Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 38
Un sourire sur le visage, j’attrape la main tendue par Nashoba pour m’aider à gravir les rochers d’une cascade. Voilà deux jours que notre troupe poursuit son périple, malgré la blessure de notre camarade.
Chacun notre tour, nous prenons le soin de veiller sur lui : Machk porte ses affaires, Aponi ouvre l’œil afin de repérer nos futurs repas. Quant à moi, j’ai le privilège de le voir torse nu à chaque changement de bandage.
— Tes joues rosissent, Leï, souffle Nashoba, une fois que je suis hissée à son niveau.
— Ce n’est pas vrai, lancé-je dans un mensonge mal dissimulé.
Un regard vers lui me dévoile son expression amusée et mon envie de l’embrasser grimpe en flèche. Cependant, je ne peux pas céder à la tentation : nous avons convenu de garder notre rapprochement pour nous. Je crois que l’un et l’autre en avons été surpris, et nous ne voulons pas rompre le lien fragile qui se tisse entre nous.
De mon côté, je suis sur un nuage depuis que nos lèvres se sont touchées. J’ai envie de braver mes appréhensions pour le découvrir pleinement.
Néanmoins, ma raison me dicte d’être prudente avec Nashoba, comme si elle avait conscience de ma vulnérabilité en ce qui le concerne.
— Nous arrivons, m’annonce le grizzly en pensée.
Au même instant, une odeur nauséabonde envahit l’air qui nous entoure.
— Ça pue ! s’exclame Aponi, une grimace sur le visage.
— Les geôles ne sont pas loin, expliqué-je.
— Bien. Montrons-nous vigilants, dans ce cas, déclare Nashoba.
Notre troupe se transforme en un souffle, aussi discret que possible. Nous poursuivons notre chemin en faisant attention aux endroits où nous marchons ainsi qu’aux branchages que nous effleurons.
Peu à peu, des voix portent jusqu’à nous ainsi que des cliquetis d’objets en métal que l’on frappe entre eux. L’odeur putride, elle se densifie. Je crains le pire, en atteste mon cœur qui tambourine dans ma poitrine.
Retenant mon souffle, autant par appréhension que pour éviter de vomir, je suis Aponi vers un bosquet touffu derrière lequel je m’accroupis.
Ce que je vois me laisse stupéfaite. Au loin, les cellules sont creusées dans la roche, fermées par des barreaux en métal. Les gardiens sont tous des métamorphes, armés jusqu’aux dents. Ce détail m’interpelle.
Vu le solide système qui empêche les détenus de s’enfuir, pourquoi mettre en place un tel dispositif de sécurité ? Ces prisonniers sont-ils de dangereux criminels de Solis, des âmes perdues devenues trop incontrôlables pour quiconque ou bien des exilés en quête de vengeance ?
Je déglutis, soudain anxieuse à l’idée d’être repérée, même si je peine à prendre la pleine mesure de ce qu’il se passe ici. Tant de questions surviennent dans mon esprit, et j’espère pouvoir en trouver les réponses dans un futur proche.
Tandis que je poursuis mon observation de ces lieux à l’atmosphère hostile, mon regard se porte vers le sol, où des mares d’eau crasseuse s’étendent depuis les geôles. À moins que…
— Ce sont leurs déjections, marmonne Machk avec un air de dégoût.
— Comment peut-on vivre dans de telles conditions ? intervient Nashoba, tout aussi écœuré.
Durant un long moment, nous scrutons cette scène, incrédules. Elle me révolte par son injustice, malgré le peu d’éléments en ma possession. Où est donc passée l’humanité de ces métamorphes ?
— Nous devons en apprendre plus sur le responsable de ces emprisonnements, et pour quoi ces gens sont ici, déclare Aponi, me tirant de mes pensées. Divisons-nous en deux groupes pour étudier les allées et venues des gardes.
