Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 13
Dans les cieux, c’est comme si le soleil nous mettait au défi. Sa chaleur brûle la peau de mon visage malgré le pan de mon haut que j’ai rabattu sur ma tête. D’ordinaire, mes cheveux d’un blond presque blanc me protègent de la puissance des rayons, mais pas cette fois.
— Comment se fait-il qu’il fasse aussi chaud ? me plains-je.
— Dans cette zone des plaines, l’absence de taillis empêche la captation d’une partie des feux générés par l’astre, m’explique Waban. Nous ressentons donc toute son incandescence.
J’observe nos autres compagnons de route tour à tour. Aponi et Machk sont silencieux. Quant au dernier membre de notre troupe…
— Nashoba a besoin d’une pause.
Son visage perle à grosse goutte. Il est marqué par la douleur.
— Nous avons encore de la marche, il doit faire avec.
— Waban !
— On ne peut pas s’arrêter ici !
Cette fois, c’en est trop. Je me stoppe brusquement, les poings sur les hanches.
— Je ne ferai pas un pas de plus tant qu’il ne se sera pas reposé un peu.
Mon meilleur ami ne masque pas sa colère. Mon affront le décrédibilise dans son rôle de mentor, mais je n’en ai que faire.
— Hier tu le détestais, et maintenant tu le défends ?
— Tu ne vas tout de même pas m’en vouloir parce que j’essaye de mettre ma rancœur de côté ? C’est toi même qui me l’as demandé !
— Là n’est pas la question, Leïka. Nous devons avancer !
— Tout comme nous sommes supposés faire équipe, ensemble ! Je n’ai pas été apprise à laisser les autres en plan, quand bien même je ne les apprécie pas.
— Je me contrefous de ton éducation. Ici, c’est moi qui donne les ordres.
— Ça, on l’a bien compris, lui balance Aponi. Mais plutôt que de fanfaronner en jouant aux petits chefs, tu n’as qu’à aider à porter les tentes, toi aussi.
J’observe mon amie, stupéfaite. Sans pouvoir l’expliquer, je sais qu’il ne s’agit pas d’une blague comme elle a pu me faire le jour où nous nous sommes rencontrées.
Waban l’assassine du regard, mais il se dirige vers Nashoba, assis par terre en train de gémir de douleur. Il prend le sac contenant nos tentes, puis le hisse sur ses épaules comme s’il ne pesait rien.
— Satisfaites, mesdemoiselles ? Maintenant, aidez-le à se relever. Nous ne ferons pas de pause.
Son agressivité me comprime le cœur. Chacun de nous est épuisé par ses longues marches. Nous avons à peine le temps de dormir. Les tours de garde fragmentent notre sommeil, ne permettant pas à nos corps de récupérer comme nous en aurions besoin.
— Hors de question d’avancer ! insisté-je. Aucun de nous ne te suivra et tu devras assumer ce choix si tu décides de nous abandonner ici sans protection.
Le visage de Waban se liquéfie à mesure que je soutiens son regard.
— Leï, souffle-t-il.
La supplique que je décèle au travers de sa voix me donne envie d’abdiquer. Mais je ne me laisse pas attendrir. Son attitude étrangement distante depuis mon arrivée me convainc qu’il me cache quelque chose.
— Tu as dit que la force du groupe est ce qui peut nous garder en vie. Si l’un de nous tombe, alors le reste de la troupe doit le relever. Donne-lui au moins le temps de s’hydrater. Sinon, c’est mort que nous allons le ramener au camp.
Si je déteste le conflit, je hais encore plus la maltraitance. Je serais prête à défendre quiconque a besoin d’une protection contre un bourreau. Et aujourd’hui, malheureusement, c’est mon meilleur ami qui tient ce rôle.
— Tu as raison, finit-il par souffler. Mais on en reparlera, toi et moi.
— Parfait ! lancé-je en retour, sans me démonter.
Je fais volte-face, pour me rendre auprès de Nashoba, désormais assis. Le bras appuyé sur son genou relevé, il fait peine à voir. Mes compagnons sont à court d’eau et étanchent leur soif avec les quelques gouttes qu’ils leur restent.
Je saisis mon outre et la pèse d’une main. Mes réserves sont maigres, néanmoins, elles feront l’affaire pour l’un de nous deux.
— Tiens, bois.
— Et toi ?
Sa sollicitude me surprend.
— Peu importe, si je tombe, il vaut mieux que ce soit toi qui me portes plutôt que l’inverse. Ta tête risquerait de cogner sur une pierre quand je te ferai glisser.
Un léger sourire s’arrime à ses lèvres. Il déclenche le mien en retour. Je lui tends ma gourde dont il se saisit, puis il avale d’une traite ce qu’il me reste d’eau. D’un revers de main, il essuie sa bouche.
— Ça me tue de te le dire, mais : merci, Leï.
— Je ne peux pas avoir que des mauvais côtés.
— Tu en as quand même des tas !
— Dommage, avec une gorgée de plus, tu aurais pu t’étouffer avec !
Nous rions en chœur face à notre dynamique de discussion. Puis Nashoba porte son attention en direction de Waban. Mon ami est assis sur un rocher à plusieurs mètres de nous, le regard rivé au loin.
— Je n’avais pas souvenir qu’il était aussi con, chuchote-t-il.
— Il prend son rôle à cœur. Les contrées astrales regorgent de…
— Danger, finit mon acolyte. Sauf que nous n’en avons vu aucun jusque-là. Les troisièmes années vivent dans les montagnes qu’on aperçoit à peine à l’horizon et les autres sont devenus sauvages. Comment pourraient-ils être dangereux s’ils n’ont plus toute leur tête ?
Je le fixe, éberluée de ce qu’il sous-entend. Nous ne risquerions rien ? Mais cette réflexion a tout juste traversé mon esprit qu’une suivante émerge.
Dans les nombreux ouvrages que j’ai dévorés depuis que je sais lire, peu font mention d’eux. Ils sont comme une légende maudite qu’on tait ou une mauvaise histoire à raconter aux enfants ingrats pour les effrayer. Prononcer ce mot me tétanise presque.
— Tu penses aux exilés ? devine Nashoba.
J’opine du chef.
— On nous cache des éléments depuis le début, je ne serais pas surprise qu’ils soient réels. Ou bien peut-être s’agit-il d’autre chose.
— Aucune idée. Mais il va falloir qu’il se détende. Moi en forme, je lui mets une raclée quand je veux.
— Tu cherches à m’impressionner ? raillé-je.
Nashoba se marre avec un air aussi condescendant qu’amusé. Il tente de se relever, mais grimace aussitôt.
— Est-ce que ça va aller ? Tu as besoin d’un coup de main ?
— J’ai mal dans les jambes. Le sol est brûlant et mes chaussures n’absorbent pas la chaleur.
— Elles n’ont pas de semelle doublée en cuir ?
— Pitié, Leï, ne me propose pas de m’en confectionner. Je me débrouillerai.
— Être indépendant ne signifie pas refuser constamment le soutien des autres. Machk, appelé-je notre compagnon à la rescousse.
Même si je conserve mon regard fixé vers notre camarade qui arrive, je sens celui de Nashoba me dévisager. Machk l’aide à se relever sans aucune difficulté.
— On peut y aller, annoncé-je assez fort pour que mon ami nous entende.
Il se lève, mais garde le silence. Le poids au creux de ma poitrine ne s’en fait que plus lourd.
Durant tout le trajet, nous restons tous les quatre ensemble. La soif nous empêche de parler. Nous aidons Nashoba à avancer malgré les crampes. À tour de rôle, il s’appuie sur nous et, s’il râle, il nous remercie à chaque fois.
Waban, lui, marche au-devant, comme résigné à être seul. Qu’est-ce que tu ne me dis pas, bon sang ?
13 commentaires
Camille Jobert
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Il y a 3 ans
La Plume d'Ellen
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Il y a 3 ans
Emmy07
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Gottesmann Pascal
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Caro Handon
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