notre hilarité.

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7 commentaires

Fanfan Dekdes

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Il y a 4 ans

Petit coup de Pouce :)

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci ! 🥰

Mauve Lace

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Il y a 4 ans

Bonne ambiance familiale

Froggysg

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Il y a 4 ans

Petit coup de pouce pour débloquer le chapitre suivant

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci !

Angèle G. Melko (ColibriJaune)

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Il y a 4 ans

Que c'est frustrant !! Je n'arrive toujours pas à reproduire le dessert préféré de mon enfance, que ma grand-mère faisait et refaisait pour moi à chaque vacances... il faut dire que la recette qu'elle m'a laissée est pour le moins... imprécise 😅

Thylia Andwell

-

Il y a 4 ans

Effectivement, c'est fâcheux ! 😂 La magie de ces desserts réside souvent chez les personnes qui les ont préparés pour nous !
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