Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 36
Un grognement significatif me parcourt comme un arc électrique. Très vite, mon corps s’agite. La connexion avec le grizzly se brise et mes jambes avancent seules sans que je puisse les contrôler. Je lutte, de toutes mes forces, mais, pareille à la fois précédente, je suis à la merci de ses pensées. Le loup ricane de me savoir comme son pantin.
— Leïka, où tu vas ? m’interroge Aponi.
— Il est là. Je ne peux rien faire contre lui.
Elle n’a pas le temps de m’en demander plus : sa silhouette sombre se détache du sous-bois pour apparaître devant nous. Ses pensées me parviennent distinctement.
— Ravi de te retrouver petite chamane.
J’aimerais couper la connexion, mais je ne sais pas comment procéder.
— Laisse, je vais m’en occuper.
Cette fois, c’est le grizzly qui s’invite dans mon esprit. L’instant d’après, je le vois foncer la gueule ouverte sur le loup. Il le heurte férocement tandis qu’un glapissement échappe au canidé. Mon sang se glace, quand, derrière moi, je perçois le cri de Nashoba.
Je me retourne aussitôt vers le groupe, et j’aperçois les garçons se battre l’un contre l’autre. Comme dépossédés de leur raison, ils mènent une lutte acharnée, cherchant à se blesser. L’instinct de leur animai semble avoir pris le dessus sur le leur.
— Leïka ! hurle Aponi.
J’évite de justesse l’ours, qui vient de se faire bousculer par le loup, en me jetant dans le courant. L’eau glacée me tétanise un instant, puis je parviens à me relever. Sans attendre, je sors du lit de la rivière pour rejoindre mon amie, sur la berge.
— Qu’est-ce qu’on peut faire pour stopper ça ? me demande Aponi.
— Tu ne peux pas te transformer pour les séparer ? suggéré-je.
— Pour quoi faire ? Ils vont me réduire en charpie !
Comprenant immédiatement le quiproquo, je précise mon idée.
— Je disais ça pour arrêter les garçons, pas pour t’interposer entre le loup et le grizzly !
Elle lâche un « ah » m’indiquant qu’elle se méprenait bien sur mes propos, mais très vite, un air gêné naît sur ses traits.
— Je… je ne sais pas faire. L’ancien m’a précisé que cela pouvait prendre des semaines avant que j’en sois capable, cependant il ne m’a rien expliqué de la démarche à suivre.
La stupeur me gagne. Etu aurait-il perdu l’esprit ? Pourquoi diable taire une information si essentielle ? Je n’ai pas le temps de m’interroger davantage qu’un nouveau cri retentit.
Mon attention se porte sur la scène en arrière-plan de nos camarades. Une plaie barre une patte avant du grizzly, mais ce n’est rien en comparaison de l’entaille profonde sur le poitrail du loup. Sans réfléchir, mon regard se pose sur Nashoba et ma poitrine se comprime sous la torpeur. Une blessure importante apparaît sur son torse, le marquant de part en part.
— Aponi, nous devons faire quelque chose, et vite.
Ma voix tremble sous l’émotion. Les voir s’acharner l’un contre l’autre me fend le cœur.
— Attends ! Quand l’un des garçons frappe son adversaire, cela ne fait rien à son animai. En revanche, dans le cas contraire, cela affecte Nashoba et Machk.
— Il faudrait donc séparer le loup ou le grizzly pour mettre fin au combat ? Mais comment ?
— En tant que chamane, tu as la possibilité d’interagir avec eux. L’âme jumelle de Machk semble nous défendre, alors peut-être qu’en contrôlant le canidé, tu pourrais le faire fuir ?
Je prends une grande inspiration, perdue quant à mes capacités à stopper cette bagarre. Etu m’a dit de me donner l’espace mental nécessaire pour me connecter à ma nature profonde. Simplement, comment trouver la paix en connaissant l’enjeu de mon échec ? Surtout quand rien ne me prouve mon aptitude à réussir.
— Essaye, Leï, me rassure Aponi. En attendant, je cherche une autre solution.
