Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 26

Au cœur des âmes - Chapitre 26

Nashoba et moi échangeons un regard, comme si nous conversions dans un langage silencieux. Le son se répète encore une fois et me glace le sang.


— On y va, annonce soudain mon camarade.


Les battements de mon cœur cognent contre mes tempes. Mes jambes, elles, semblent sur le point de lâcher pendant toute ma descente via l’échelle permettant l’accès à la plate-forme. À peine ai-je un pied qui touche le sol, qu’Aponi arrive vers nous en courant.


— Que s’est-il passé ? demande-t-elle.

— Aucune idée, lui répond Nashoba. Où est le papillon ?

— Resté hors de la forêt. Il va essayer de nous suivre depuis la canopée, explique Aponi.

— Très bien, allons-y. Le grognement venait de là-bas, ajoute le seul garçon présent.


Nous entamons notre avancée à travers la végétation, les sens aux aguets. Cette témérité ne me dit rien qui vaille, mais nous n’avons pas le choix. Machk et Waban sont peut-être en danger.


Plus nous nous enfonçons dans le sous-bois, plus les minutes me semblent s’écouler avec une lenteur particulière, comme si le temps ici n’était pas le même que dans les vallées. Une douce énergie m’enveloppe. Bien qu’invisible, je la ressens sur ma peau comme la caresse d’un vent d’été, chaud et agréable.


J’entends les autres parler, mais je ne comprends rien de ce qu’ils disent. Je les suis dans un état second, jusqu’à apercevoir nos deux collègues manquants. Les sons me parviennent à nouveau.

Dos à nous, ils reculent prudemment et leur attitude me met mal à l’aise.


— Vous auriez dû rester sur la plate-forme, tonne Waban.


Il n’a pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, qu’un grondement sourd résonne. Chacun d’entre nous lève les yeux vers le haut.


Devant nous se tient l’animal le plus terrifiant que je n’ai jamais vu. De son museau long s’échappent des volutes de fumées épaisses, mais le plus effrayant vient de ses crocs d’un blanc éclatant, acérés comme des lames tout droit sorties des ténèbres.


Son aboi sombre et résonnant fait entrer mon cœur dans une frénésie incontrôlable. La peur, elle, me cloue les pieds au sol.


Les secondes s’écoulent dans une tension palpable. Chacun de mes muscles devient de plus en plus douloureux. Mes jambes se mettent même à trembler.


Et c’est à ce moment-là qu’il avance.


Nashoba fait un pas après l’autre, réduisant peu à peu l’espace qui le sépare de l’animal. Ses yeux brillent étrangement dans les ombres de la forêt. C’est comme si ses iris mordorés étaient phosphorescents.


— Nash, murmuré-je.


Ma voix s’éteint presque aussitôt que les rétines du loup se mettent à leur tour à produire une lumière mystique. La peur s’infiltre lentement par tous mes pores.


— C’est un nouvel animai maxima, crie Aponi.


Enfin pas exactement.


Je l’entends au travers de mes pensées, tout comme les réflexions des autres. Tous paniquent. J’inspire, tentant au maximum de ne pas me laisser submerger par cette étrange sensation de brouhaha dans ma tête.


J’aime sentir votre crainte.


Une sorte de ricanement résonne au creux de mon crâne. Malgré ma tétanie, la silhouette de Nashoba qui avance vers ce monstre me pousse à agir. Je bondis sur lui et, en saisissant son bras, c’est comme s’il reprenait pied à la réalité.


— Bordel ! jure-t-il. Courons !


L’instant qui suit, toute notre troupe s’enfuit à toute allure. Les branchages fouettent nos vêtements, les lacèrent à certains endroits. Mais le plus terrible pour moi reste d’entendre l’amusement de ce canidé qui nous traque à son rythme.


Il pourrait tout à fait nous rattraper, mais c’est comme si cette situation n’était qu’un jeu pour lui. Nous sommes ses proies, terrifiées et désopilantes, pour un chasseur invétéré tel que ce loup.


— Là-bas, crie Machk.


Sans réfléchir, nous le suivons jusqu’à arriver devant un pont en lianes. Il semble aussi solide qu’une brindille.


— On ne passera jamais tous ensemble ! s’écrie Nashoba.

