Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 18
Ses mots font échos en moi. Depuis ma plus tendre enfance, les gens de mon entourage ne me prennent pas au sérieux. Je suis la jeune fille naïve au nez toujours plongé dans un bouquin, celle qui n’a pas le poids suffisant pour s’imposer.
— Pourquoi avoir paniqué l’autre fois ? Si j’en parle, personne ne me prêtera intérêt non plus.
— Au contraire.
— Je ne te suis pas ton raisonnement. Qu’ai-je de différent de nos deux compères pour que l’on me croie ?
— Tu es connue comme étant sérieuse, pas de celles qui inventent des histoires pour se faire mousser ou attirer l’attention. Si tu balances la vérité, beaucoup trouveront ça suspect et chercheront à creuser pour en apprendre davantage. De fil en aiguille, la lumière sera faite sur ma situation familiale.
— Serait-ce une si mauvaise chose ?
— Iktómi sait que mon père est agressif. Il a le pouvoir de le bannir, mais il a préféré user de magie pour me guérir plutôt que le dénoncer.
— Pourquoi ?
Nashoba hausse les épaules. Dans sa réponse silencieuse, je décèle la même impuissance qu’au travers de mes questions. Nous n’avons pas d’importance aux yeux des monarques, sûrement parce que nos âmes animales sont moins redoutables que la leur.
Animai maxima, voilà la particularité qui caractérise nos chefs. Les espèces dont ils deviennent l’hôte possèdent une force supérieure aux individus lambda. Mais en trouvant leur double, Nahele et lui auraient plus de poids contre leur père.
— Si tu t’associes à ton frère, vous pourriez vous liguer contre lui.
— Ton idée est brillante, je vais lui en parler, lâche-t-il d’une voix teintée de sarcasme.
— D’accord, il est aux abonnés absents pour le moment, mais nous pourrons peut-être le retrouver une fois notre premier tour des contrées astrales effectué ?
— J’hésite entre si ton espoir me pousse à y croire ou bien s’il me donne envie de rire.
— Quand je disais que tu ne sais pas gérer tes émotions, en voici la preuve !
— Tu te moques de moi ?
— Oui. Et c’est vraiment trop facile, le nargué-je.
— Tu m’agaces ! s’esclaffe-t-il.
— Ça devient mon passe-temps favori !
Nashoba m’observe d’un air amusé. Nous poursuivons notre chemin en silence. Bien qu’il m’ait attaquée la dernière fois, je n’ai pas peur de lui. C’est un garçon impulsif, et si je me fie à ses maigres confidences sur son enfance, cela m’explique l’instabilité de ses réactions.
Peut-être qu’en le comprenant mieux, je serais en mesure de l’apprécier. Après tout, nous devrons faire une majeure partie de notre quête ensemble. Avoir de bons rapports faciliterait la situation.
— Un tison, alors ? soufflé-je afin que personne ne nous entende.
— Incandescent. Un enfer.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis revenu à la maison après le coucher du soleil. Salali venait de perdre sa grand-mère et elle avait besoin d’un ami pour ne pas se sentir seule. Quand j’y repense, j’aurais mieux fait de ne pas rentrer.
— Tu es sérieux ? Juste pour… ça.
— Malheureusement oui.
— Tu l’as expliqué à ton père ?
— Qu’importe, pour lui, les règles doivent être respectées.
Mes mâchoires se crispent face à l’injustice de cet acte barbare. Comment peut-on s’en prendre à un petit garçon ?
— Pourtant, cela l’a arrangé qu’Iktómi répare son erreur en bravant nos lois.
Notre système interdit la pratique de la magie depuis très longtemps. Cet art ancestral est considéré comme disparu au fil des siècles. Dès notre plus tendre enfance, nous apprenons ses conséquences néfastes et l’on préfère nous enseigner des méthodes de guérison médicinales.
— Leï, souffle-t-il. Cela ne changera rien à la situation.
Au travers de sa voix filtre une supplique qui me serre le cœur.
— Je suis désolée que ça te soit arrivé.
— Et moi de t’avoir agressée.
— Tout comme tu en voudras toute ta vie à ton père, sache que ce n’est pas une raison suffisante pour que je te pardonne.
— Je comprends, me répond-il d’un air peiné.
Nashoba ne me semble pas être un mauvais garçon, perdu oui, mais perfide, non. J’imagine que son vécu conditionne sa façon de réagir, et que quand il se sent au pied du mur, il attaque pour se protéger. Il ne doit connaître que ce mode de fonctionnement.
— En revanche, j’accepte de te donner une seconde chance, déclaré-je.
Son visage s’éclaire d’un sourire franc et ses épaules se redressent comme s’il était soulagé. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit si heureux.
— Tu ne le regretteras pas, tu peux me croire, s’exclame-t-il. Et promis, il n’y a aucune malveillance dans mes paroles.
— J’ai hâte de voir ça, raillé-je.
— Je suis un gars sympa !
— Laisse-moi deviner : seulement quand tu veux ?
— On peut dire ça.
Nous échangeons un regard amusé, et je ressens une sorte de libération au creux de ma poitrine. Depuis qu’il m’a enserré la gorge, j’imaginais le pire malgré le fait qu’il se soit tenu à distance de moi. Est-ce que le bannissement annoncé par Waban l’a fait réfléchir ? Je ne saurais le dire.
Néanmoins, il semble prompt à faire des efforts et sincère dans sa démarche. Les jours qui arrivent me donneront tort ou raison.
Machk et Aponi finissent par nous rejoindre et nos pas s’enchaînent ensuite dans une joyeuse cacophonie. Waban paraît résigné à ce que nous discutions durant nos fastidieuses marches et cela n’est pas pour nous déplaire. Nous restons tout de même vigilants en observant les environs.
— Vous pensez qu’on en a encore pour longtemps ? demande Nashoba, toujours chargé des tentes.
— Attends, je vais t’en débarrasser, propose Machk. Après tout, c’est moi le plus grand.
— Nous allons faire une pause, annonce soudain Waban. Profitez-en pour boire et quand je vous dis qu’on reprend, on reprend. C’est clair ?
Nous opinons tous du chef, intimidés par son ton directif et surtout surpris. Il a dû nous entendre.
Waban s’éloigne déjà pour nous laisser entre nous. Un sentiment de lassitude s’abat sur moi. J’avais imaginé nos retrouvailles différentes, mais toutes mes attentes s’effondrent les unes après les autres.
Je farfouille dans mon cabas à la recherche de ma gourde. Ma main tombe sur un petit objet dont je ne reconnais pas la forme. Je le sors et…
Mince !
Il s’agit du paquet que m’a confié Rozene le jour du départ pour le poste d’avant-garde. Je l’avais complètement oublié ! Mon regard se porte aussitôt sur Waban. Il observe l’horizon, l’air pensif, presque abattu. Mon cœur se serre en le voyant ainsi. Peut-être me suis-je montrée trop dure avec lui ? Car, en tant qu’amie, ne suis-je pas supposé l’épaulée dans ces décisions ? Si ce choix fait son bonheur, ne devrait-il pas faire le mien également ?
Si nous ne réglons pas notre conflit durant notre voyage du jour, je peux au moins amorcer sa résolution.
— Waban, l’interpellé-je.
J’avance vers lui avec le cadeau de Rozene. Mais à quelques mètres de lui, un craquement sous mes pieds m’arrête. Mon corps se fige. Les yeux écarquillés de mon ami trahissent une inquiétude évidente. L’instant d’après, je me sens tomber dans le vide sous ses hurlements paniqués.
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Lety29
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MarionH
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Andrée Martin
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Il y a 3 ans