Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 10 : Lise, 16 ans

Chapitre 10 : Lise, 16 ans

- Salut, ma puce !


Maman m’embrasse sur la tête avant de s’installer sur le transat face à moi. Je décroche de mon cahier à dessins pour lui rendre son sourire.


- Tu as passé une bonne journée ?


Sa tête est renversée en arrière, offrant son visage au soleil. Ses cheveux clairs ont l’air de briller, ainsi présentés à la lumière. J’aurais aimé les hériter au lieu du brun insipide de mon père. Mais, ça, c’est Arnaud qui l’a récupéré. Sa teinte est plus foncée que celle de notre mère, d’une clarté que beaucoup envient. C’est une très belle femme.


Même avec 8 heures de boulot dans les pattes.


- Ça va. Les clients n’étaient pas trop exaspérants pour une fois. Je suis moins fatiguée que d’habitude. Ce sera plus facile pour ce soir.


Maman cumule deux emplois pour gérer les fins de mois. Tôt le matin, elle prend son poste de caissière dans une petite épicerie du centre. Ça lui permet de rentrer en milieu d’après-midi pour nous voir. Le soir, elle enchaîne comme femme de ménage dans des bureaux d’entreprise.


- Je peux demander de l’argent à Papa, si tu veux…


Ma proposition est prononcée d’une voix si basse que je ne suis pas sûr qu’elle l’entende. Je gribouille sur ma feuille pour afficher une décontraction que je n’ai pas. La séparation n’a pas été de tout repos. Papa ne s’est pas montré des plus coopératifs et Maman a dépensé ses maigres économies pour nous acheter une maison avec l’aide de Pépé et Mémé. On aurait très bien pu vivre dans un appartement, surtout si ça lui permettait de ne pas s’épuiser au travail, mais je suis quand même contente qu’elle l’ait fait. Je ne connais rien de mieux que de dessiner dans le jardin de derrière, seulement entourée par le bruissement des arbres. Ça me rappelle nos vacances dans la maison familiale de Papa en pleine campagne. Aucune habitation à des kilomètres à la ronde. Le rêve.


Pour moi en tout cas.


Christine refuse d’y mettre les pieds depuis qu’elle est en couple et que ses amis sont si "mâtures" comparés à nous.


- Ne t’inquiète pas, Lizzie, me rassure ma mère en me caressant distraitement le bras, toujours tournée vers le soleil. C’est ma responsabilité, pas la tienne.


- Je ne vois pas en quoi. Si tu en as besoin, c’est normal que Papa augmente la pension alimentaire. Surtout qu’il en a les moyens…


Elle soupire et se redresse pour me regarder droit les yeux :


- Cet argent, c’est celui de ton père. Je ne l’utilise que pour vos dépenses à vous. Celui que je gagne actuellement, c’est pour mes autres frais. Comme ma formation en comptabilité. Une fois que ce sera fait, les choses seront plus simples. Plus stables. Ton père n’a rien à voir là-dedans. Ce sont mes choix qui m’ont mené sur cette route.


- Tu le regrettes ?


Ma voix est timide. Ce n’est pas avec lui que je pourrais en parler. Avec elle, ça a toujours été facile. Elle prend le temps de réfléchir à ma question avant de répondre.


- Je regrette de ne pas avoir mieux anticipé les choses. J’aurai dû me douter que la personnalité de ton père et la mienne arriveraient à bout de souffle. C’était de ma responsabilité de m’y préparer pour ne pas retrouver sans aucune perspective…


- Tu n’as pas à avoir honte ! Moi, je suis fière de toi ! Tu es une femme forte et indépendante !


Elle rit face à mon enthousiasme.


- Merci, ma chérie ! C’est le seul soutien dont j’ai besoin !


Pourtant, son sourire se fane rapidement.


- Je suis juste un peu triste de savoir que cette erreur me coûte du temps avec vous. Arnaud grandit à vue d’œil. Toi, tu deviens de plus en plus sage. Et ta sœur a déjà un pied dehors depuis qu’elle sort avec ce garçon. Je ne sais même pas qui c’est !


- C'est un idiot.


Elle penche la tête sur le côté, prête en lui faire voir de toutes les couleurs.


- Un gentil idiot, je rectifie, même si ça m’embête de le reconnaître.


- Hum…, marmonne-t-elle, pas rassurée pour autant.


- Ne t’inquiète pas ! Toi, mieux que personne, devrait savoir que c’est plus pour lui qu’on devrait s’en faire. Chrissie va le manger tout cru !


Nous éclatons de rire en songeant aux crises que se tape ma sœur depuis qu’elle est diplômée. Sa tête a dû doubler de volume. La veille, elle a critiqué la façon dont ma mère faisait les courses.


Les courses, nom d’un chien !


- Je plains ce garçon !, acquiesce-t-elle. Néanmoins, ta sœur n’est pas aussi blindée que tu le crois.


- Ah, vraiment ?


Je suis plus que dubitative sur ce point.


- Vraiment. Elle se pousse trop, persuadée qu’elle doit porter le monde sur ses épaules. C’est à toi et à Arnaud de la soulager de temps en temps. De lui montrer qu’elle peut compter sur les autres, même si son père et moi lui avons fait défaut.


- Ce n’est pas vrai !


Maman se pince légèrement les lèvres. Je perçois une pointe de mélancolie dans ses yeux. Elle me tapote le genou et se lève.


- Je vais nous préparer un clafoutis ! Les cerises du jardin doivent être assez mûres. Ton dessin est magnifique au fait !


Sa démarche est majestueuse malgré le poids qui pèse sur ses épaules. Je ne l’ai jamais trouvé aussi belle qu’en cet instant. Alors je la laisse s’éloigner et commence un nouveau dessin.

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2 commentaires

Sabrina A. Jia

-

Il y a 4 ans

Je t'aide au déblocage et je reprends ma lecture 🤗

Thylia Andwell

-

Il y a 4 ans

Merci beaucoup ! 😁
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