Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 15

Au cœur des âmes - Chapitre 15

Tout ce qu’il se passe ensuite est un enchaînement dont je ne comprends pas le sens. Plusieurs secondes années se précipitent pour allumer des torches et se ruent vers la menace en criant de toutes leurs forces.


— Tu restes ici, m’ordonne Waban avant de les rejoindre.


Je n’ai pas le temps de le retenir. Mon cœur s’emballe au creux de ma poitrine. Les sauvages existent donc réellement. Et si je me fie à mon ressenti lorsque j’ai aperçu l’ombre, ils présentent un véritable danger.


— Est-ce que ça va ?


La voix douce et inquiète d’Aponi me surprend. Mon meilleur ami vient de s’élancer à la poursuite d’un fou, comment pourrais-je me sentir bien ?


— Non.

— Approche.


Ses bras m’entourent et je me laisse bercer. Nous demeurons assises à même le sol, l’une contre l’autre. Les plus âgés, restés au camp, forment autour des plus jeunes un cercle de protection, les sens en alerte. Cela devrait me rassurer, mais l’inquiétude sur leur visage m’en empêche. Combien de temps allons-nous attendre ? Que risquent ceux qui sont partis ? Vont-ils tuer le sauvage ? N’y aurait-il pas un moyen de les ramener à un état normal ?


Tant de questions et si peu de réponses.


Mon regard se porte sur chacun de nos protecteurs. D’ici un an, nous serons à leur place, nous devrons défendre les moins expérimentés, bravant les menaces malgré la peur. Le fossé entre leur courage et le mien me semble impossible à combler. Qu’ont-ils vécu pour en arriver là ? Combien ont laissé leur vie ?


— Les voilà, s’écrie l’un d’entre eux.


Je bondis sur mes deux jambes tandis que tous abaissent leur arme. Si la pression redescend d’un cran, elle reste palpable.


— On a un blessé !


Je reconnais aussitôt la voix de mon meilleur ami. Il soutient un garçon gémissant de douleur avec l’aide d’une camarade. Son ventre est lacéré, et je me demande bien si ces entailles sont l’œuvre d’un seul sauvage. Très vite, d’autres viennent leur porter secours. Ils s’activent pour l’allonger et soigner ses plaies.


Si son sort me tourmente, je suis néanmoins plus inquiète concernant mon meilleur ami. Mon cœur rate un battement quand je le vois se laisser tomber au sol. Je me précipite vers lui.


— Waban, soufflé-je.


Lorsqu’il porte son attention sur moi, ma respiration se coupe. Son visage est maculé de sang, tout comme ses vêtements. L’affolement me gagne.


— Est-ce que tu as été attaqué toi aussi ?

— J’ai quelques égratignures, mais je vais bien.


Je saisis sa main, comme pour me confirmer la véracité de sa réponse.


— Tu es sûr ?


Il opine du chef, accompagnant son geste avec un sourire rassurant. Cela ne desserre pourtant pas l’étau qui comprime ma poitrine. Prendre conscience de notre environnement de cette manière m’effraie. J’aurais préféré savoir ce à quoi nous allions devoir faire face avant d’y être confrontés.


— Et… le sauvage ? lui demandé-je d’une voix hésitante.


Waban déglutit avant de parcourir l’assistance. Un coup d’œil derrière moi m’indique que tous nous observent, tant l’attente de la réponse. Mon ami se relève, chancelant, mais il refuse mon aide, comme s’il cherchait à se montrer vaillant pour rassurer les autres.


— Il est mort, rugit-il en levant le poing en l’air.


Mes oreilles bourdonnent dès que notre troupe se met à crier « victoire ». L’effroi me gagne face à cette démonstration de joie, alors qu’un meurtre a été commis. Ce sauvage, bien que dangereux, n’en reste pas moins l’un d’entre nous. Comment peuvent-ils se réjouir de cela ?


Je n’ai pas le temps de poser la question à Waban qu’il reprend la parole.


— Où est Nashoba ?


Son ton menaçant me fait trembler. La trace laissée par ses doigts me brûle la gorge, comme un souvenir qui se ravive. J’avais oublié sa présence durant l’absence de Waban.


Un bruit attire mon attention, et je l'aperçois. Nashoba a été bâillonné. Les poignets attachés dans le dos, deux costauds le jettent au pied de Waban, puis ils l’obligent à s’asseoir avant de lui enlever ses liens. Nashoba se frotte les articulations, le regard mauvais.


— Je te préviens : la prochaine fois que tu t’en prendras physiquement à l’un d’entre nous, tu seras banni. Est-ce que le message est clair ?


