Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 30

Au cœur des âmes - Chapitre 30

Quand les lumières s’éteignent, je reprends pied à la réalité. Aponi rayonne. Elle semble affinée, comme si son corps avait intégré la délicatesse du papillon en elle. Une aura verte et violette, presque iridescente, flotte autour d’elle. Et ce n’est pas la seule que je peux observer.


Toutes les personnes près de moi arborent des couleurs vibrantes. Un bleu turquoise illumine Machk, tandis qu’un éclat mordoré émane de Nashoba. Si je suis subjuguée par tant de beauté, c’est l’énergie s’en dégageant qui me touche le plus. Alors que je m’apprête à regarder la mienne, je suis interrompue.


— Est-ce qu’on peut discuter, toi et moi ? souffle Waban.


Je ne l’avais pas vu arriver. Son air toujours fermé ne me dit rien qui vaille. Alors que j’aimerais rejoindre mon amie pour lui poser les mille questions me traversant l’esprit, je me lève et suis Waban à l’écart du groupe.


Pendant quelques secondes, il évite mon regard, puis, lorsqu’il décide enfin de le fixer sur moi, mon cœur rate un battement. Rien qui vaille du tout.


— Je vais partir, m’annonce-t-il de but en blanc. Il est temps pour moi de gagner les montagnes.

— Mais nous venons à peine d’arriver.


Ma voix trahie la vive émotion qui me noue la gorge. Cette décision est si soudaine, comme son changement d’avis plus tôt dans la journée. J’ai la sensation qu’il me cache encore des éléments concernant son choix, sans être en mesure de discerner lesquels.


Je pourrais lui poser des tas de questions, chercher à en apprendre plus. Mais le fait est que je me sens impuissante. Un peu comme si, au fond de moi, je savais que c’était peine perdue. Réaliser qu’il ne m’implique pas dans sa vie me tue.


— Leï, je t’en prie, ne pleure pas.

— Et je devrais réagir comment, selon toi ? J’ai la sensation d’être abandonnée, Waban, alors que je te vouais une confiance aveugle.

— Rien ne t’empêche de venir avec moi.

— Je ne peux pas.

— Pourquoi ?

— Tu es bien placé pour savoir que depuis ma plus tendre enfance, je m’isole des autres parce que je me sens en décalage. Mais ici, au milieu de ces personnes qui maîtrisent la magie et interagissent avec la nature, j’ai l’impression de suivre le bon chemin.

— Tu ne les connais même pas.

— Je pensais te connaître, toi, répliqué-je, incisive.

— C’est à cause de lui ?

— Qui ça ?

— Arrête de faire ton innocente. Comme quand nous étions à Solis, ça lui plaît de s’amuser des autres. Et toi, tu fonces tout droit dans ses filets.


Par son attaque, je comprends qu’il fait référence à Nashoba, mais surtout je décèle sa jalousie. Waban n’a jamais montré une once de béguin pour moi. Alors quoi ? Sous couvert de mon désaccord, il cherche à m’emmener sur ce terrain là ? C’en est trop pour moi, cependant, je n’ai pas le temps de réagir qu’il avance vers moi. Sa main gagne ma joue, et son regard sombre attire toute mon attention.


— Et si je tentais ma chance, là, maintenant. Qu’est-ce que tu ferais ?


Mes oreilles bourdonnent, comme si elles avaient du mal à assimiler la question posée par mon meilleur ami. Si nous étions des semaines en arrière, j’aurais foncé la tête la première et sauté sur cette occasion de me rapprocher de lui. Mais tant de choses ont changé. J’ai changé.


— Je…


Je secoue la tête, stupéfaite.


— Pourquoi ferais-tu ça ? lui demandé-je en reculant.


Les bras ballants, Waban semble soudain mal à l’aise.


— Parce que je suis égoïste. En partant, je n’avais pas pensé qu’un autre pouvait prendre ma place auprès de toi. Ça me rend dingue que ça puisse être... lui.


Sa confidence assumée accroît en moi une vive colère. Je sens sa pression remonter dans ma gorge.


— Va-t’en.

— Quoi ?

— Va dans les montagnes ou la forêt, n’importe où, je m’en fiche désormais.


Je mens, mais lui faire du mal me semble être la seule solution qu’il me reste. Comme si cela allait me permettre de moins souffrir. Comment peut-il penser ainsi ?


