Fyctia
Chapitre 7 : Une journée...
Que je sois encore assez alerte pour ne pas claquer la porte de mon appartement et réveiller Annie est un exploit. Je laisse en plan mon manteau, mon sac et ma tête dans l’entrée pour me jette sur mon lit, tout habillée, sachant que je ne parviendrai pas à fermer l’œil.
C’est quoi ce bordel ?
Cette question tourne en boucle dans ma tête. Je n’ai même pas pu voir ma mère. Ils lui ont donné des médicaments pour l’aider à dormir avant que les symptômes de manque ne se manifestent.
Des symptômes de manque…
Sur le plafond blanc de ma chambre, des images d’elle au fil des ans se bousculent. Était-elle vraiment dépendante aux antidépresseurs tout ce temps ?
Sa légèreté, sa fougue, son sourire… Tout ça ne serait dû qu’à un procédé chimique pour contrer son anxiété ?
Je tente de me rappeler tous les moments où j’aurais pu le remarquer. Chaque souvenir est parasité par des préoccupations qui me paraissaient fondamentales à cette époque. Le travail, mes enfants, Henri… De bien petits problèmes quand je songe à celui qui se cachait juste derrière et que je n’ai pas su voir. Ma mère a toujours semblé si forte.
Et si ce n’était qu’un mirage ?
8 par jour.
Un remède de cheval.
Je n’en reviens toujours pas.
Ma tête se balance sur le côté et les chiffres en rouge qui transpercent l’obscurité me brûlent les yeux. Je dois me lever dans quelques heures. Après l’annonce du médecin, nous sommes rentrés chez Christine. Sylvain avait ouvert une bouteille de vin et préparé des verres. Arnaud nous a rejoints après être passé à l’hôpital, au cas où Maman serait réveillée. Inutile, selon notre sœur, mais il en avait besoin. Nous nous sommes réunis dans sa véranda pour boire en silence. Chacun ressassant toute sa vie pour trouver un indice du mal-être de notre mère. Je n’ai pu supporter cette atmosphère écrasante plus longtemps. En partant, j’avais promis de revenir après le travail demain. Ou plutôt aujourd’hui.
Fait chier…
J’attrape un des coussins et le presse contre mon visage avec l’envie de disparaître dans mon matelas. Ma tête bouillonne. Mes pieds s’agitent. Mon ventre se serre. Aucune chance d’arriver à dormir.
Je me redresse brusquement, allume ma lampe de chevet, recule sous le brusque changement de lumière et attrape un carnet entamé qui traîne toujours dans le tiroir. Une myriade de stylos l’accompagne mais un seul un sur dix fonctionne correctement.
Bien évidemment, c’est le dernier que j’essaye.
Je suis trop fatiguée pour jeter les autres alors ils devront rester à leur place jusqu’à ce que j’oublie lesquels marchent ou pas.
Le seul survivant glisse sur le papier, guidé par ma main qui possède sa propre conscience. Je ne sais pas ce que je dessine. Je mets mon cerveau en off et fait appel à ma mémoire musculaire pour conduire l’encre. Elle est un peu rouillée. Je ne me suis pas essayée à cet exercice depuis longtemps. Trop longtemps.
Un éblouissement attire mon attention vers la fenêtre. Les rayons du soleil dépassent légèrement du sommet de l’immeuble d’en face. Maintenant que je suis sortie de ma bulle, j’entends les sons de la ville qui s'éveillent doucement et annoncent le début de la journée. Les klaxons, le râlement des lève-tôt, les chaînes de vélo qui s’entrechoquent… Un coup d’œil au réveil me confirme que je ne dispose pas de beaucoup de temps pour me préparer à aller au travail. Plus tôt j’y serais, plus tôt je pourrais en partir.
En revenant sur mon dessin, je réalise que c’est un portrait de ma mère. Ses cheveux sont une masse bouclée blonde avec des mèches bleues. Je souris en me rappelant son style dans les années 80. Tout dans cette esquisse respire la liberté et la fougue qui l’habitait.
Qui l’habite.
Elle n’est pas partie. Je ne sais juste pas dans quel état je vais la retrouver…
Le médecin a dit qu’après autant d’années, les antidépresseurs pouvaient avoir un effet placébo. Ce qui explique pourquoi elle en prenait autant.
Leur arrêt ne la changera pas.
Je décide de m’activer avant d’annuler le calme précaire que dessiner m’a apporté. Mes gestes sont rapides et méthodiques. En moins d’une heure, je suis lavée, habillée, maquillée et dopée au café.
Mauvais jeu de mots, Lise…
Je laisse une note à Annie et récupère mes affaires étalées dans l’entrée pour entamer une longue journée.
Je la sens mal celle-là…
***
J’avais raison. Pour une fois.
- Lise ! Je veux tes propositions sur mon bureau dans vingt minutes !
Thomas me hurle dessus depuis l’autre bout de l’open space. Il claque si violemment la porte de son bureau que les vitres en tremblent.
- Ce budget le met vraiment dans un état pas possible, se plaint Carole.
Je ne peux qu’opiner car les commérages devront attendre une autre fois. On est en plein rush pour une campagne marketing et mes maquettes sont attendues comme le messie. C’est le genre de pression que je peux apprécier de temps à autre mais, cette fois, les délais sont ridicules. Pour ne rien arranger, mon humeur n’est pas vraiment en adéquation avec l’esprit de la boîte.
- Comment va ta mère ?, s’enquit Carole.
- Aucune idée. Je n’ai pas pu la voir hier soir.
- Je suis sûr que ça va aller. C’est juste une grippe, non ?
- Ouai… Juste une grippe.
Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre ?
Ma mère est accro aux médicaments et on n’a aucune idée des effets sur son cerveau après autant d'années ?
Impossible de me l’avouer à voix haute.
- Il faut vraiment que je termine ça rapidement si je veux aller la voir. Saloperie de commerciaux à s’y prendre à la dernière minute !
Je râle sous les yeux de Carole qui s’arrondissent. Son menton donne de légers coups dans ma direction. À moins que ce ne soit derrière moi.
- Lise, il faut revoir tout ce fichier.
Bien sûr, il faut que l’un d’eux se pointe à ce moment-là. J’observe le document que me tend Cynthia et ne fais pas le moindre effort pour masquer mon exaspération.
- Il n’y avait rien à ce sujet dans le brief.
- On a décidé de changer la présentation pour demain.
Son sourire digne d’une pub pour Colgate me donne l’impression d’une méchante dans un film Disney.
- Cynthia, tu as conscience que ça va prendre du temps ? Je n’aurai jamais fini avant ce soir !
- Tu avais quelque chose de prévu peut-être ?
- On peut dire ça, oui ! Tu sais, cette histoire avec ma mère à l’hôpital ?
- Oh, c'est vrai ! Qu’est-ce qu’elle a ?
La même chose que ce matin quand je te l'ai dit dans le bureau de Thomas.
- La grippe.
Son visage se ferme.
- Elle va bien alors ! Pourquoi tu te prends la tête ?
Je jure que si elle n'était pas partie à ce moment-là, je lui aurais sauté à la gorge.
- Non mais je rêve...
- Tu réagis comme si ça t’étonnait, me signale Carole.
- C’est le cas ! Depuis quand ils ont aussi peu d’empathie dans cette boîte ?
- Depuis toujours. Tu le remarques maintenant parce que ça te touche personnellement, c’est tout.
- Super...
Pourquoi j’aime ce job déjà ?
5 commentaires
Mauve Lace
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
-
Il y a 4 ans