Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 34
Notre troupe avance en silence à la lisière de la forêt. D’elle, émanent des bruits mettant en alerte mes sens. Le vent dans les aiguilles de conifères siffle tandis que le craquement des branches me fait sursauter. Je n’oublie pas la présence de ce loup terrifiant en son sein.
Même si le sortilège permettant aux voyageurs étrangers de ne pas voir la plaine présente au-delà des résineux, l’animal féroce semblait doté d’une puissante magie. On ne fait pas cette taille sans une dose de maléfice !
— Est-ce que vous entendez ça ? demande Machk avec enthousiasme.
Le ruissellement, bien qu’encore faible, d’un torrent nous parvient dans un son cristallin. Nahele nous a indiqué le chemin pour gagner les geôles sans nous faire repérer. Il nous suffit de trouver une petite rivière et de remonter jusqu’à sa source.
Sans attendre, nous accélérons la cadence jusqu’à atteindre son lit. L’eau vive serpente entre des rochers couverts d’une mousse d’un vert presque phosphorescent.
— Profitons-en pour faire une pause, s’exclame Aponi. La suite de la route est longue jusqu’à notre point de campement.
— Nous pourrions aussi essayer d’attraper quelques-uns de ces saumons.
Nashoba pointe du doigt une paroi rocailleuse en amont qui forme une cascade. On y voit des poissons tenter d’en remonter le cours en sautant hors de l’eau. Rien de tel qu’une source de nourriture facile à capturer. Cela nous permettra de conserver une partie de nos rations emportées pour demain.
— Qui se sent l’âme d’un pêcheur ? demande Aponi, d’un air dubitatif.
— C’est une tâche qui revient à un habitant de Flumen, s’exclame Machk.
Venant de la cité de la rivière, j’imagine qu’il pratique cet art nécessitant beaucoup de patience depuis sa plus tendre enfance. Le voilà parti, suivi de mon amie.
— Il ne manque pas d’entrain, s’esclaffe Nashoba. Profitons-en pour remplir les gourdes. La route sera longue jusqu’à notre destination.
— Nous avons trois jours pour atteindre les prisonniers, c’est ça ?
— Exactement. Et de même pour retourner au village. Cela nous laissera un temps de réflexion pour savoir quel camp nous choisissons.
Je ne peux m’empêcher de chercher son regard. Le poids au creux de ma poitrine s’alourdit dès que je le rencontre.
— Dans l’hypothèse où le vieux dirait vrai…
— Etu.
— Et tu, quoi ?
— Etu, c’est comme ça qu’il s’appelle.
— Ah ! Et bien, dans le cas où Etu ne nous raconte pas de bobards, est-ce que tu crois que tes parents seraient prêts à changer de camp ?
Sa question me prend de cours, tout comme sa façon si intense de me fixer. Est-ce vraiment une interrogation ou un souhait de sa part, je ne saurais le dire.
— Difficile à dire. Je ne les ai jamais vus prendre parti pour une cause en particulier. Ils suivent le mouvement.
Lorsque j’y pense, leur comportement passif me surprend. Ils ont toujours été pour moi un modèle de bienveillance et de douceur, mais qu’en est-il quand leur équilibre est menacé ? Le souvenir d’une période où mes rêves étranges étaient aussi récurrents que violents me revient en mémoire.
Je revois le visage inquiet de ma mère, consultant celui agité de mon père. À l’époque, ils m’ont demandé de ne pas en parler. Pourquoi ont-ils essayé d’étouffer cela plutôt que de me faire aider ? Après tout, je n’y apercevais que des livres anciens…
— Bon sang !
— Leïka, qu’est-ce que tu as ? m’interroge Nashoba.
Un éclair de lucidité me traverse de part en part. Etu m’a expliqué comment je pouvais déchiffrer le grimoire en ma possession et sa solution me paraît désormais si évidente. Et alors que je voudrais partager ma découverte, ma vue se brouille.
— Il se passe quoi ? demande Aponi en courant vers nous, accompagnée de Machk. On t’a entendu malgré le bruit de la cascade.
— Je ne sais pas, on discutait et maintenant, elle est comme ça.
Si je perçois leur voix, leur présence semble lointaine. Des pensées obstruent les miennes me mettant dans un état de confusion le plus total. J’ai l’impression que mon ventre crie famine, et l’envie de manger du poisson frais me fait saliver.
Je me lève et me dirige vers la cascade dans l’idée de dévorer chaque saumon que je pourrais attraper. C’est comme si mon corps savait comme les capturer. D’un geste vif, je bats l’eau dont je ressors un animal frétillant.
Puis, tout redevient normal.
Je me retourne un poisson à la main, et découvre les visages inquiets de mes camarades de route.
— Que s’est-il passé ?
— Tu as fait comme une absence, m’explique Nashoba.
— On a eu super peur, ajoute Aponi.
— C’est très étrange, j’ai eu très faim de saumon et cette pensée m’obnubilait.
— Est ce que tu aurais connecté avec un animai ? Car dès que tu en rencontres un, tu agis de façon bizarre, précise Machk.
— Aucune idée, réponds-je un peu perdue.
Il m’aide en prenant la poiscaille qui s’agite entre mes doigts et l’assomme d’un coup sec.
— Voyons le bon côté des choses : on a au moins notre dîner de ce soir.
Un sourire naît sur nos visages respectifs à son ton enjoué. Ce garçon ne pense qu’à manger !
***
Le feu de camp crépite devant nous. Si les autres dorment à poings fermés, dans leur sac de couchage en cuir rembourré de laine, mes yeux, eux sont grands ouverts afin de monter la garde.
Mon étrange absence de ce matin me préoccupe grandement. Associée aux paroles d’Etu, et à ma discussion avec Nashoba, je m’interroge sur le rôle de mes songes. J’ai compris qu’ils n’étaient pas dus à mon imagination débordante ou à mon envie de vivre des aventures trépidantes tout en étant protégée du danger.
C’est comme si une part de moi cherchait à entrer en communication avec les énergies qui m’entourent. Elle me guide vers des livres dont le contenu m’apprend diverses informations, mais je ne parviens pas à faire le lien entre elles.
Lorsque j’étais petite, je rêvais souvent du ciel et des astres. J’ai dévoré toute sorte de manuscrits en rapport avec le soleil, la lune ou encore les orages. Quel intérêt ont ces lectures pour moi ? Que cherchent-elles à me dire ?
L’image de l’animal que j’ai vu dans le grimoire m’apparaît alors comme un flash.
Sans réfléchir, je farfouille dans mon sac l’ouvrage emprunté à la bibliothèque de Solis, et tourne les pages pour retrouver l’illustration. Mon souffle se coupe lorsque je tombe dessus. L’air puissant, la stature fière, sa représentation fait battre mon cœur un peu plus fort.
Afin d’en apprendre plus sur lui, je porte mon regard sur le texte qui accompagne ce dessin. Les mains posées sur le papier, je tente alors de faire le vide autour de moi. Je ferme les yeux et m’applique à suivre ma respiration.
Un certain calme m’enveloppe. J’aperçois le livre, toujours avec cette langue qui m’est étrangère. Cependant, les lettres semblent bouger, comme si elles se transformaient.
— C’est comme ça que tu montes la garde ? grogne Nashoba.
Je reprends subitement pied à la réalité. Et sous mes yeux dansent ces écritures, indéchiffrables.
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