Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 33

Au cœur des âmes - Chapitre 33

Le chant des oiseaux m’appelle, comme si je devais venir à lui. Peu à peu, je prends pied à la réalité et j’aperçois la lumière du jour au travers de mes paupières fermées. Un grognement m’échappe. La nuit a semblé si courte, entrecoupée par des rêves étranges dont le contenu se dissipe à mesure que je tente de m’en souvenir.


— Debout la larve ! tonitrue Machk.


J’ouvre un œil et distingue sa silhouette massive à l’embrasure de notre entrée. Je porte ensuite mon attention vers Aponi, déjà levée.


— J’envie ta façon de roupiller, déclare Nashoba.


Sa mine soucieuse et ces cernes marqués m’indiquent une fatigue évidente.


— Détrompe-toi ! Je n’ai pas cessé de me réveiller.


Il s’assied sur mon lit, m’obligeant à me redresser pour lui faire de la place. J’imagine que les garçons sont là pour discuter de la suite de notre aventure. Mon cœur en rate un battement. J’ai mis de côté cette conversation pour ne pas affronter les émotions qu’elle va éveiller. Je ne suis pas prête à me séparer d’eux, alors que Waban vient tout juste de partir.


— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demande Aponi. Est-ce qu’on va dans ces montagnes, ou bien l’on essaye de retrouver notre chef afin de poursuivre notre quête ?

— Je ne fais pas confiance au vieux, lâche Nashoba. Peut-être que son histoire sur les prisonniers est un piège.

— Et ton frère te laisserait tomber dedans ? interviens-je. Vous êtes proches tous les deux, ça n’aurait pas de sens !

— Elle marque un point, s’exclame Machk.

— Pour une fois, je rejoins Nashoba, déclare notre amie. En allant dans les montagnes, nous prenons un risque considérable. Soit nous allons rencontrer des sauvages, comme on nous l’explique depuis notre enfance, soit nous nous retrouverons confrontés à des gardes chevronnés qui maintiennent captives des personnes depuis des décennies.

— Sans compter que le vieux nous a peut-être menti, insiste Nashoba. Après tout, ces prisonniers sont peut-être les leurs ?


Il soulève une interrogation dont la réponse a de lourdes conséquences. Cependant, je crains que la décision ne nous appartienne pas.


— Nous n’avons pas d’autre solution que d’y aller, déclaré-je. Nous devons avoir notre propre idée sur la situation. Car si l’on choisit de reprendre notre quête, nous devons retrouver Waban, qui est allé s’installer dans ces montagnes. Et si l’ancien dit vrai, alors nous saurons à quoi nous attendre si nous échouons à affronter les monarques.


L’exprimer à voix haute me fait frissonner. Je revois le regard pesant d’Iktómi le jour précédent mon départ de Solis. Je ressens la force de nos chefs. Elle émanait d’eux dès que ma route croisait la leur. Cela me paraît une mission impossible de les renverser.


— Bien, puisque nous n’avons pas le choix… Préparons-nous au mieux à ce qui nous attend.


Nashoba se lève aussitôt, comme décidé à démêler le vrai du faux. Aponi et Machk échangent un regard pesant. Quant à moi, la crainte de ne jamais rentrer à Solis me noue l’estomac. Pourtant, la peur de les perdre me tenaille davantage le ventre. Mes camarades sont devenus peu à peu une véritable famille à mes yeux.


***


Ébahie devant tant de savoir-faire, je jauge encore une fois la tenue confectionnée par les exilés. Comme s’ils connaissaient déjà notre décision d’aller dans les montagnes, et en une nuit seulement, ils ont fabriqué pour nous de fines côtes de maille. Le tissage des lanières en fer démontre une maîtrise évident, tout comme les protections de cuir dont l’ensemble est recouvert.


— Soyez prudents, surtout quand vous arriverez au pied des massifs rocheux, car vous devrez de nouveau pénétrer dans la forêt, nous explique Nahele.

— Si tu as aussi peur pour nous, tu n’avais qu’à nous accompagner, le charrie Nashoba.

— Nous en avons déjà parlé…

— Tu dois rester ici, je sais.