Je tourne vivement la tête vers Waban, incrédule, mais je n’ai pas le temps de protester sur cette éventuelle exclusion que Nashoba lui répond.


— Tu ne peux pas faire plus limpide.

— Maintenant, présente-lui des excuses, lui ordonne-t-il en me désignant.


La crispation dans mes muscles monte d’un cran. Mon cœur bat la chamade, attendant le moment où Nashoba va sauter à la gorge de mon ami pour cette énième humiliation. Cependant, il n’en fait rien. Il se relève puis s’approche de moi en me fixant.


Lorsqu’il me fait face, il me tend sa main.


— Désolé, Leïka.


Je la saisis en retour, malgré l’hypocrisie qui transparaît dans ses mots. Je garde pour moi toutes les questions qui m’envahissent l’esprit concernant la discussion qui a déclenché son acte. S’il m’a surprise en m’attaquant, je ne peux décemment pas en rester là.


J’ai besoin de connaître chaque détail de ce qu’il sait à propos des éléments que l’on nous cache à Solis et de la magie utilisée par le monarque Iktómi. Peut-être que cela me permettrait de comprendre d’où viennent ces étranges voix ?


Au moment où Nashoba veut se retirer, je maintiens ma prise un instant.


— On n’en a pas fini, toi et moi, murmuré-je, assez bas pour qu’il soit le seul à m’entendre.


La mâchoire de Nashoba se contracte, mais il garde le silence.


— Viens, suis-moi, me demande Waban sans attendre.


Nous nous éloignons des autres. Dès que nous sommes suffisamment écartés du reste de la troupe, j’attaque en premier.


— Alors c’est comme ça que ça se passe ici ? La violence et les menaces résolvent tous les problèmes ?

— Il n’a que ce qu’il mérite. Dois-je te rappeler qu’il a tenté de te tuer ? vocifère mon ami.

— Il ne l’aurait pas fait !

— Comment peux-tu en être sûre ?


J’en ai l’intime conviction.


J’ai conscience de ne pas pouvoir donner cette réponse sans fondement. Cependant, aucune autre suffisamment tangible ne me vient.


— Parce que, grogné-je.


Waban éclate de rire.


— Quelle argumentation, j’en suis épaté ! Je parie que tu l’as provoqué. Pourquoi ?

— Il cache des choses, déclaré-je en restant évasive.

— À t’entendre, je devine que tu ne comptes pas m’en parler. Je pensais qu’on se faisait confiance.

— Oh ! Parce que tu me dis tout toi peut-être ? lancé-je, énervée.

— Tu m’agaces à inverser les rôles !

— Tu aurais dû t’en douter. Alors, qu’est-ce que tu me dissimules, Waban ?


Mon ami détourne les yeux et il garde le silence. Il me connaît, il sait que je ne vais pas lâcher l’affaire. À quoi bon vouloir gagner du répit ? À moins que cela soit trop grave, et qu’il cherche à me préserver. L’air autour de moi semble se raréfier.


— Waban, insisté-je en parlant dans un souffle.


Il porte sur moi un regard désolé. Ce qu’il m’annonce ensuite me coupe la respiration.


— J’ai trouvé mon animai, Leï. Mais je ne rentrerai pas à Solis, ajoute-t-il d’un ton déterminé.

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13 commentaires

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

Tiens tiens ! En soi je doutais un peu qu'il a trouvé son animai et j'avais même fait l'hypothèse que son animal changé sa personnalité. Mais ce que je comprends pas c'est pourquoi il préfère ici. Encore un secret.

La Plume d'Ellen

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Il y a 3 ans

Allons bon, on peut dire que tu sais nous tenir en haleine en nous laissant avec cette affirmation 😉

Pierrot

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Il y a 3 ans

Ah oui finir comme ça c'est terrible x) Courage pour la suite, j'attends le reste avec impatience ! Très bonne découverte :)

clecle

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Il y a 3 ans

Coup de 👍 faut que je revienne ici, le début m'avait bien plu

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Merci beaucoup :D

Merixel

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Il y a 3 ans

J'ai hâte de connaître l'animal de Waban et la raison pour laquelle il ne veut pas rentrer à Solis...

Caro Handon

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Il y a 3 ans

On ne va pas tarder à l'apprendre ;) Merci pour ta lecture assidue ! (je suis à la bourre partout xD)

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 ans

Waban semble terrible mais c'est peut être ce qu'il faut pour se faire respecter.

Mira Perry

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Il y a 3 ans

Coup de pouce retour. Ça va très vite pour moi aussi ^^

Lety29

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Il y a 3 ans

❤ petit coup de pouce retour 😉
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