— Et notre amitié, elle compte un minimum à tes yeux, non ?

— Qu’importe. Tu étais là, Waban, dans mon cœur. Il a suffi d’une année pour que tu effaces tout ce que nous représentions.

— C’est faux, et tu en as parfaitement conscience, Leï !

— Tu m’annonces que tu vas partir et tu me demandes de venir avec toi, sans mesurer quel impact cela peut avoir sur ma vie ! Et bien, sache qu’elle ne peut pas tourner qu’autour de toi.

— C’est ce dont je voulais être sûr.


Son tranchant me heurte et me blesse davantage encore. J’ai conscience que la douleur est due à mon attachement pour celui qu’il était et non plus celui qu’il est devenu, mais cela n’en reste pas moins difficile à encaisser.


Waban s’éloigne de quelques pas sans me lâcher de ce regard froid et hargneux qui ne lui ressemble pas.


— Adieu, Leï.


Sa voix, étonnamment douce, incise mon cœur d’une lame insidieuse. Jamais je n’aurais imaginé nos chemins se séparer. Pourtant, c’est bien ce qui est en train de se passer. Lorsqu’il disparaît dans la nuit, je tombe à genoux, meurtrie par la fin abrupte de notre complicité, de laquelle j’avais, sans me l’avouer, espéré voir éclore plus qu’une simple amitié.


***


— Tu devrais venir te mettre près du feu, résonne une voix non loin de moi.


Mes cils papillonnent d’eux-mêmes, puis je reviens au présent l’instant d’après. Mon être entier se tend lorsque j’entends des bruits de pas derrière moi. Je me relève subitement et heurte un corps. L’impact me déséquilibre.


Son bras entrave ma taille lorsque Nashoba me retient contre lui, et m’empêche par la même occasion de tomber. Malgré la pénombre, je distingue son iris mordoré et celui d’un blanc étincelant. Scintillent-ils aussi intensément d’ordinaire ?


— Tout doux, l’intello ! s’exclame-t-il. Tu viens de gâcher une belle part de bouillon, déclare-t-il en me relâchant.


Je le suis du regard et l’aperçois ramasser un bol renversé sur le sol. J’inspire une goulée d’air frais pour me redonner un peu de contenance.


— Je n’avais pas vu que la fête était terminée.


Le brouillard épais qui a accompagné mes derniers moments se lève sur la réalité. Waban est parti, et je n’ai pas assisté au reste de la cérémonie de mon amie, un rituel pourtant unique.


Un gémissement s’échappe d’entre mes lèvres et je sens aussitôt le regard de Nashoba se braquer sur moi. Je pleure, attristée de la tournure des évènements. Si je cache mon visage de mes mains à défaut de pouvoir disparaître, Nashoba en décide autrement.


— Approche, souffle-t-il.


Malgré sa demande, je reste figée, incapable d’amorcer le moindre pas vers lui. Ce n’est pas son rôle de me réconforter. Il devrait me poser la question qui fait mal : « alors il est parti ? » Mais au lieu de ça, il réduit la distance entre nous pour me prendre dans ses bras.


— Ne sois pas idiote. Je ne vais pas te manger, raille-t-il pour détendre l’atmosphère.


Je me laisse aller contre lui, sans opposer de résistance, me délestant d’un fardeau trop lourd à porter. Son odeur m’enveloppe dans un cocon réconfortant, et je ne le remercierais jamais assez de sa bienveillance à cet instant.

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22 commentaires

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

Tôt ou tard waban allait l'abandonner, mais c'est dur pour elle de voir une telle amitié réduit presque à néant. Le grand couillon remonte dans mon estime.

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Ce surnom ahah je l'adore toujours autant ^^

Laeti Bay

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Il y a 3 ans

Petit like en retour ! :D

Claryssy

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Il y a 3 ans

Petite aide en retour et merci encore !!

Fleur-de-pluie

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Il y a 3 ans

Coup de pouce ! ;)

Isaure DV

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Il y a 3 ans

A jour aussi !

Leana Jel

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Il y a 3 ans

retour de pouce !

Gabriele VICTOIRE

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Il y a 3 ans

Magnifique chapitre !

Lloyd

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Il y a 3 ans

Petit coup de pouce !

Pierrot

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Il y a 3 ans

eh bah ! je l'aurais pas deviner ça x) Dommage pour la cérémonie d'Aponi quand même aha
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