Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 16
Le monde autour de moi semble vaciller. Je peine à comprendre ses mots, pourtant, j’en ressens tout le poids.
— Tu… tu ne rentreras pas à Solis ? Comment ça ?
— J’ai pris ma décision, je ne m’unirai pas à mon âme animale.
Son affirmation est énoncée sans aucune trace de doute. Néanmoins, je ne perds pas espoir. En connaissant son cheminement de pensées, peut-être pourrais-je déceler une faille dans cette décision si radicale ? Je ne peux décemment pas accepter cette situation sans me battre pour le ramener à la raison.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Il se moque de moi, là ?
Mes poings se serrent d’eux-mêmes et les articulations de mes pouces craquent sous la pression.
— Tu réutilises la même argumentation que la mienne pour me faire la morale, c’est une blague ?
— Je suis plus que sérieux.
— Alors, pourquoi ? insisté-je.
— Je ne souhaite pas t’en dire plus pour le moment.
— Oh ! Donc tu me balances ça comme ça, en espérant que j’agisse comme si de rien n’était ?
Cette fois, Waban garde le silence. Son regard dur me somme de m’arrêter là, mais je n’en ai que faire. La fatigue accumulée ainsi que tous les évènements et les querelles de ces derniers jours ont raison de ma capacité à conserver mon calme.
— Tu crois sincèrement que je vais me contenter de ça ? Nous nous étions fait une promesse, Waban, celle de rentrer en vie à Solis une fois que nous aurions trouvé notre animai. D’y revenir tous les deux. Te souviens-tu aussi de ce que nous avions décidé pour nos maisons ?
— Oui.
— J’en doute, alors vas-y, je t’écoute !
Waban expire d’une drôle de façon, comme si respirer devenait difficile pour lui. Son regard fuyant me prouve à quel point il se sent coupable, mais je ne parviens pas à m’émouvoir. Nashoba m’a fait des crasses, mais il ne s’est jamais caché de ne pas m’aimer. Waban, lui, était supposé être mon ami.
J’attendais de lui qu’il soit mon pilier, qu’il soit une personne à qui accorder confiance tout au long de ma vie. Mais il semblerait que notre enfance vécue ensemble ne compte plus, comme si cette simple année avait réussi à briser le lien qui nous unit.
— Nous devions construire nos maisons l’une à côté de l’autre, hurlé-je face à son silence. Nous avions décidé cela, parce que nous voulions passer notre temps libre à deux, à rire et à inventer des histoires, allongés dans l’herbe en scrutant la Voie lactée, sous une peau pour ne pas avoir froid. À faire des vœux idiots en voyant une étoile filante.
À nous regarder dans les yeux, pour les deviner.
À réaliser que notre attachement allait bien au-delà de notre amitié.
À nous rapprocher l’un de l’autre.
Jusqu’à inspirer le même air.
Jusqu’à…
— Tu ne peux pas me faire ça, soufflé-je.
— Il ne s’agit pas de toi, Leïka, mais de mon âme, m’explique-t-il avec calme.
L’incompréhension grandit en moi, tout comme la torpeur. Plus le temps passe, plus je prends la mesure de ce que cela implique, indépendamment de notre relation. Mes épaules s’affaissent tant je me sens démunie.
— Tu ne peux pas faire consciemment ce choix, Waban ! Tu vas devenir sauvage !
— Je le sais.
— Et tes parents ? Et Rozene ? As-tu seulement pensé à ta petite sœur ? m’énervé-je.
— Je ne demande à personne d’être en accord avec ma décision. S’ils m’aiment suffisamment, ils le respecteront. Et toi aussi.
— Jamais ! crié-je à pleins poumons.
Les larmes me montent aux yeux sans que je puisse les retenir. Je ne sens malheureusement aucun soulagement, bien au contraire.
— Tu as encore tant de choses à apprendre des contrées astrales, Leï. Tout est plus compliqué qu’il n’y paraît.
