Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 6 : Lise, 12 ans

Chapitre 6 : Lise, 12 ans

14 h 02.


Je fronce les sourcils en déchiffrant les chiffres de l’horloge. Il est tard. Je tends l’oreille et perçois le tic-tac qui me confirme son bon fonctionnement.


Elle doit retarder…


Je tourne mon poignet mais les aiguilles de ma montre indiquent la même heure. J’étais tellement concentrée sur mon dessin que je n’ai pas fait attention. D’habitude, la voix de Maman me sort de mes pensées pour m’appeler à table.


Pourquoi elle ne l’a pas fait ?


Je quitte mon lit et ouvre la porte de ma chambre à la recherche d’âme qui vive dans le couloir de l’étage. Face à moi, la chambre de Chrissie est vide.


On m’a oublié ?


Je m’avance vers celle d’Arnaud et colle mon oreille contre. Ses babillements de bébé me parviennent. Je ne serais pas étonnée que Christine le prenne encore pour un poupin à habiller à sa guise.


Je commence à descendre les escaliers pour demander à ma mère pourquoi nous n’avons toujours pas mangé quand des éclats de voix me stoppent en plein milieu. La colère y est perceptible bien qu’on essaye de la dissimuler avec des murmures.


- Jean… Essaye de comprendre !


- Je n’y arrive pas ! Comment as-tu pu me cacher ça ? Travailler sans m’en parler !


Je m’assoie sur les marches pour apercevoir mes parents par l’entrebâillement de la porte de la cuisine. Mon père est de dos, les mains sur les hanches. Le son d’un couteau tapant contre le bois de la planche à découper doit provenir de ma mère.


- N’en fais pas tout un plat…


- Tu n’aimes plus les enfants, Jo ?


Je ne peux pas voir leurs visages mais une pesanteur s’abat dans l’air. Une lourdeur qui me met les larmes aux yeux et me fait serrer les barreaux de la rambarde jusqu’à m’en faire blanchir les doigts.


- Comment tu peux me demander une chose pareille ?


- Je ne sais pas. Puisque tu ne veux plus rester à la maison avec eux, j’en déduis que tu ne les aimes plus…


- Avoir envie de travailler ne signifie pas que je ne les aime pas !


- Calme-toi !, chuchote mon père en s’avançant. Tu vas rameuter toute la maison !


Il quitte mon champ de vision et leurs paroles deviennent plus difficile à distinguer.


- Quand Arnaud entrera à l’école, je pourrais me trouver un petit travail… Gislaine organise des réunions avec ses amis où elle présente des produits et les vend. Ça ne me demandera pas beaucoup de temps et je pourrais gagner de l’argent.


- Je peux très bien prendre soin de ma famille, la coupe mon père d’un ton sec.


- Bien sûr que tu le peux… Je veux juste en faire plus.


- T’occuper de l’éducation de nos enfants est suffisant.


- Mais…


- Arrête, Jo ! Même si je t’autorisais à organiser ces goûters avec tes amis…


- Je ne demande pas ta permission ! J’essaye de t’expliquer que j’étouffe ! Ce n’est pas la vie que je voulais.


- Qu’est-ce tu espérais ? On a une famille, une belle maison…


- Ça n’a rien à voir ! Je voulais être libre !


- Dans ce cas, tu aurais dû rester dans ton patelin minable !


- Ne le prends pas comme ça. J’ai juste besoin…


- De quitter la prison dans laquelle je t’enferme. Compris !


- Jean…


- Ne te donne pas cette peine. C’est moi qui m’en vais. Comme ça tu auras ce que tu veux… L’obligation de travailler pour nourrir ta famille !


Mon père sort et je recule dans l’ombre de la cage d’escalier pour ne pas être aperçue. La porte d’entrée ne tarde pas à claquer. Je sursaute à ce son violent qui contraste avec les chuchotements qui emplissaient la maison jusque-là.


Je reste immobile, me demandant si je dois descendre voir Maman. Elle apparaît soudain dans l’encadrement de la cuisine. Ses mains tremblent en ouvrant un tiroir dont elle extrait une petite boîte. Elle déverse son contenue dans la paume de sa main, renverse la tête en arrière et avale.


Je la fixe alors qu’un mouvement à la périphérie de mon regard attire mon attention. Christine est debout derrière moi. Elle pose un doigt sur sa bouche et me tire à l’étage. Nous entrons dans la chambre d’Arnaud qui joue comme si de rien n’était. Ma sœur le rejoint pour participer à son aventure imaginaire tandis que je reste en retrait.


- Lizzie, m’appelle-t-elle. Tu viens ?


Je voudrais lui demander ce qu’il vient de se passer. Qu’elle me rassure car une boule est coincée dans ma gorge à l’idée que la porte que notre père vient de claquer le reste à jamais. Je commence à ouvrir la bouche mais ma grande sœur secoue négativement la tête. Ses yeux passent de notre petit frère à moi.


- Lizzie, viens jouer.


Sa douce voix détonne de son regard insistant. Arnaud se retourne vers moi en gazouillant pour me tendre une petite voiture en plastique.


- Lizzie, insiste ma sœur. Il a besoin de jouer avec nous.


Je ravale mes larmes et les rejoints.

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10 commentaires

Mauve Lace

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Il y a 4 ans

Un chapitre flash back ou l'on comprend beaucoup de choses

FleurDelatour

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Il y a 4 ans

Waouw quel chapitre. Le début des antidépresseurs ? Ça fait de longues années alors!!!! Dur a vivre pour un enfant.

Thylia Andwell

-

Il y a 4 ans

Comprendre que ses parents ne sont pas des super-héros mais des humains avec leurs défauts est toujours difficile à vivre pour des enfants... Merci pour tes commentaires !
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