— Il est hors de questions de nous séparer, intervient Waban avant que l’un d’entre nous puisse proposer cette solution. Où est le papillon ?

— Je rêve où tu le rends coupable de cette situation ! gronde Aponi.


Une cacophonie s’élève entre nos deux comparses qui se chamaillent. Je prends alors les devants. J’avance jusqu’à la passerelle brinquebalante et effectue un premier pas sur l’une des lattes en bois servant de tablier. La construction tangue, mais aucun craquement ne se fait entendre.


— Leï, reviens ! m’ordonne Nashoba. Tu vas te blesser.


Bien décidée, je poursuis ma route. À mesure que j’approche du milieu de l’ouvrage, le bruit d’une rivière en contrebas me parvient. Je lutte, à chaque instant, pour ne pas regarder vers le précipice.


— Cela semble solide, constate Waban, dont la voix porte jusqu’à moi. Allons-y progressivement. Machk, tu passes en premier. Ensuite, ce sera autour d’Aponi pour équilibrer le poids sur le pont, puis Nashoba, tu t’engageras à ton tour. Je fermerai la marche.


Mon premier camarade amorce un premier pas, et l’ensemble commence à balancer de façon plus importante. Mes jambes luttent pour me maintenir en debout, mais à force de concentration, je parviens à atteindre la rive opposée.


Je scrute la forêt devant moi, à la recherche d’un quelconque danger, mais je n’aperçois que cette végétation dense et ses ombres. Lorsque je me retourne, Machk a déjà parcouru la moitié du chemin. Aponi, elle, s’élance à son tour.


Un à un, mes camarades me rejoignent. C’est un soulagement lorsque je prends Aponi dans mes bras, cependant, il est de très courte durée. En effet, à peine Nashoba a-t-il atteint la seconde partie du pont, Waban effectue un premier pas pour amorcer sa traversée. Un grognement sourd retentit, et deux billes phosphorescentes apparaissent derrière eux.


Les contours d’un museau se dessinent de plus en plus nets à mesure que les secondes s’envolent. Le prédateur est à nouveau là.


Vous pensiez m’échapper ? Jeune chamane, tu apprendras à tes dépens que nous ne nous laissons pas tous amadouer par nos âmes jumelles.


S’en suit un hurlement d’une puissance incomparable. Jamais je n’ai entendu de loup produire ce son, mais je ne l’imaginais pas aussi vif. Il semble me traverser de part en part, comme si ses vibrations cherchaient à m’atteindre.


— Leïka, crie Nashoba.


Je ne contrôle plus mon corps. Mue par une étrange énergie, je fais machine arrière et retourne vers le pont où se trouvent mes deux camarades. Je lutte de toutes mes forces, mais je ne parviens pas à me freiner, entraînée par la plainte de l’animal.


Lorsque j’arrive au niveau de Nashoba, ce dernier lâche une liane faisant office de rambarde pour m’entourer la taille. Je tente, contre mon gré, de m’en dégager. La construction craque, tangue. Elle menace de s’effondrer sous nos pieds.


— Leï, je t’en prie, tu vas tous nous tuer ! hurle Waban depuis sa position.

— Il m’en… empêche, expliqué-je tout en continuant d’opposer une résistance.


L’instant qui suit, après un énième mouvement de ma part, les lianes se déchirent, et nous tombons dans le vide.

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17 commentaires

Merixel

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Il y a 3 ans

Ce loup serait il l'animai de Leika?

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

C'est génial de rappeler que les animaux sont sauvages et qu'ils ne sont pas d'accord pour se lier avec un humain. Ce loup est très dangereux

La Plume d'Ellen

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Il y a 3 ans

Aïe la chûte va être vertigineuse 😉

Emmy Jolly

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Il y a 3 ans

Coup de pouce en retour 👍💖

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Merci 😋

Anna & books

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Il y a 3 ans

Coup de pouce 👍 Tu peux aller voir ma story The Eternity j’ai besoin d’aide ☺️

Mira Perry

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Il y a 3 ans

Courage plus que 5 ! 😆😉

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Merci 😂☺️

degustationslitteraires

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Il y a 3 ans

Coup de pouce !

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 ans

Leïka a mal été récompensée de son courage exceptionnel. La chute est vertigineuse et donne envie de connaître la suite.
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