Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 22
Allongée sur une paillasse épaisse, je me concentre sur ma respiration. Voilà plusieurs jours que je suis contrainte de rester dans la cabane, avec l’impossibilité de marcher. Mes camarades de route viennent tour à tour me tenir compagnie. Enfin… tous sauf un.
Une fois sorti de la grotte, Waban m’a portée afin que nous puissions regagner le camp où nous étions attendus au plus vite. Il a couru et ma hanche endolorie n’a cessé de heurter son épaule. Lorsque nous sommes arrivés, je hurlais et souffrais le martyre.
Je ne lui en veux pas de ne pas s’être laissé attendrir par le supplice qu’il m’infligeait. Sans son sang-froid, nous aurions passé la nuit dans les contrées astrales, seuls et sans feu pour nous réchauffer.
— Tu as meilleure mine aujourd’hui, me taquine Nashoba que je n’avais pas vu entrer.
— Je vais prendre ça comme un compliment.
Il approche du lit avec un bol fumant.
— Comment va ta hanche ? me demande-t-il en me confiant mon repas.
— Mieux. Mais cette interdiction de me lever me rend dingue.
— Tant que tu n’entends pas des bestioles dans ta tête, raille-t-il à voix basse.
Nous échangeons un sourire. Aponi, Machk, Nashoba et moi avons longuement discuté de ce qu’il s’est passé dans la grotte. Ils m’ont posé toutes les questions auxquelles je songeais, mais pour lesquelles je n’avais pas de réponse.
« Suis ton instinct, jeune chamane, et tu verras la couleur au cœur des âmes. Elle ne scintille pas de la même manière pour chacun d’entre nous. »
Qu’est-ce que le papillon a voulu dire ? Je l’ignore. Cette phrase revient souvent dans mon esprit, comme si mon intuition me poussait à en comprendre le sens.
— Des nouvelles de l’insecte aujourd’hui ?
— Il s’impatiente d’après Aponi.
Mon amie lui rend visite chaque matin, à l’aube, quand le camp n’est pas encore levé. Elle passe des heures à discuter avec l’animal, et elle me relate ensuite leur échange. Le savoir de ce monarque est immense en comparaison au nôtre. Nous avons donc appris que leurs traits de caractère étaient similaires entre les âmes jumelles. L’empressement semble être l’un de ceux qui relient nos deux compères.
— Et toi, tu ne l’entends pas ?
— Non. J’imagine que tant que je ne suis pas proche de lui, je ne peux pas capter ses pensées.
— Au moins, tu as la paix.
Son ton léger me donne le sourire, cependant à sa manière de bouger sa jambe comme s’il était pressé, je devine qu’il n’est pas là uniquement pour m’apporter mon repas.
— Tu avais quelque chose à me dire ?
— Waban m’a demandé de te transmettre…
Je n’entends pas la suite de sa phrase tant mon cœur se serre dans ma poitrine. Si mon meilleur ami passe par celui qu’il n’apprécie pas pour me communiquer un message, je crains de ne pas trouver de moyen pour améliorer la situation. Car cela signifie qu’il ne veut pas faire d’effort pour sauver notre complicité.
— Tu écoutes ce que je dis ? m’interpelle Nashoba.
Lorsque je relève les yeux vers lui, les siens s’écarquillent. Il se rapproche de moi et prend ma main avec une certaine retenue.
— Pourquoi tu pleures ?
Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais laissé aller mes émotions, et j’essuie rageusement mes larmes.
— Nous sommes supposés être inséparables et il ne vient même pas me donner son message lui-même. C’est simple, depuis que nous sommes arrivés dans les contrées astrales, c’est comme si rien de notre amitié n’avait subsisté, déclaré-je d’une voix tremblante.
Je relâche un souffle sans que cela apaise cette douleur émotionnelle liée à ma déception. Une pression sur ma main m’empêche de craquer davantage.
— Il s’en veut, Leï. Il sait qu’il t’a fait mal durant notre dernier voyage. Et puis, nous diriger n’a rien d’évident. Nous sommes une bande de ploucs bornés.
Son air faussement sérieux a le mérite de me redonner sourire.
— Parle pour toi, raillé-je.
— Allez, mange pour gagner des forces au lieu de dire des âneries. Nous repartons demain.
— Demain ?
— Tu n’as vraiment rien écouté ! Waban m’envoyait te transmettre ce message. Notre route sera plus longue, car nous devons rattraper notre retard. A priori, le chemin que l’on va prendre sera semé d’embûches, mais il nous permettra de nous rendre au camp à l’orée de la forêt enchantée dans les temps.
J’opine du chef tout en retenant mon enthousiasme. Dans les nombreux ouvrages que j’ai dévorés, j’ai toujours été très attirée par les mythes entourant ce lieu.
— Bon, je dois y retourner, je suis attendu pour la fabrication d’un arc et de flèches.
Nashoba me salue avant de me laisser seule. Je dépose le bol sur le tabouret d’appoint à côté de la paillasse. Le bouillon encore fumant va me brûler si je le mange maintenant.
J’attrape mon sac au bout du lit pour faire l’état de mes stocks en pommades. Ces derniers jours, j’ai mis à profit mon temps pour confectionner en grandes quantités avec les ingrédients apportés par Machk. Si ses connaissances sur les animaux laissent à désirer, en revanche, celles sur les végétaux imposent le respect. Il m’a même enseigné quelques recettes familiales dont l’efficacité m’a stupéfaite.
Tandis que je farfouille dans mon sac, un objet tombe au sol. Le nuage de poussière qu’il a soulevé m’oblige à secouer la main devant mon visage. Lorsqu’il s’est suffisamment dissipé, mon attention se porte sur l’ouvrage, ouvert sur une illustration bestiale.
Le grimoire !
Il m’était complètement sortie de la tête !
J’attrape le livre et observe la gravure ancienne affichée sur la page de droite. Elle représente une espèce que je ne connais pas. Ses deux pattes avant sont formées de serres acérées tandis que les deux à l’arrière ressemblent à celles d’un loup. Son corps aussi paraît appartenir à un canidé, mais il est surmonté d’une paire d’ailes d’une taille démesurée.
Quant à son faciès…
Un courant électrique parcourt mon épiderme dès l’instant où mon regard se pose sur celui de l’animal. C’est comme si ses billes rondes m’observaient au travers du papier. Il semble prêt à jaillir du livre à tout moment et sa vigueur apparente m’intimide. Car à la place d’un museau, la bête possède un bec tel celui d’un corbeau, long et puissant. Son allure robuste démontre sa férocité.
Intriguée, je porte mon attention sur les écritures de la page adjacente. Mais pareil au moment où j’ai récupéré l’ouvrage à la bibliothèque de Solis, je n’en comprends pas le sens.
J’ai pourtant rêvé de ce livre, ce qui m’a permis de le trouver, et j’ai surtout déchiffré son contenu dans mes songes. Alors pourquoi n’y arrivé-je pas aujourd’hui ?
Afin d’amener le calme dans mon esprit, je ferme les yeux et focalise mon attention sur ma respiration. Je tente de faire le vide autour de moi, mais la discussion avec le papillon ne cesse de virevolter dans ma tête.
Je repense à son affirmation me concernant. Moi, une chamane ? Est-ce possible ? Si oui, pourrait-il me guider ? Ou bien devrais-je me fier au monarque Iktómi en sachant l’horreur qu’il a cachée ?
Suis-je moi aussi capable d’user de magie ?
8 commentaires
Gottesmann Pascal
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Hanna Bekkaz
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Pierrot
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La Plume d'Ellen
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