Fyctia
Chapitre 9 : ...sans lendemain
Il est presque 19 heures lorsque je passe le seuil de mon appartement.
Je suis vidée.
Ma nuit blanche m’a rattrapé.
Une délicieuse odeur s’élève depuis la cuisine où je trouve Annie. Depuis ma séparation avec son père, elle est d’une aide précieuse. Je la trouve souvent en train de faire le ménage, le repassage, les courses… Qu’importe à quel point je lui demande de ne pas s’en faire pour ça.
Cette période n’a pas été facile pour elle. Voir ses parents se séparer, quitter la maison qui l’a vu grandir, le départ de Thibault… Un jour, je sais qu’elle aura des questions. Je ne suis juste pas encore assez forte pour l'évoquer avec elle. Mes enfants ne doivent pas être mêlés à nos histoires.
Ça n’allait plus depuis un certain temps. Jamais je n’oublierai le choc sur leurs visages le jour où nous leur avons fait part de notre décision. Les raisons sont nombreuses et pleines de non-dit. Je ne veux pas que la vision qu’ils ont de leur père en pâtisse.
Ou celle qu’ils ont de moi.
Tant de promesses oubliées, de rêves perdues… Difficile de s'en relever.
Annie est ma béquille.
- Salut.
La fatigue transperce dans ma voix. Je sais qu’elle le remarque au léger plissement de ses yeux.
- Salut. Je fais des tomates farcies.
Je pose mon sac sur la table et m’y adosse quelques secondes. Mon seul repos avant de me remettre d’aplomb.
- C’est adorable mais je file à l’hôpital voir Mamie.
- Oh… Tu ne veux pas manger avant ?
- Non, ma puce. C’est gentil.
- Je te laisse une assiette de côté ?
- Ne t’embête pas. Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer.
- D’accord. Je te fais un Tupperware pour demain midi alors !
- Qu’est-ce que je ferai sans toi ?
- Tu commanderais chinois tous les soirs !, me taquine-t-elle.
- N’exagère pas… J’alternerai avec l’Indien !
Son rire me suit tandis que je troque mes talons pour une paire de baskets plus confortable pour le chemin qui m’attend.
- Envoie-moi un message pour me dire que tu es bien arrivée !, hurle ma fille quand je claque la porte.
- Sans faute !
***
- La chambre de Joséphine Reynard, s’il vous plaît ?
- Un instant.
Je ne saurais dire s’il s’agit de la même infirmière mais le cliquetis des touches de son clavier, additionné à son sourire aussi faux que les ongles de ma sœur, me tapent sur le système de la même manière. Je veux voir ma mère et l’attente me rend légèrement mesquine.
- Chambre 16, 3e étage. Les heures de visites se terminent dans 5 minutes.
- Merci.
Ma voix est âpre malgré les deux bouteilles d’eau que je me suis enfilée en route. Je me dépêche de prendre l’ascenseur, espérant que ma mère soit réveillée. L’étage est silencieux et les halogènes du plafond clignotent avec un grésillement qui se répercute sur les murs rose pâle. Des panneaux m’indiquent le numéro des chambres, ce qui ne m'empêche pas de mettre plusieurs minutes à me repérer dans ce dédale de couloirs.
- Faites ça encore plus compliqué la prochaine fois !
Dans un recoin sombre, j’aperçois enfin sa chambre.
Je toque légèrement avec l'articulation de mon doigt pour ne pas la brusquer. Qui sait dans état je vais la trouver... Prenant une grande inspiration, j’abaisse la poignée et entre.
Une légère lumière tamisée baigne la pièce. Les rideaux de la fenêtre sont tirés et la télé est en sourdine. Je m’avance sur la pointe des pieds comme si je n’avais pas le droit d’être ici.
Le lit est collé contre le mur du fond. La silhouette à l’intérieur semble toute petite au milieu des couettes et équipements médicaux.
Je n’arrive pas à la reconnaître.
Ses cheveux blancs, avec de légères mèches blond cendré, partent dans tous les sens. Elle serait horrifiée de se savoir dans cet état. Je m’avance pour la recoiffer sans gestes brusques. Ses paupières bougent à peine. Je ne l’ai pas vu sans maquillage depuis des années. Depuis que nous ne vivons plus ensemble à vrai dire.
Elle a l’air… âgé.
Ici, dans cette chambre aseptisée, ses années l’ont rattrapé. Je ne l’ai jamais trouvée aussi affaiblie. On dirait qu’elle pourrait se casser d’un instant à l’autre. Comme les porcelaines que collectionnait sa propre mère et que nous ne cessions de faire tomber par accident avec Arnaud quand nous allions en vacances dans leur petit village de campagne.
- Maman ?, je chuchote tout doucement.
Je veux qu’elle se réveille et, en même temps, je le redoute.
Je veux voir son sourire taquin, tout en ayant peur qu’au moment où elle ouvrira les yeux, je constate qu’elle ne le fera plus.
Elle est trop jeune.
Je sais que c’est faux. Ma mère à près de 80 ans et n’a jamais eu de cancer, d’arthrose, de cataractes… Je crois que je me suis faite à l’idée qu’elle était immortelle en quelque sorte. Que rien ne viendrait à bout de cette femme.
Je ne suis pas prête.
- Lise ?
Ses yeux papillonnent sans arriver à s’ouvrir entièrement. Oubliant mes craintes, je m’assois sur le lit à son côté.
- Maman ! Tu m’entends ? Comment tu te sens ?
- Pourquoi tu n’es pas à l’école ?
L’excitation de la voir éveillée disparaît, remplacée par un froid glacial. Je m’échine à garder la tête haute, me persuadant qu’elle est simplement désorientée.
- Je ne vais plus à l’école, Maman. Je travaille.
- Oh… Ton père va faire une attaque.
- Il ne va rien faire du tout. Pas plus que toi.
Je lui caresse les cheveux pour l’apaiser.
- Je suis fatiguée, Lise.
- Je sais. Tu peux dormir. Je reste avec toi.
Sa main agrippe faiblement la mienne. Je me force à retenir mes larmes qui ne souhaitent que s’échapper.
- Lizzie…
- Tout va bien, Maman. Je suis là.
Je crois apercevoir un léger sourire sur ses lèvres gercées. Ou je le souhaite plutôt.
Faite que ce soit le cas.
12 commentaires
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans
Mauve Lace
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans
FleurDelatour
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans