Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 14
Après cette longue marche harassante, nous avons fini par rejoindre le bivouac secondaire où l’on nous attendait. Tous nous ont accueillis avec bienveillance, nous permettant de nous désaltérer, puis nous nous sommes lavés à tour de rôle dans l’eau vive d’un ruisseau.
Cela m’a fait du bien, mais l’air plus doux, à l’approche de la nuit, m’engourdit le corps malgré la chaleur du feu de camp.
— Fichus cheveux longs, ils me donnent la chair de poule, grogné-je en frottant mes jambes transies de froid.
— Je peux te faire des tresses, me propose Aponi.
J’acquiesce sans hésiter. J’adore celles qu’elle se fait le matin au moment de se préparer. De chaque côté de son crâne, cela lui dégage son visage rond sur lequel on distingue des taches de rousseur parsemer ses joues et son nez concave.
Mon amie se lève, puis elle vient s’asseoir derrière moi. Elle commence à me manipuler la crinière avec dextérité, sans jamais me tirer le cuir chevelu.
— Tu es douée ! Je n’ai même pas mal. Ça me change de ma mère.
— Mes sœurs m’en réclament tout le temps, et elles sont douillettes.
Mon cœur s’alourdit d’un coup. Cela fait quelques jours que nous sommes ici et nous discutons souvent de nos proches. Ils nous manquent terriblement.
— Alors, as-tu parlé à Waban ? me demande Aponi.
— Pas encore. Je ne l’ai pas vu depuis qu’il a déposé le sac des tentes.
Balancer serait le mot le plus exact. Mon ami s’est ensuite enfui, laissant les membres du camp prendre le relais auprès de nous.
— J’ai un peu peur de notre discussion, avoué-je. Je déteste me fâcher avec mes proches.
— Si tu ne lui avais pas tenu tête, Nashoba ne serait peut-être pas en vie à l’heure qu’il est.
— N’exagérons rien ! s’exclame ce dernier en s’asseyant à nos côtés.
Si j’aperçois Machk nous rejoindre dans mon champ de vision, mon regard est arrimé à celui de Nashoba. Son œil blanc me semble plus lumineux qu’à l’ordinaire. Est-ce qu’il peut réellement voir dans le noir avec ?
— Qu’est-ce que tu mates ? grogne-t-il à mon attention.
— Ferme ta paupière droite, et dis-moi combien j’ai de doigts levés.
Le visage de Nashoba s’éclaire d’un sourire narquois, mais il s’exécute. J’abaisse mon auriculaire et mon annulaire lorsque je suis certaine qu’il ne triche pas.
— Alors ?
— Trois.
— Et là ? lancé-je en rabattant mon pouce.
— Deux.
— Et maintenant ? lui demandé-je en pliant mon index et en tournant mon poignet.
— Me faire un doigt d’honneur ne changera rien au fait que je vois avec mon œil, petite idiote.
Nashoba se marre et rouvre son œil de couleur ambre.
— Comment est-ce possible ?
— Je n’ai jamais perdu la vue quand…
Il s’arrête en plein milieu de sa phrase, sans la terminer. Pourtant, sans que ses lèvres ne bougent, un murmure me parvient. Le sien.
Mon père m’a frappé avec le tison brûlant.
L’effroi me gagne tandis qu’une chair de poule parcourt mon épiderme. Cependant, je n’ai pas le temps de questionner Nashoba qu’il reprend comme si de rien n’était.
— Je suis tombé quand j’étais gosse.
— Vraiment ?
— Cette histoire a dû faire le tour de Solis au moins trois fois, ne fait pas l’étonnée.
— Mais ton père…
— Il n’était pas là, me rembarre-t-il avant que je puisse terminer ma phrase.
Nashoba me fixe d’un air étrange, comme l’on regarde un vieux métamorphe divaguer sur le temps d’avant les monarques.
— Le repas est prêt, annonce Machk à côté de nous.
— Je finirai tes tresses après, je meurs de faim, s’exclame Aponi en détalant pour avoir sa ration.
L’atmosphère s’alourdit dès que nos deux comparses se trouvent à bonne distance.
— Pourquoi as-tu parlé de mon père ? me demande Nashoba, sur un ton sec.
Son air menaçant ne me dit rien qui vaille, mais je suis incapable de mentir.
— Tu as évoqué le fait qu’il t’avait frappé avec... un tison.
Ses yeux s’écarquillent, et il semble avoir du mal à déglutir. Malgré cette déstabilisation évidente, il reprend vite sa contenance.
— Je n’ai pas prononcé un mot.
— Je t’ai entendu ! insisté-je.
— C’est impossible !
— Tout comme voir avec ton œil blessé ? Tu devrais être aveugle si c’est un objet incandescent qui t’a marqué.
— Tais-toi, m’assène-t-il les dents serrées.
Il parcourt l’assistance pour vérifier que personne ne nous écoute, puis il se penche vers moi. Il hésite un instant durant lequel il ne décroche pas son regard du mien. J’aimerais lui tirer les vers du nez pour savoir ce qu’il cache, mais je crains que cela le braque. À la place, je pince les lèvres pour retenir le flot de questions arrivant dans mon esprit.
— Iktómi a pu me soigner, mais personne ne doit l’apprendre, finit-il par m’expliquer tout bas.
— Il a usé de magie sur toi ? C’est interdit.
— Sans rire ?
Sa façon désinvolte de s’adresser à moi m’agace au plus haut point.
— Alors, pourquoi dire à qui veut l’entendre que tu vois ?
— Je n’en parle qu’en ta présence, et je rectifie dès que tu n’es plus là.
— Donc tu fais ça juste pour m’emmerder ?
Sans me répondre, un sourire narquois apparaît sur son visage. Je le déteste !
Je devrais couper court à cette discussion, mais ma curiosité me pousse à approfondir notre échange. Que cache-t-il d’autre ?
— Pourquoi ne pas m’avoir menti quand je t’ai fait compter mes doigts si cela ne doit pas se savoir ?
— Je voulais te clouer le bec !
Si j’avais les capacités de lui mettre une gifle sans craindre pour ma vie en retour, je m’en donnerais à cœur joie. J’inspire avant de disjoncter, et je réfléchis à une meilleure manière de le contrer.
— Et si je décidais de répandre la nouvelle ?
— Le monarque te ferait brûler vive sur la place publique pour mensonge.
— Je pourrais aussi divulguer ce que ton père t’a fait, lancé-je avec sournoiserie.
Sans que je comprenne ce qu’il m’arrive, la main de Nashoba enserre mon cou. J’ai beau me débattre ou taper sur son bras, il maintient son étau, m’empêchant de respirer.
— Et là, tu entends ce que je pense ? grogne-t-il. Si tu parles…
— Arrête ça !
Nashoba n’a pas le temps de réagir que Waban lui fait lâcher prise, puis il le soulève comme s’il était un poids plume et le projette au sol, quelques mètres plus loin. J’inspire une grande goulée d’air.
— Enflure ! lancé-je avec fureur.
Alors que Nashoba s’apprête à riposter, il se fige dans son élan. Mes yeux se portent sur Waban. Avec les ombres dansantes du feu de camp, sa carrure en impose, tout comme les veines ressorties sur ses avant-bras. Il semble prêt au combat. Prêt à me défendre.
— Derrière vous, s’exclame Nashoba, comme terrifié.
— Je connais les ruses de ton frère. Tu ne me la feras pas à l’envers, lui assène Waban en retour.
— Je ne plaisante pas.
Son index pointe l’horizon tandis que l’effroi se lit sur son visage. Soudain, plusieurs cris s’élèvent du camp. L’appréhension au creux de la poitrine, je tourne la tête vers l’endroit indiqué par Nashoba.
C’est à ce moment-là que je vois cette ombre, à la silhouette humaine, mais dont le corps semble désarticulé.
— Un sauvage, hurle une personne de l’assistance.
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Camille Jobert
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