— La confection des armes qui serviront à votre attaque imminente contre les monarques est une priorité absolue. Dans sept jours, nous dévoilerons notre existence aux yeux de tous. J’espère de tout cœur te compter parmi nous.

— Nous avons une vengeance à prendre, affirme le petit frère au grand, avec un regard entendu.


L’air me manque en devinant ce que les deux prévoient. J’imagine que leur retour à Solis sera l’occasion de se liguer contre leur père. Même si j’avais moi-même évoqué cette idée à Nashoba, le savoir déterminé à agir me comprime la poitrine. Car non seulement ce besoin de revanche est proportionnel à ce qu’il a enduré, mais il implique aussi la possibilité de le perdre en cas d’échec.

Je n’oublie pas que leur paternel n’a pas hésité à faire appel à un monarque pour user de magie alors que celle-ci est interdite par nos lois. Cela signifie qu’il a des arguments suffisamment convaincants pour les tenir à sa botte.


— Avant de partir, j’aimerais m’entretenir avec toi, Leïka, me surprend l’ancien, silencieux jusqu’alors.


J’échange un regard inquiet avec mes camarades. Eux aussi semblent dérouter par cette intervention. Je finis par tomber sur celui de Nashoba.


— Au moindre doute…, commence-t-il tout bas.


J’opine du chef avant qu’il termine sa phrase. Je n’ai pas besoin d’en entendre plus pour connaître le fond de sa pensée. La poitrine oppressée par l’appréhension, j’avance jusqu’à l’ancien, puis le suis en silence à l’écart du groupe.


— Je sens ta méfiance, et je la comprends. Elle ne te sera d’aucune utilité pour lire le grimoire en ta possession.

— Comment vous…

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’un sourire accentue les rides creusées sur son visage.

— Sache que tu as les capacités de le déchiffrer, mais pour cela, il te faudra faire confiance à tes songes. Les fuir ne rendra l’ouvrage que plus fou. Si tu te donnes d’espace mental pour demeurer dans un état apaisé, alors tu pourras même en parcourir les lignes en étant éveillée.


Son explication me paraît si floue, et pourtant, elle résonne en moi comme si j’en avais déjà conscience, comme si j’avais déjà les clés de bien des mystères. J’aimerais lui poser tout un tas de questions, mais il prend la parole avant que je puisse parler.


— La route est longue et fastidieuse jusqu’à la prison de la montagne, je ne vais pas vous retarder davantage.

— Et si nous ne revenions pas ?

— Chacun d’entre nous possède des aptitudes spécifiques. Certains étudient la chorégraphie des oiseaux dans le ciel, d’autres observent la couleur des auras. Tu dois trouver le moyen de capter les énergies autour de toi. Elles t’aideront à anticiper ce qui semble inévitable aux yeux des autres.

— Parce que je suis une âme chamanique ?

— Même si tu en doutes, ton chemin de vie te le prouvera. Maintenant, va !


L’ancien me fait signe de tête pour que je rejoigne mes camarades. Sans réfléchir, je suis son ordre, puis je m’arrête en ayant une question précise en tête.


— Comment vous appelez-vous ?

— Etu. Cela signifie « soleil ».


Son explication paraît évidente tant son aura irradie de lui. Un jour, j’aimerais pouvoir dégager une telle énergie, aussi puissante que réconfortante. Espérons qu’il dise vrai.

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16 commentaires

Virginie S.

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Il y a 3 ans

Petite aide en retour :)

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Ooh merci :D

Elona Mitis

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Il y a 3 ans

passage de la poulpy <3

Hanna Bekkaz

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Il y a 3 ans

Ma contribution 👍

Charlie Genet

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Il y a 3 ans

un peu d'aide

degustationslitteraires

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Il y a 3 ans

Coup de pouce ! N'hésite pas à passer par chez moi si tu as le temps :)

Leana Jel

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Il y a 3 ans

Coup de pouce !

MarionH

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Il y a 3 ans

Allez une nouvelle aventure commence !

Mira Perry

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Il y a 3 ans

Passage de la licorne 🦄

Kathleenm

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Il y a 3 ans

Coup de pouce
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