— Leï et moi, nous grimpons histoire de prendre de la hauteur, s’exclame aussitôt Nashoba. On se retrouve une fois la nuit tombée, près de la cascade en contrebas.
— Et si les geôliers élargissent leur périmètre de recherches ? demande Machk.
— Dans ce cas, on se donne rendez-vous au camp des exilés, d’ici trois jours.
À peine Nashoba finit-il sa phrase qu’un profond sentiment de détresse me compresse la poitrine. En plus d’impliquer une séparation à laquelle je ne suis pas préparée, elle laisse entrevoir un avenir bien pire.
— Allons-y, lance mon acolyte en me tendant la main.
Encore une fois, je m’en saisis et me raccroche à l’idée saugrenue d’être là où je dois me trouver tant que je suis auprès de lui.
Ensemble, nous contournons le campement gigantesque installé dans ces montagnes. Nous prenons le soin de demeurer cachés, et sous le sens du vent. Même si l’odeur provenant des cellules masque la nôtre, certains métamorphes ont l’ouïe fine.
Alors que nous avançons, mon attention se porte vers une geôle. Mon cœur s’arrête aussitôt.
— Mon Dieu, lâché-je.
— Que se passe-t-il ? Tu vas nous faire repérer.
— Il s’agit du père de Waban.
— Tu es sûre ?
J’opine du chef avec conviction malgré la confusion de cette découverte.
— Allons le voir. Il nous en dira peut-être plus.
Bien décidée à lever le voile sur la vérité, je m’apprête à sortir du bosquet lorsqu’un bras enserre ma taille et me tire vers l’arrière. Mes fesses atterrissent lourdement au sol, mais je n’ai pas le temps de me plaindre que Nashoba intervient.
— Tu vas où comme ça ? grogne-t-il.
— Obtenir des réponses !
— En te précipitant dans la gueule du loup !
Son ton sec pique mon ego, mais très vite il reprend, avec une voix plus douce.
— Attendons quelques instants, histoire d’estimer la durée que nous avons entre chaque contrôle de gardes. Ensuite nous aviserons. Et désolé pour mon manque de délicatesse quand je t’ai rattrapée.
Il se décale pour s’asseoir à mes côtés tandis que je fixe un point droit devant moi. Le silence entre nous s’étire, et cet interlude me laisse l’espace mental pour réfléchir à ce qu’il vient de se passer. Il a eu raison d’intervenir.
— Merci, soufflé-je au bout d’un moment.
— Pour quoi ?
— D’avoir canalisé ma témérité soudaine. Et de prendre sur toi quand tu réalises être trop incisif, ajouté-je.
Je sais que cela lui coûte de contrôler ses émotions. J’apprécie qu’il fasse cet effort pour moi.
— C’est parce que tu affiches ton petit air triste, argue-t-il avec un sourire narquois. Je n’aime pas ça.
Une expression similaire gagne mon visage. Moi, je prends plaisir à le découvrir un peu plus chaque jour. En dépit de son caractère rentre dedans, Nashoba se révèle être très protecteur et prévenant. Cela me rassure de savoir que je peux compter sur lui.
S’ajoute à cette équation, un attrait nouveau qui me pousse à m’ouvrir davantage, à me laisser aller aussi. Je trouvais déjà Nashoba beau garçon, même si je préférais ne pas me l’avouer. Mais depuis qu’il m’a…
— Arrête de me fixer comme ça, peste-t-il. Ça me donne envie de t’embrasser.
Sa révélation me cueille avec surprise. Tout comme la tentation de me montrer plus audacieuse. Cependant, l’heure n’est pas aux cœurs amoureux, mais bel et bien à notre avenir incertain.
— Toi qui m’as retenue, la voix de la raison t’aurait-elle soudain quittée ? lui demandé-je, avec une moue taquine.
— Il semblerait que tu me fasses perdre les pédales.
Nous échangeons un sourire, puis reprenons notre observation, nos doigts enlacés.
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