— Ne me prends pas pour une idiote que je ne suis pas ! Tu peux m’expliquer la raison de ta décision, Waban. En refusant de me dire la vérité, tu bafoues nos promesses et notre amitié. C’est comme si à tes yeux, elle ne valait rien. Comme si je ne valais rien.
— Tu te trompes, souffle-t-il.
Mon ami semble désolé, mais à quelle réaction de ma part s’attendait-il ? Que j’accepte en lui donnant une tape dans le dos en guise d’approbation ?
Waban s’approche de moi, puis il m’attire contre lui. Je devrais le repousser, tant je suis en colère, mais sa chaleur m’enveloppe, réconfortante. Si elle n’apaise pas la douleur émotionnelle au creux de mon ventre, je me laisse bercer par ses caresses dans mes cheveux.
— Je n’ai pas envie d’être séparé de toi, Leï. Tu sais que je tiens mes engagements et j’aimerais trouver un moyen d’honorer celui que nous nous sommes fait. Mais je n’ai pas le choix.
Mon cœur est convaincu de la vérité au travers de ses mots malgré tous mes questionnements. Je resserre ma prise autour de lui dans un besoin vital de sentir sa présence. Même s’il sera avec nous le temps d’apprendre à notre groupe les leçons essentielles à notre survie, il finira par s’en aller. Pour toujours.
— Nous devons retourner près du feu, tu vas tomber malade sinon, déclare-t-il en s’écartant légèrement de moi.
— J’ai envie d’être seule.
La nécessité qu’il s’en aille pour me laisser vivre ma peine est oppressante, même si j’aimerais tout autant qu’il reste.
— Leï…
— Waban, s’il te plaît.
Mon ton est plus incisif que je le souhaitais, cependant Waban se détache de moi. Le vide entre nous me comprime la gorge et je ne peux contenir un sanglot. L’instant d’après, ses paumes se calent de part et d’autre de mon visage. La pulpe de ses pouces effleure mes joues. Je n’ose pas trouver son regard, tant le mien est embué de larmes.
Je perçois son corps se rapprocher de moi, puis ses lèvres se posent sur mon front. Les miennes tremblent sous l’émotion. J’ai la sensation qu’il me dit « adieu ».
Waban continue de me consoler en m’embrassant le nez. J’aimerais relever la tête, assumer toute l’importance qu’il a dans ma vie, dans mon cœur. Mais je ne m’en sens pas capable.
À quoi bon ?
Si même sa famille n’a pas de poids dans sa décision, j’aurais beau lui prouver à quel point il compte pour moi, je ne suis pas celle pour qui il acceptera de regagner à Solis.
Un long silence parsemé de mes gémissements incontrôlables s’éternise. Waban finit par expirer avec force.
— Je vais retourner auprès des autres pour savoir si notre camarade va s’en sortir. Ne t’éloigne pas trop, et ne tarde pas à revenir à côté du feu. Nous avons encore un dur voyage qui nous attend demain.
J’opine du chef, en fixant mes pieds. Je le vois tourner les talons puis partir. Et quand je le présume suffisamment loin, je me laisse choir au sol, abattue par cette nouvelle.
Depuis notre plus tendre enfance, nous parlons de ce moment si spécial à nos yeux. Nous nous étions fait la promesse de ne jamais nous séparer. J’imaginais compter.
C’est l’instant que choisit cette phrase, vile et perfide, pour revenir me hanter : c’est pourtant ce qui va arriver.
Waban a donc réellement pensé ces mots, il les a prononcés dans sa tête. Et je les ai entendus. Cependant ce que j’en retiens, ce n’est pas l’étrangeté de leur apparition, mais bel et bien leur signification : il ne m’aime pas.
13 commentaires
Camille Jobert
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Il y a 3 ans
La Plume d'Ellen
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Il y a 3 ans
Mira Perry
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Caro Handon
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Il y a 3 ans