La conviction dans ses mots m’apporte un certain apaisement. Mon intervention n’est sûrement pas le seul moyen pour que l’on dénoue cette situation. Je peux donc tenter de me connecter au loup. En espérant conserver le contrôle.
J’inspire profondément, puis ferme les yeux. Je rassemble toute ma concentration sur ma respiration et tâche de faire abstraction des bruits alentour. Peu à peu, une vague de chaleur emplit mon corps. Elle s’amplifie jusqu’à m’obliger à rouvrir les paupières. Ce que je vois me laisse sans voix.
Les autres sont devenus des lignes luminescentes de couleur. J’aperçois leur être à travers celle qui représente leur âme. Je distingue aussi les traits de leur visage. Cela me trouble quelques instants durant lesquels leur aspect normal réapparaît et disparaît, comme s’ils clignotaient. En me concentrant à nouveau sur mon souffle, je parviens à stabiliser leur état lumineux.
Je porte ensuite mon attention sur le loup. Son aura, de la même couleur que celle de Nashoba, vibre d’une énergie puissante. Je la ressens par de petites décharges dans le bout de mes doigts. Sans réfléchir, je lève les mains dans sa direction et essaye de capter son essence.
Le canidé se retourne brusquement vers moi.
— Que fais-tu, espèce d’idiote ? Tu crois avoir assez de force pour me contrôler ?
— Non, mais détourner ton attention en revanche…
Dans la seconde qui suit, le grizzly lui assène un coup de patte d’une violence magistrale, en pleine face. Le loup hurle de douleur, tandis que je m’écroule au sol, prise d’une fatigue assommante.
L’eau gelée m’empêche de sombrer, et les lumières disparaissent en même temps que le prédateur s’enfuit dans la forêt. L’ours, lui, pousse un grognement de victoire.
— Bien joué, petite ! me congratule celui qui nous a défendus.
Aponi m’aide à me relever et nous nous précipitons vers les garçons, eux aussi assis dans le cours de la rivière. Si Machk se redresse avant que nous arrivions à leur niveau, Nashoba, lui, gémit de douleur.
— Où est-ce que tu as mal ? lui demandé-je.
— Partout.
— Désolé, je ne me contrôlais pas du tout, s’excuse Machk avec un air penaud.
— Je ne t’en veux pas, c’était pareil pour moi, l’ami.
— Aidons-le à sortir de là, propose Aponi.
Ensemble, nous combinons nos forces pour ramener Nashoba sur la berge.
— Il a besoin de repos, pour retrouver la forme, déclare le grizzly.
— Vu son état, il vaut mieux que l’on perde quelques heures de marche, affirmé-je.
J’échange un regard entendu avec mes amis qui opinent du chef.
— Ma caverne est au sec, plus haut en remontant la rivière. Vous pourrez y faire un feu pour vous sécher. Si besoin, je vous trouverais de quoi manger. Restez aussi longtemps que vous le voulez.
— Une nuit devrait suffire, nous devons nous rendre aux geôles des montagnes, lui explique Machk.
— C’est un mauvais endroit pour des jeunes comme vous.
Sans tenir compte de sa remarque, je m’approche de Nashoba. Son teint pâle fait peur à voir.
— Montre-moi ta plaie, lui demandé-je. Je vais te mettre de la pommade, le temps de faire le trajet jusque chez lui.
Il ne conteste pas et son état me préoccupe. Et lorsqu’il retire sa main, mon appréhension se confirme : elle est recouverte de sang. Sa blessure est bien plus importante que je ne le pensais.
10 commentaires
Phillove
-
Il y a 3 ans
Hanna Bekkaz
-
Il y a 3 ans
KrhystN
-
Il y a 3 ans
Leenargent
-
Il y a 3 ans
MarionH
-
Il y a 3 ans
Merixel
-
Il y a 3 ans
Leana Jel
-
Il y a 3 ans
bananechoco123
-
Il y a 3 ans
Amphitrite
-
Il y a 3 ans
L.J Fleury
-
Il y a 3 ans